Apple et ses brevets : licencier plutôt qu'attaquer

Florian Innocente |
Le tourbillon des procès dans lesquels Apple et ses concurrents sont entrainés peut continuer indéfiniment, mais ne vaudrait-il pas mieux pour Apple qu'elle change de stratégie ? Bloomberg a recueilli l'avis de différents spécialistes en propriété intellectuelle.

L'approche actuelle d'Apple est de mener la vie dure à ses principaux concurrents (qui le cas échéant le lui rendent bien). Seulement, ce refus en général d'en passer plutôt par des accords de licence ne serait pas viable à long terme «Utiliser ses brevets pour éjecter ses concurrents d'un marché revient à poser des cailloux dans une rivière, les flots trouveront toujours un chemin pour les contourner. Est-ce qu'il ne serait pas plus malin d'orienter la direction de l'eau» suggère Kevin Rivette qui compte quelques fabricants de produits d'Android parmi ses clients.

Lorsqu'un cas de violation de brevet est reconnu par la justice, sauf à ce qu'il soit fondamental au fonctionnement d'un OS ou d'un appareil, une solution de contournement pourra toujours être trouvée, et dans le pire des cas la fonction sera abandonnée, quitte à ce qu'elle desserve quelque peu l'expérience utilisateur. HTC a par exemple annoncé qu'il avait déjà une alternative de prête à une fonction appartenant à un brevet d'Apple (lire Apple prévaut sur HTC devant l'ITC).



Marshall Phelps, ancien responsable des questions de propriété intellectuelle chez IBM déclare «Personne n'a jamais éloigné un de ses concurrents d'un marché avec des brevets, en partie parce qu'un logiciel peut être légèrement modifié pour ne plus enfreindre l'invention». Il y a eu quelques exceptions autrefois, deux exemples sont donnés : pour l'architecture de base d'un ordinateur chez IBM et pour un circuit intégré chez Texas Instruments. Dans le premier cas le Département de la justice américaine a obligé IBM à proposer des licences de son invention, quant à Texas il l'a décidé de son propre chef pour mieux se payer en milliards de dollars de royalties.

Apple pour sa part se trouverait plutôt dans une situation où nombre de ses brevets sont relatifs à du look and feel et moins à des inventions fondamentales.

Cependant d'autres n'imaginent pas Apple adopter dans l'immédiat une attitude plus conciliante «Apple a les brevets, elle a l'argent et elle sait comment mener une guerre» estime un autre observateur, Christopher Marlett, «Je ne vois pas pourquoi [elle] chercherait à instaurer un climat de détente alors qu'elle est sans conteste le leader. Tant qu'Apple ne fera pas l'objet d'une injonction de la part de Google ou de Samsung, elle n'aura aucun besoin de se tourner sérieusement vers une politique de licence» (ndr : cela s'est toutefois produit lors d'un arrangement à l'amiable avec Nokia qui avait un solide dossier contre Apple, mais pas avec Samsung, lire Apple a proposé à Samsung un accord de licence sur un brevet iOS).

L'autre hypothèse formulée par Kevin Rivette est qu'Apple profite de ses brevets pour en négocier quelques-uns. Cela lui donnerait accès à des technologies concurrentes et potentiellement la perspective de collecter 10$ par terminal Android vendu. Une approche adoptée sans complexe par Microsoft qui engrange des dollars chaque fois qu'HTC, Samsung et d'autres vendent un produit Android. Microsoft essaie actuellement, au travers des tribunaux, d'amener Motorola à passer aussi à la caisse (lire Android : Microsoft prend un léger avantage sur Motorola).

Mais avec son trésor de guerre de 81 milliards de dollars (62,5 milliards d'euros), l'argent n'est pas forcément la première des motivations pour signer un accord croisé. Parmi les suggestions il y a celle de voir Apple laisser tomber ses attaques contre Samsung en échange de la non-utilisation de ses inventions pendant une période donnée. Ou de bénéficier de tarifs privilégiés sur des composants fabriqués par le coréen. Ou encore que chacun s'en tienne à certaines catégories de produits, des tablettes grand format pour l'un et plus petit format pour l'autre (ce qui est hautement improbable en soi).

L'idée générale pour Apple serait de négocier des accords de différentes natures en fonction des protagonistes. De manière à tirer profit de ses technologies sur différents niveaux, et participer à instaurer un climat de paix afin de stimuler le rythme rapide d'évolution propre à ce marché du mobile.
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