La difficile transmission de son patrimoine Apple immatériel

Stéphane Moussie |

« J'ai pensé que c'était ridicule. Je pouvais recevoir ma pension, mes allocations et toutes les autres choses provenant du gouvernement. Mais d'Apple, je ne pouvais pas obtenir un fichu mot de passe. C'était absurde. » Peggy Bush ne s'attendait pas à ce que la récupération du mot de passe du compte Apple de son défunt mari soit si compliquée.

Peggy Bush et sa fille. Crédit CBC News.

C'est en voulant lancer un jeu de cartes sur iPad que cette Canadienne de 72 ans a eu besoin pour la première fois de ce mot de passe qu'elle ne connaissait pas, a-t-elle raconté à CBC News. Elle aurait bien entendu pu créer un nouveau compte Apple (qui englobe iCloud et tous les Stores dématérialisés), mais cela serait revenu à faire une croix sur tous les contenus que son mari et elle avaient achetés par le passé.

Aidée de sa fille, Peggy Bush a alors contacté Apple pour obtenir le mot de passe ou le réinitialiser. « Bien sûr, pas de problème. Nous avons juste besoin de l'acte de décès », a répondu la firme dans un premier temps.

Mais après deux mois de tergiversations, Apple a fini par demander un second document, une ordonnance du tribunal. « J'ai répondu que c'était ridicule. Nous avions pu transférer le titre de la maison, de la voiture et de tout le reste avec juste un acte de décès », relate la fille de la veuve.

La famille Bush a alors contacté la presse dans l'espoir de débloquer la situation. Ce qui a fonctionné. Après avoir été contactée par CBC News, Apple a présenté ses excuses à la famille pour ce « malentendu » et affirmé qu'elle allait répondre à la demande sans ordonnance judiciaire.

Une absence de transmission à géométrie variable

Cette affaire en rappelle une autre, celle de Bruce Willis. Mi-2012, le Sun affirmait que l'acteur américain voulait attaquer Apple en justice pour obtenir le droit de transférer la propriété de ses téléchargements iTunes à ses enfants. Une histoire rapidement démentie par la femme de l'acteur, mais qui a eu le mérite de pointer une problématique importante ; peut-on transférer ses morceaux achetés sur iTunes et ses apps iOS à ses enfants à sa mort ?

«Le droit de propriété n'a pas été transféré dans le monde numérique, il y a aujourd'hui un vide juridique dans ce domaine, expliquait Yann Bergheaud, professeur à l'université de Lyon 3 spécialisé dans le droit en ligne, à Écrans.fr. Faute de textes, on a donc un système qui est régi par une sorte de droit privé, qui sont les conditions générales d'utilisation des plateformes qui proposent les œuvres au téléchargement.»

Que disent, alors, les conditions générales d'iCloud ? Elles sont très claires sur le sujet :

D. Absence de transmission en cas de décès

Sauf obligation contraire imposée par la loi, vous acceptez que votre Compte est incessible et que tous les droits liés à votre identifiant Apple ou Contenu dans le cadre de votre Compte seront résiliés au moment de votre décès. Dès réception d’une copie d’un certificat de décès, votre Compte pourra être résilié et l’intégralité du Contenu de votre Compte pourra être supprimée.

Malgré cette condition écrite noir sur blanc, et en dépit d'une législation prévoyant le cas de figure, des personnes ont réussi à transmettre leur patrimoine Apple immatériel. Il y a donc le cas de la famille Bush, bien aidé par la tournure médiatique qu'a pris l'affaire, mais aussi d'autres.

Selon MacWorld, la firme de Cupertino a déjà débloqué des comptes de personnes décédées sur simple présentation de l'acte de décès. « Les employés d'Apple ne sont pas des monstres », commente le site. Pourquoi ne pas normaliser cette possibilité de transmission afin d'éviter de l'embarras à des familles en deuil ?

Un cadre légal en construction

Google a mis en place en 2013 une fonction sobrement baptisée Gestionnaire de compte inactif qui permet de choisir ce qu'il doit advenir de son compte après son décès.

On choisit la durée à partir de laquelle le compte est considéré comme inactif (de 3 à 18 mois), les personnes qui pourront y accéder à partir de ce moment et les données léguées. Notez que les applications Android ne sont pas transférées, mais une bonne partie des services Google sont pris en compte (Gmail, Google Agenda, YouTube...).

La loi Numérique actuellement débattue par les parlementaires pourrait apporter un cadre légal. L'article 20 sur la « mort numérique » prévoit qu'une personne puisse décider par avance du sort de ses données en cas de décès :

Le projet de loi permettra à toute personne, de son vivant, d’organiser les conditions de conservation et de communication de ses données à caractère personnel après son décès. La personne pourra transmettre des directives sur le sort de ses données à caractère personnel à la CNIL ou à un responsable de traitement et pourra désigner une personne chargée de leur exécution.

Une mesure critiquée en partie par la CNIL qui craint que la communication de ces données personnelles crée des problèmes parmi les héritiers à cause de la découverte de secrets privés ou professionnels.

Ajoutons qu'il est impératif de prévoir la transmission de son matériel Apple. L'entreprise n'est pas en mesure de fournir le mot de passe ni de déchiffrer un terminal iOS ou un Mac protégé avec FileVault.

image de une : Kristina Servant CC BY

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