Édito : pourquoi nous soutenons la démarche d’Apple face au FBI

Anthony Nelzin-Santos |
Image CC BY EFF.

« Le FBI a créé un monde dans lequel les citoyens doivent compter sur Apple pour défendre leurs droits », réagissait Edward Snowden à la parution de la lettre ouverte de Tim Cook sur l’« affaire San Bernardino ». Les révélations du lanceur d’alerte avaient poussé les géants de la Silicon Valley, et tout particulièrement Apple, à remettre l’accent sur le chiffrement. Vingt ans après la première crypto war, l’utilisation de méthodes de chiffrement fortes est à nouveau remise en cause.

Car le débat ne porte pas seulement sur le cas particulier de l’iPhone 5c de Syed Rizwan Farook. Le FBI possède l’historique des communications du tueur de San Bernardino, fourni par l’opérateur, les nombreux contenus extraits d’une sauvegarde remontant à octobre 2015, fournie par Apple, et pourrait accéder au téléphone lui-même… si son propriétaire, le comté de San Bernardino, avait configuré correctement cet appareil professionnel.

Non, malgré ses dénégations, James Comey cherche bien à établir un précédent. Le directeur du FBI voudrait entrer dans un smartphone comme il peut entrer dans un domicile, si ce n’est plus facilement encore. Mais une perquisition requiert l’établissement d’un mandat, qui ne peut être délivré que sur la base d’une présomption sérieuse, et repose sur une logistique qui empêche sa multiplication à grande échelle.

Or à l’heure où les technologies permettent d’amasser et d’analyser des données à grande échelle, la « perquisition » d’un téléphone demande autant d’efforts que la perquisition d’un million de téléphones. La remise en question de la vie privée d’un individu, fût-il terroriste, pose donc celle de la vie privée de tous.

Les détracteurs d’Apple ont bien raison d’en appeler au peuple : c’est à lui, en dernier recours, que la décision revient. Mais cette décision oblige les agences gouvernementales, qui doivent faire preuve d’une exemplarité sans bornes pour mériter la confiance du peuple qui lui confie sa sécurité. Confiance qui a été ébranlée par les révélations de Snowden, et qu’il est difficile de reconstruire lorsque les progrès technologiques ouvrent la porte à tous les abus.

Si les pratiques du FBI ou la DGSI ne peuvent plus être distinguées de celles de leurs homologues des « républiques autoritaires », comment pourrons-nous demain nous offusquer des pratiques de dictatures assumées ? Si une agence peut demander un droit d’intrusion permanente au nom de la sécurité, pourquoi une autre ne pourrait-elle pas le demander au nom de la lutte contre la fraude fiscale ?

« Science-fiction ! », « paranoïa ! », diront certains. Ces questions méritent pourtant d’être posées, et nos démocraties doivent y répondre, comme à chaque fois qu’une mutation technologique entraîne des mutations sociales. C’est d’ailleurs parce qu’elles ne se sont pas emparées de ces sujets que des entreprises privées comme Apple imposent aujourd’hui leurs conditions.

Mais ce débat théorique ferait presque oublier des aspects beaucoup plus prosaïques : si tant est qu’il ait déjà été tout à fait affirmé, notre droit à la vie privée n’a-t-il pas déjà été irrémédiablement érodé ? Avoir le droit à une vie privée, c’est pouvoir contrôler ce qui doit rester privé et ce qui peut devenir public. Au-delà du seul chiffrement, dont on sait qu’il n’a jamais vraiment empêché les agences de renseignement de faire leur travail, il nous faut imposer la discussion sur les usages des technologies dans le débat public.

En tant que média spécialisé, nous continuerons donc à expliquer ces technologies et leurs effets, avec une motivation encore renouvelée. En tant que citoyens, nous militerons pour un usage raisonné des nouvelles capacités techniques, dans le respect des valeurs de notre République. En tant qu’utilisateurs, nous soutenons la démarche d’Apple face aux demandes du FBI.

— L’équipe de MacGeneration

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