Apple peut-elle reconquérir les pros ?

Christophe Laporte |

La semaine dernière, Apple a voulu sans l’avouer faire son grand mea-culpa auprès de sa clientèle professionnelle. Avec le recul, son Mac Pro avait tout l’air d’une fausse bonne idée.

Ce que l’on retiendra au final, c’est que la marque à la pomme ne parvient pas à trouver la formule magique pour proposer aux professionnels une machine à la fois compacte et ultra-puissante. Après tout, ce Mac Pro est un lointain descendant du Power Mac Cube. Au passage, en parlant de forme géométrique, si Apple veut s’inspirer du design du NeXT Cube, on signe tout de suite…

Une petite idée de design pour Apple - crédit : Rama & Musée Bolo

Apple a donc fini par reconnaître la crise qui couvait. Depuis de nombreux mois, elle ne cesse de décevoir sa clientèle professionnelle « historique ». Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, Apple n’a jamais été aussi populaire dans les milieux professionnels. Depuis l’accord avec IBM, la firme de Cupertino n’a jamais vendu autant de Macintosh auprès des grosses structures.

Un commercial nous confiait que là, où il avait toutes les peines du monde il y a quelques années à vendre un Mac Pro, il écoule maintenant des palettes d’iPad à ces mêmes entreprises. L’iPad en définitive est peut-être le premier produit d’Apple qui a le mieux trouvé sa voie dans le monde de l’entreprise, avant celui du grand public. C’est peut-être là que réside son ADN.

Mac Pro : 10 ans de désamour ou presque

Pour en revenir au cas du Mac Pro, le désamour ne date pas de la présentation du nouveau modèle. Il est bien antérieur. Il remonte sans doute au début de la décennie où Apple rechignait déjà à mettre à jour fréquemment sa station de travail.

En 2006, le Mac Pro (Intel) prenait la relève des Power Mac G5

En raisonnant d’un point de vue strictement économique, la solution la plus simple et la plus sûre pour Apple serait sans doute d’abandonner cette machine. Si le Mac Pro représente 2 % des ventes totales de Macintosh, c’est le bout du monde. Et même si Apple réalisait d’ici 12 à 18 mois une machine tout bonnement incroyable, on doute sincèrement qu’elle soit en mesure de doubler ou tripler durablement ce chiffre. Il y aura de l’euphorie au début, mais est-ce que cela perdura sur le long terme ?

Si Apple était raisonnable, peut-être que le mieux serait de proposer un produit à mi-chemin entre le Mac Pro et le Mac mini. C’est d’ailleurs souvent ce créneau (notamment en matière de budgets) qui est recherché par les personnes qui construisent elles-mêmes leur hackintosh.

La formule 1 de la micro-informatique

Mais le Mac Pro, digne héritier du Power Mac, est une station de travail. Cette catégorie n’en est pas une comme les autres, c’est la Formule 1 des ordinateurs, le pinacle de la micro-informatique en quelque sorte.

Ces machines ne couvrent pas un immense marché, mais elles jouent sur l’image de marque d’un constructeur, elles envoient du rêve et elles mettent en avant un certain savoir-faire. En affirmant qu’elle désire revoir entièrement sa station de travail plutôt que de l’abandonner, Apple a clairement montré qu’elle ne souhaitait pas abandonner cette « image ».

D’ailleurs, d’une certaine manière, c’est assez paradoxal, car d’un point de vue technique, une Apple Watch par sa miniaturisation et les contraintes qu'elle oblige (autonomie, précision des capteurs, lire Les enseignements tirés sur Apple d'un ancien responsable de l'Apple Watch), est autrement plus impressionnante que n’importe quelle station de travail. Après tout, chacun peut en monter une chez soi en achetant des composants ici ou là.

Bien avant les Power Mac, les Mac II symbolisaient le savoir-faire d'Apple en matière de station de travail

Reste la question à mille sous : est-ce qu’Apple va parvenir à reconquérir le cœur des professionnels échaudés par sa politique des dernières années ? Petit à petit, l’écosystème autour des Mac Pro a fini par progressivement se désintéresser d’Apple.

On le voit notamment dans la vidéo ou la 3D où le Mac n’a plus la même importance que par le passé. Et d’une certaine manière, cela n’a jamais été aussi simple de s’adapter. Une personne travaillant avec la suite Adobe, se fiche au final du système d’exploitation qu’elle utilise. Elle est la plupart du temps cantonnée aux logiciels et services dans le nuage de l’éditeur de San Jose.

Par rapport à la politique d’Apple, les professionnels se sont adaptés de différentes manières. Il y a ceux qui ont essayé coûte que coûte de faire durer leur Mac Pro au format tour. Ces machines ont un succès incroyable dans le monde de l’occasion. Il y a ceux qui ont opté pour le Mac Pro de 2013. Il y a ceux qui ont opté pour un hackintosh. Et ceux qui ont tout simplement changé de crèmerie. Comme le montre le résultat de notre précédent sondage, Apple a du travail sur la planche. Vous n’êtes que 36 % à être convaincus par le discours d’Apple concernant les professionnels. 47 % à l’inverse sont sceptiques.

De nouveaux logiciels pour de nouveaux besoins

Pour reconquérir une partie de sa clientèle, et en attirer une nouvelle, le prochain Mac Pro devra sans doute se positionner sur des créneaux porteurs. Ce n’est sans doute pas innocent si Craig Federighi a évoqué notamment la réalité virtuelle, un domaine qui exige beaucoup de puissance de calcul et qui s'annonce prometteur.

Il y a également certaines tendances qui commencent à se matérialiser comme la 8K. Les premiers écrans Dell arrivent, mais Apple pourrait participer à sa démocratisation. La firme de Cupertino est capable à des périodes charnières de casser les prix, surtout lorsqu’une technologie est sur le point de prendre son envol.

Mais sans doute pour finir de convaincre les professionnels, il faudra une solution complète et cela passe par le développement d’un nouveau logiciel susceptible d’offrir un intérêt à lui seul au nouveau Mac Pro. Il conviendra de surveiller si Apple ne procède pas à des achats très ciblés ces prochains mois !

Dell va commercialiser dans les prochaines semaines son premier écran 8K

Mais lorsqu'Apple sortira sa prochaine station de travail, sera-t-elle en mesure de tenir ses engagements ? Pour la firme de Cupertino, les deux principaux problèmes de la machine actuelle sont intimement liés : c’est son design, qui était conçu pour accueillir deux GPU, le tout dans un espace particulièrement restreint.

On ne doute pas qu’Apple ait bien compris le message et qu'elle propose à l’avenir une machine plus modulaire, capable de plus de souplesse pour recevoir différentes sortes de cartes graphiques. Le timing de l’annonce de Nvidia, annonçant l’arrivée de pilotes Mac pour ses nouvelles cartes, n’est certainement pas anodin.

Reste qu’ensuite, à moins d’un sacré retournement de tendance dont Apple est capable après tout, la Pomme va se retrouver avec les mêmes contraintes qu’auparavant. Les professionnels vont vouloir des mises à jour fréquentes lesquelles ne seront sans doute pas très rentables pour Apple, avec des gains de performances limités.

Même dans les secteurs qui lui sont stratégiques, Apple tend à renouveler de moins en moins souvent ses produits… Alors un Mac Pro ! Mais la Pomme sait aussi surprendre parfois. Après tout, elle a donné pour la première fois de son histoire (enfin presque) un semblant de feuille de route concernant l’avenir de ses ordinateurs de bureau. C’est déjà inespéré…

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