Si le MacBook Pro était jugé par des utilisateurs d'iPad

Florian Innocente |

MacBook Pro plutôt qu'iPad ou iPad plutôt que MacBook Pro ? Avec un iOS 11 dont beaucoup de nouveautés majeures profitent à la tablette, la question se pose avec une acuité renouvellée.

C'est une question ancienne. Il y a deux ans, Fraser Speirs s'amusait à considérer le MacBook Pro du point de vue d'un utilisateur d'iPad étranger à ces ordinateurs portables (il est administrateur système dans une école écossaise où l'iPad est employé de manière intensive). Charles Arthur, ancien journaliste au Guardian, s'est prêté au même exercice, en se projetant dans un avenir où les tablettes dominent et où ce sont les PC portables que l'on annonce comme la prochaine grande évolution.

Comment quelqu'un de rompu à l'utilisation de l'iPad jugerait-il le MacBook Pro et ce qu'il représente de manière générale en matière d'informatique nomade ? En 2015, Speirs ne pouvait faire valoir les bénéfices d'iOS 11 et la Touch Bar n'était pas encore arrivée, toutefois certains de ses arguments restent recevables.

Comparaison physique en premier lieu. « Le gros problème avec le MacBook Pro c'est son format. Le fait que le clavier et l'écran se limitent à être maintenus dans une configuration en L restreint sérieusement sa flexibilité », écrivait Fraser Speirs. « Il est fondamentalement impossible d'utiliser un MacBook Pro tout en étant debout et excessivement dangereux de le faire en marchant. Votre temps passé à l'utiliser est limité aux moments où vous trouvez un endroit où vous assoir. »

« Le poids ! » s'exclame Charles Arthur. « Ce "portable" pèse une tonne. Voyez : un iPad Pro (10,5", NDLR) avec son clavier c'est 850 grammes. Le MacBook Pro avec son écran de 13" c'est 1,37 kg pour rien de plus qu'un écran un peu plus grand ». Sauf à avoir un « workflow très particulier », il paraît bien irréaliste de songer à changer son iPad Pro pour un MacBook Pro, et se démonter l'épaule au passage, remarque Fraser Speirs.

En plus le tactile est sérieusement limité sur ce portable, poursuit l'administrateur système qui prédit de sérieuses déconvenues pour les artistes, ceux qui prennent des notes ou les enseignants qui s'imaginaient utiliser leur Pencil sur l'écran :

Le MacBook Pro est entravé par son manque d'interactions tactiles. Oui, les trackpads sur les ordinateurs portables d'Apple tentent d'imiter grossièrement la richesse du tactile d'iOS, mais en empêchant de toucher ce que vous voyez, ce sera toujours une piètre imitation de la réalité.

Sans parler de l'impossibilité de basculer entre un affichage paysage et portrait, plus adapté à la lecture de pages web.

Pour le tactile il y a bien la Touch Bar et par exemple ses emojis que l'on peut faire défiler. Puis ce « Touch ID auquel je suis habitué depuis des années », observe Charles Arthur, mais ce n'est pas à moins de 2 000 €.

« Préparez-vous à un choc lorsque vous l'allumerez : l'écran n'est pas tactile. Il peut afficher plus de pixels mais vous ne pouvez rien manipuler dessus avec les doigts, comme on le fait tous ». Pour compenser il y a un trackpad : « une grande surface près du clavier pour déplacer le curseur (appelé aussi parfois la petite flèche). Ce n'est pas étonnant que ces portables soient si gros. Ces trackpad ne font rien d'autre, vous ne pouvez pas taper directement dessus […] Parfois je fais défiler la Touch Bar pour me souvenir des appareils tactiles […] Je suis encore heureux d'avoir Touch ID, car on me dit que certaines personnes tapent leur mot de passe chaque fois qu'ils veulent accéder à leur machine ».

