Bill Gates ironise sur les iPad dans les écoles

Anthony Nelzin-Santos |
Bill Gates n'a pas fini ses études, occupé qu'il était à créer Microsoft et devenir l'un des pères fondateurs de la micro-informatique moderne. Le multimilliardaire est néanmoins aujourd'hui un acteur de premier plan dans le monde de l'éducation, par le biais de la Bill & Melinda Gates Foundation. À l'occasion d'un entretien avec la Chronicle of Higher Education (via), il a longuement exposé ses vues sur le futur de l'enseignement supérieur. Et notamment taclé l'approche d'Apple en la matière.



Apple a en partie été fondée avec l'idée que l'ordinateur personnel pouvait être un outil au service de l'éducation. Que cet idéal ait une portée financière est indéniable, mais il a souvent été mis à l'épreuve au travers de projets dans lesquels la rentabilité immédiate ne comptait pas. En 1982 par exemple, Apple créait sa fondation Éducation, et elle a longtemps testé le déploiement d'Apple II dans des écoles californiennes. Doit-on par ailleurs rappeler que Steve Wozniak a été enseignant de CM2 et qu'il a donné son nom à un prix décerné aux lycéens de la baie de San Francisco ? Ou que NeXT a été fondée par Steve Jobs comme une entreprise dédiée au marché de l'éducation ?

Si la fibre éducative d'Apple s'est faite plus discrète pendant les années 1990, elle est revenue au premier plan avec le retour de Steve Jobs : elle est le produit des idéaux des années 1970 et des créateurs de la Silicon Valley. Elle est aujourd'hui indéniablement moins philanthropique que dans les années 1980, mais néanmoins bien présente : l'eMac était une machine pensée pour les classes ; Apple a multiplié les séminaires pour recueillir les avis des professeurs sur les usages de l'iPod et les a accompagnés dans ce sens ; la firme de Cupertino n'a jamais hésité à concéder de larges réductions au monde de l'éducation ni même à fournir des réponses à des appels d'offres particulièrement agressives. Aujourd'hui, l'iPad et l'iBookstore sont les propositions d'Apple au monde de l'éducation.

Depuis 30 ans en effet, Apple propose ses produits, quoiqu'elle les ait parfois plus spécialement adaptés, et c'est ensuite aux enseignants et aux étudiants d'en disposer. Une approche qui déplaît particulièrement à Bill Gates, qui estime qu'elle répond à la mauvaise question :


Ne faire que donner des appareils aux gens n'a jamais fonctionné. Il vous faut changer le programme et l'enseignant. […] L'appareil n'est pas le facteur limitant pour le moment, du moins pas dans la plupart des pays.


Le fondateur de Microsoft est partisan d'une approche plus globale, mais aussi plus radicale et politique, des mots qui n'ont jamais fait partie du vocabulaire d'Apple. Aujourd'hui libéré des contraintes inhérentes à celles des entreprises, Bill Gates, par le biais de sa fondation, travaille en effet à une approche visant d'abord à rénover les programmes et la manière dont les étudiants et les enseignants interagissent, et seulement ensuite à introduire un élément informatique, et uniquement au service de la rénovation des cursus. Il a notamment investi dans la Khan Academy, qui propose aux étudiants d'apprendre à leur rythme et aux enseignants de n'intervenir que dans un deuxième temps — un système dont le fondateur dit qu'il « pourrait être l'ADN d'une école dans le monde réel où les étudiants passeraient 20 % de leur journée à regarder des vidéos et s'exercer à leur rythme, et le reste de leur temps à construire des robots, peindre des tableaux, composer de la musique ou faire toutes sortes d'autres choses. »

Bill Gates ne peut néanmoins pas s'empêcher de faire un commentaire beaucoup moins théorique, où l'on entend moins le philanthrope et beaucoup plus le président de Microsoft :


Cela ne fonctionnera jamais avec un appareil qui ne possède pas un clavier. Les étudiants ne sont pas là pour seulement lire. Ils sont censés être capables d'écrire et de communiquer. Ce sera plus dans les cordes du PC [que de la tablette].


La Microsoft Surface, une tablette disposant d'un clavier optionnel n'étant pas encore commercialisée, on ne peut juger de ces propos qu'à l'aune de l'insuccès du Tablet PC — alors que les iPad sont d'ores et déjà dans les salles de classe.

Reste que l'approche de Bill Gates, comme celle de Steve Jobs avant lui, reste relativement passive : on est loin des thèses constructionistes de Nicholas Negroponte et Seymour Papert, qui ont par exemple motivé le projet Dynabook d'Alan Kay (qui travailla chez Apple) ou le projet OLPC. Microsoft comme Apple considèrent l'ordinateur, quel que soit sa forme, comme un moyen d'accès au contenu pédagogique — les constructionistes le voient comme un outil pour la résolution des problèmes, les étudiants pouvant par exemple développer de petits programmes pour ensuite résoudre leurs problèmes de mathématiques. Une approche encore plus radicale et profonde qui implique beaucoup plus l'enfant et qui reste aujourd'hui très peu développée.
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