Campus 2 : un soin maladif apporté aux détails

Mickaël Bazoge |

Le Campus 2 d’Apple sera, à bien des égards, un produit à l’image de Steve Jobs : perfectionniste… jusqu’à la maniaquerie ! Le fondateur d’Apple a porté sur les fonts baptismaux cet ensemble de bâtiments dont la perle est, évidemment, ce « vaisseau spatial » en forme de donut géant. Les coûts pharaoniques du projet — estimés à 5 milliards de dollars, dont un milliard pour l’intérieur du bâtiment principal — s’expliquent non seulement par la forme des lieux, la qualité des matériaux utilisés et l’aménagement intérieur et extérieur, mais aussi par le soin apporté aux détails, comme le raconte Reuters.

Car Apple a l’ambition de construire un campus présentant le minimum de défaut, à l’image de l’iPhone — et des produits supervisés par Steve Jobs. Certains détails évoquent des appareils du constructeur, comme les boutons des ascenseurs qui ressemblent beaucoup… au bouton d’accueil de l’iPhone. Un ex-cadre a même comparé le design « élégant » des toilettes au smartphone ! Pas sûr que Jony Ive apprécie la comparaison.

Les lieux sont en contradiction avec la tendance actuelle des grands open-space qui facilitent la collaboration entre les équipes. Rien que le spaceship pose un défi pour la circulation des personnes, souligne Louise Mozingo, professeure au département de l’architecture de l’université de Berkeley. « Il ne s’agit pas de maximiser la productivité des bureaux », souligne-t-elle. « Il s’agit de créer le centre symbolique d’une entreprise globale. [Apple] crée une icône ».

Cliquer pour agrandir

Une icône qui a demandé beaucoup de préparation, rapportent les différents intervenants anonymes qui s’en sont ouverts à l’agence de presse, dont l’article compte plusieurs anecdotes mettant en lumière le soin maladif apporté aux détails. Les constructeurs sur le chantier doivent souvent porter des gants pour ne pas abîmer les matériaux délicats. « C’est comme une peinture [qu’Apple] ne vous laisse pas toucher », raconte le patron d’un syndicat de peintres qui a travaillé sur les lieux. 

En 2015, deux constructeurs sélectionnés par Apple pour terminer le bâtiment principal ont reçu comme première commande la finalisation de la forme des poignées de portes des salles de conférence et des bureaux. Après plusieurs mois d’allers et retours, un responsable d’Apple a fini par se plaindre d’une « petite bosse » gênante sur la poignée. L’équipe de construction a alors vérifié deux fois plutôt qu’une les mesures — jusqu’au nanomètre —, sans trouver une seule imperfection. Pourtant, Apple insistait pour obtenir une autre version. Après un an et demi de débats, la Pomme cherchait toujours sa poignée de porte.

Cliquer pour agrandir
Cliquer pour agrandir

Apple souhaitait aussi que ses ingénieurs n’aient pas à « ajuster » leur allure en entrant dans un bâtiment, au risque de les distraire dans leur réflexion et leur travail. C’est pourquoi le constructeur a insisté pour que les portes ne présentent aucun seuil. Les équipes en charge de la construction ont résisté tant qu’elles ont pu, mais finalement le client — qui est le roi, après tout — a obtenu gain de cause.

La Pomme voulait que la signalisation des lieux reflète l’esthétique minimaliste qui est sa signature. Une volonté qui s’est heurtée aux impératifs de sécurité : les pompiers devaient en effet s’assurer que l’on puisse facilement s’y retrouver dans les bâtiments en cas d’urgence. Le chef des pompiers du comté de Santa Clara a participé à 15 réunions pour se mettre d’accord avec les dirigeants d’Apple sur ce sujet : « Je n’ai jamais passé autant de temps sur la signalisation », explique-t-il.

Pendant la pose d’un panneau de verre sur le spaceship — Cliquer pour agrandir

Apple a mis aussi en place des règles difficiles à suivre pour les entreprises de BTP qui ont œuvré sur le chantier. Parmi celles-ci, notons par exemple l’interdiction de voir des tuyaux et des ventilateurs se refléter dans les fenêtres ; les guidelines concernant les arbres qui parsèment le campus comprennent une trentaine de pages à suivre scrupuleusement. Les tolérances — l’écart acceptable des distances entre les matériaux —, qui se situent habituellement aux alentours de 3 mm, étaient bien plus faibles sur le Campus 2… y compris pour les surfaces cachées.

Les exigences d’Apple ont parfois été en contradiction avec la réalité des travaux. D’ailleurs, deux des principaux constructeurs choisis au départ par le constructeur de Cupertino ont abandonné le chantier assez rapidement, ce qui est très rare pour un projet de cette ampleur. On ignore toutefois les raisons de ce départ.

Cliquer pour agrandir

Une telle attention portée aux détails exige beaucoup de temps et une grande implication, de la part des fournisseurs bien sûr, mais aussi pour Apple et pour ses dirigeants. Les plans du Campus 2 ont été dévoilés en 2011, avec une date d’emménagement prévue pour 2015. Les travaux ont pris deux ans de retard et désormais, les premiers déménagements attendront ce printemps. À terme, les lieux hébergeront 14 200 employés.

Accédez aux commentaires de l'article