L'une des critiques de Fraser Speirs a été partiellement gommée avec l'arrivée de cette Touch Bar puisqu'elle autorise un changement dynamique de son contenu. Par contre, le clavier souffre toujours du même défaut : « la distribution de ses touches et la langue sont figées en usine et impossibles à changer ensuite », sauf par des réglages qui modifient la frappe mais pas l'affichage des touches. « C'est dingue ! »

La connectique de ces portables n'échappe pas à leur étonnement : « vous pouvez y bancher un autre écran, mais pas plus tactile que le premier et puis, franchement, c'est comme s'ils avaient oublié que ces machines ont du Wi-Fi et du Bluetooth que tout le monde utilise. »

L'absence de caméra arrière interpellait Fraser Speirs. « On a tous cette habitude de prendre une photo et de l'utiliser immédiatement dans un document ou de la partager en ligne sans avoir besoin de câbles, ou d'en passer par des étapes compliquées pour transférer les photos de votre smartphone vers votre ordinateur ».

Ces portables, bien plus chers que les iPad à connexion cellulaire, sont pourtant dépourvus de toute possibilité de se connecter tout seuls. « Malheureusement, les propriétaires de MacBook Pro sont coincés avec seulement le partage de connexion de leur iPhone qui bouffe à chaque fois leur quota de data », se désespérait Fraser Speirs.

Les deux contempteurs du MacBook Pro s'étonnent du catalogue plus restreint d'applications, de leurs coûts plus élevés, de la complexité du gestionnaire de fichiers omniprésent de macOS. De l'absence aussi d'apps dédiées pour certains services (Netflix, Dropbox, YouTube, Airbnb…) qui imposent d'utiliser un navigateur web pour en profiter.

Mais aussi des écarts d'autonomie, sans parler des tarifs qui sont franchement à l'avantage des iPad Pro, alors même que leurs performances et leurs capacités de stockage sont identiques voire supérieures aux portables. Un iPad cellulaire de 10,5" avec 512 Go revient à 1 219 € alors que le premier MacBook Pro 13" Touch Bar avec autant de stockage coûtera 2 249 €, presque le double.

« Si vous avez un mode de travail particulier et très précis, dans un environnement où vous pouvez disposer à coup sûr d'une chaise et d'un bureau, alors vous pouvez certainement travailler sur un MacBook Pro. Pour tous les autres cas, il y a l'iPad », concluait taquin Fraser Speirs.

Charles Arthur termine en grinçant devant cette idée que l'ordinateur portable, qui doit succéder aux tablettes, est déjà annoncé comme bientôt dépassé alors que se dessine un futur sans interface graphique où l'on pourra tout faire en tapant seulement quelques lignes de commandes sur des ordinateurs appelés mainframes et dont on se partagera l'accès.

Chacun à sa place

iPad ou MacBook Pro ? Pour Apple, d'une certaine manière, le choix de l'utilisateur importe peu. Dans les deux cas c'est un client qui entre dans l'un ou l'autre de ses écosystèmes où les parois sont poreuses sinon invisibles.

Les considérations de Fraser Speirs et de Charles Arthur sont intéressantes en cela qu'elles nous imposent de juger les PC portables comme des machines étrangères et les tablettes comme un acquis. Comme si les iPad avaient précédés les portables et avaient formé notre esprit, nos réflexes et nos besoins. Pour apprécier ou critiquer l'iPad, il faudrait faire cet effort difficile d'oublier le Mac.

On râle lorsqu'Apple supprime presque toute la connectique de ses ordinateurs, mais les iPad sont nés déjà « amputés ». L'impossibilité de faire évoluer les composants des MacBook Pro récents suscite les mêmes crispations, cependant on ne s'est jamais émus d'être empêchés d'aller trifouiller dans son iPad.

macOS est jugé plus puissant et plus capable qu'iOS. Mais n'est-il pas, dès lors, formidablement plus complexe pour la majorité des gens ? Est-ce qu'une fraction d'utilisateurs plus avancés ou « pro » ne retient pas en otage son évolution vers plus de simplicité ?

Puisque ces clients plus demandeurs et exigeants ont besoin de macOS, iOS est la réponse pour tous les autres, comme l'écrivait Fraser Speirs. Sous réserve que son évolution soit maîtrisée et contrôlée, le dosage entre ce qui peut-être récupéré de macOS et le reste se doit d'être subtil pour que jamais iOS ne devienne macOS.


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