Jonathan Ive confiant dans l'avenir d'Apple

Christophe Laporte |

Steve Jobs et Jonathan Ive avaient au moins un point commun : celui d'être extrêmement discret dans les médias. Alors, forcément, quand le Senior Vice President Design d'Apple se livre dans un entretien donné au Sunday Times, cela ne passe pas inaperçu.

Comme toujours, dans ce genre d'exercice, il ne faut pas s'attendre à d'immenses révélations. La première partie raconte ses débuts à Apple. L'histoire est connue : fraîchement diplômé, Jonathan Ive rejoint en 1989 l'agence de design Tangerine, qui compte Apple parmi ses clients. Il conçoit des esquisses de portables qui donnent naissance au PowerBook en 1991. Une machine qui a marqué la véritable entrée d'Apple sur le segment des ordinateurs portables.

Avec Apple, c'est une histoire qui a du mal à commencer. Le designer hésite deux ans avant d'accepter le contrat à temps plein que Cupertino lui propose. En 1992, Jonathan Ive finit par rejoindre une Apple en déclin et où la question du design est secondaire. À plusieurs reprises, il est à deux doigts de quitter 1 Infinite Loop. La suite de l'histoire est connue : Steve Jobs fait son come-back en 1996, et après des débuts difficiles, la collaboration entre les deux hommes fait des merveilles.

Très brièvement, Jonathan Ive évoque l'équipe qui l'entoure : une équipe resserrée d'une quinzaine de personnes originaires principalement des États-Unis, du Japon, d'Australie, de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. L'autre particularité de cette équipe, c'est qu'elle travaille ensemble depuis longtemps.

La plupart d'entre nous travaille ensemble depuis 15 à 20 ans. Nous pouvons critiquer âprement notre travail. Les histoires d'ego ont disparu depuis bien longtemps.

Le studio de Jonathan Ive est souvent présenté comme un sanctuaire dans lequel Jobs aimait se réfugier et passer une partie non négligeable de son temps. Personne à l'exception des dirigeants d'Apple n'a le droit d'y accéder, et pour cause, on y trouve la plupart des prototypes qui trônent sur un grand plan en bois qui ressemble au Genius Bar des Apple Store. Il y a également tout le matériel nécessaire afin de pouvoir concevoir sur place les prototypes sur lesquels l'équipe du Senior Vice President travaille.

L'entretien évoque bien évidemment le processus créatif chez Apple. Lorsqu'il démarre un nouveau projet, Jonathan Ive commence par imaginer ce qu'un nouveau type de produit doit être et ce qu'il doit faire. Ce n'est qu'après avoir planché sur ces questions qu'il commence à travailler sur la question de l'apparence. Et les conseils, il ne va pas les chercher chez la concurrence, mais à des endroits bien différents.

Pour parfaire la couleur du tout premier iMac, Jonathan Ive est allé prendre conseil auprès de fabricants de confiserie. Pour le PowerBook Titanium, le premier Mac portable qui a dit adieu au plastique, il s'est rendu au Japon à Niigata pour voir comment les métallurgistes battaient le métal pour qu'il soit le plus fin possible.

Le designer en chef d'Apple revient aussi sur sa relation avec Steve Jobs (lire également : NPR : Jobs et Ive, une collaboration créative). Le point peut-être le plus intéressant dans ses déclarations, c'est qu'il ne reconnaît pas l'image dépeinte par les médias d'un homme colérique, capable d'humilier ses collaborateurs les plus proches.

Il y a tellement de choses qui ont été écrites sur Steve. Dans la plupart, je ne reconnais pas mon ami. Oui, il avait des opinions d'une précision chirurgicale. Oui, il pouvait être cinglant. Oui, il se posait constamment des questions, "est-ce assez bien ? Est-ce juste ?" Mais il était si intelligent. Ses idées étaient audacieuses et magnifiques.

Jonathan Ive livre également une partie de la recette qui fait sans doute le succès d'Apple :

Nous sommes entourés par des objets anonymes, mal faits. Il est tentant de penser que c'est parce que les gens qui les utilisent ne s'en soucient pas - tout comme les gens qui les fabriquent. Mais ce que nous avons réussi à montrer, c'est que les gens s'en soucient. Ce n'est pas une simple question d'esthétique. Ils se soucient de choses qui sont judicieusement conçues et bien faites. Nous fabriquons et vendons un très, très grand nombre de belles choses, bien faites. Notre succès est une victoire pour la pureté, l'intégrité…

Et à la manière de Jobs, Jonathan Ive tient également des propos assez durs contre les personnes qui se sont un peu trop inspirés des designs d'Apple :

C'est du vol. Ce qui est copié, ce n'est pas juste le design, ce sont des milliers et des milliers d'heures de lutte. C'est seulement quand vous comprenez ce que vous avez réussi à réaliser que vous vous dites "cela valait la peine d'aller jusqu'au bout". Ce sont des années d'investissement, des années de douleur.

Le designer a été interrogé sur deux questions assez polémiques. La première concerne « l'obsolescence programmée », terme souvent mal employé, y compris dans cet entretien. Le journaliste du Sunday Times attaque Apple sur « la nécessité d'acheter des nouveaux chargeurs pour les nouveaux produits et le prix qu'Apple fait payer ces accessoires », ainsi que sur le rythme de sortie des nouveaux produits jugé trop rapide. Jonathan Ive tente de se dépêtrer de ce méli-mélo en indiquant que ce qui différencie les « anciens » produits d'Apple de la concurrence, c'est qu'ils sont transmis et réutilisés. « Je pense que c'est une partie fondamentale, et bonne, de la condition humaine que d'essayer d'améliorer les choses », justifie-t-il.

L'autre interrogation concerne Apple elle-même. A-t-elle perdu de sa superbe depuis la mort de son cofondateur ? C'est notamment la thèse d'un livre à paraître d'une ex-journaliste du Wall Street Journal. À cette question, Jonathan Ive fait preuve d'un remarquable optimisme en déclarant qu'il aurait pris sa retraite si Apple n'avait plus rien à apporter.

Nous sommes à l'aube d'une remarquable période durant laquelle un grand nombre de produits vont être développés. Quand vous pensez à la technologie et à ce qu'elle nous a permis de faire jusqu'à présent, et ce qu'elle va nous permettre de faire à l'avenir, nous sommes face à un futur sans limites. Tout est encore tellement nouveau. [...] Chez Apple, nous sommes presque heureux de nous rendre compte que nous ignorons encore plein de choses et on se dit "Wow, nous allons apprendre cela et lorsque nous aurons fini, nous aurons vraiment tout compris et nous ferons quelque chose de génial". Apple est imparfaite comme chaque grande coalition de personnes. Mais nous avons une qualité rare. Nous avons une compréhension instinctive de ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Nous partageons les mêmes valeurs.

Le nouveau champ de compétence d'Apple ? / Concept de Nickolay Lamm

Dans cette période où beaucoup se posent des questions, une chose est certaine : entre Tim Cook et Jonathan Ive, les « commandements » de Steve Jobs ne sont pas près d'être oubliés au sein d'Apple.

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