Tablettes et copie privée : l'imbroglio

Anthony Nelzin-Santos |
À partir de février 2011, les tablettes seront soumises à la taxe sur la copie privée, avec un barème (provisoirement définitif) plafonné à 12 € pour une capacité de 64 Go (lire : La taxe iPad devrait entrer en vigueur au 1er février 2011). Le compte-rendu de la réunion de la Commission d'Albis du 15 novembre 2010 soulève un lièvre : l'iPad est taxé, mais pas les tablettes sous Windows 7.

C'est la FEVAD (Fédération du e-commerce et de la vente à distance, qui tient à préciser « qu’elle estime légitime l'existence de la compensation pour copie privée ») qui souligne ce point. Le plafond tel qu'il a été défini pour le moment permet d'éviter que la taxe ne dépasse 5 % du prix total du produit (alors qu'il se monte à plus de 30 % sur les disques durs sans que cela ne semble gêner la Commission), « bien trop » selon la FEVAD. Ce plafond semble d'ailleurs avoir été prévu pour exclure de fait certaines tablettes d'Archos à disque dur : on sait que Nathalie Kosciusko-Morizet, à l'époque secrétaire d'État à l'économie numérique, n'avait pas hésité à faire jouer la fibre patriotique pour défendre la marque (lire : NKM préfère la tablette Archos à l'iPad).

Et de fait, l'Archos 9 n'est pas soumise à la taxe sur la copie privée, alors que dans une première version du barème, elle l'était. L'argument ? « Le collège des ayants droit a retravaillé sa proposition suite à la présentation d'Archos indiquant que leurs produits n'étaient pas des tablettes mais des mini-PC fonctionnant tous sous un logiciel de PC. Depuis, d'autres produits sont arrivés sur le marché et il est apparu qu'il existait un point commun entre tous ces appareils qui était un système d'exploitation destiné à des terminaux mobiles. Entre temps, tous les appareils Archos sont passés sous Android, logiciel de terminaux mobiles et ont été dénommés tablettes. Archos s’est donc mis lui-même en concurrence frontale avec les produits Apple ou les produits Samsung ou Toshiba et a rejoint la famille de produits des tablettes. »

La Tabbee d'Orange, tournant sur Linux, n'est pas non plus assujettie. L'argument est pourtant différent : « Les représentants d'Orange avaient fait valoir que le Tabbee ne pouvait pas copier directement sur la carte mémoire des contenus protégés, ce qui a été vérifié par le collège des ayants droit. Par conséquent, comme la rémunération de la carte mémoire suit celle prévue pour l'appareil et que le Tabbee n'est pas assujetti en tant que tel, ni l'appareil, ni la carte mémoire ne seront assujettis ». Les cartes mémoire vendues avec un appareil ne seront donc pas soumises à la taxe, mais l'intérêt des ayants droit prime sur toute autre forme de logique générale : « cela ne signifie pas que, systématiquement, lorsqu'un appareil ne permet pas de réaliser des copies sur une carte mémoire externe, celle-ci sera exonérée », et il faut maximiser les revenus en ne cherchant pas à tuer dans l'œuf un « marché […] extrêmement limité ». Au fur et à mesure de la lecture de ce rapport, un constat s'impose : les décisions de cette Commission semblent n'être qu'une collection de cas particuliers sans réelle cohérence générale.

Seules donc les tablettes sous Android, iOS ou tout autre système d'exploitation considéré comme « mobile » seront donc assujetties, sans tenir compte des usages, ou presque. La Commission d'Albis considère en effet que les tablettes ne sont rien d'autre que de gros smartphones : « l'étude produite dernièrement par les ayants droit concernant l’iPad démontre que cet appareil est quasiment systématiquement synchronisé par ses acquéreurs avec leur bibliothèque iTunes, comme pour l’iPod touch et/ou l’iPhone. Ceci signifie que les usages de l’iPad en termes de copie privée sont proches de ceux d’un baladeur numérique (iPod) ou d’un téléphone multimédia (iPhone). Il rappelle à cet égard que la commission a mené des études détaillées, sur le téléphone multimédia, le baladeur numérique, sur lesquelles elle a fondé les barèmes applicables à ces derniers. »

Peu importe donc que Samsung Galaxy Tab et iPad aient remplacé chez certains l'ordinateur, et qu'elles puissent très bien fonctionner sans fil à la patte, ne compte que l'application immédiate d'un tarif provisoire dont on sait qu'il sera le tarif définitif, sans même avoir mené une enquête approfondie sur les usages : « en raisonnant par analogie, à partir d’une étude qui montre qu'il y a une synchronisation quasiment systématique de ces tablettes numériques, on tient compte d’un élément d’usage, certes pas aussi complet que l’étude détaillée qui sera effectuée sur un échantillon plus large une fois les pratiques stabilisées ».

Comme le remarque le représentant de la FEVAD : « les tablettes graphiques (sic) sont les PC de demain. Demain, les PC auront un écran tactile et donc, peu à peu, les PC correspondront à la définition donnée pour les tablettes multimédia ». D'où la question : va-t-on demain taxer l'ensemble des ordinateurs personnels ? Est-il logique que l'on taxe aujourd'hui les tablettes au seul titre de leur popularité ? Voilà qui alourdit, à n'en pas douter, le dossier déjà épais des paradoxes et incohérences de la Commission d'Albis.
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