Ce qui (ne) manque (pas) à iCloud Drive

Anthony Nelzin-Santos |

Lorsqu’elle a présenté CloudKit, il y a quatre ans déjà, Apple n’a pas seulement résolu les problèmes pressants des développeurs. Elle a aussi — surtout — renversé la logique de l’utilisation du nuage, relégué le Mac au rang de simple périphérique, dégagé une voie pour développer des services transcendant les différences entre les appareils. De Notes à Photos en passant par News, tous ses services reposent désormais sur CloudKit.

Ces services présentent les mêmes données sur le poignet et sur le bureau, mais prennent corps d’une manière différente selon qu’ils s’affichent sur le petit écran de l’Apple Watch ou sur le grand écran de l’iMac Pro. CloudKit, en somme, est le fil rouge qui lie les différents appareils de l’écosystème d’Apple. Du moins, il l’est jusqu’à ce que l’on mentionne iCloud Drive.

C’est peut-être un problème de forme : la photothèque iCloud justifie l’existence de Photos, Notes et News sont des applications bien identifiées, mais iCloud Drive est disjoint. Alors qu’il s’appelle drive, ce n’est pas un disque comme pouvait l’être iDisk. Alors que le Finder comporte un dossier homonyme, iCloud Drive recouvre aussi le Bureau et les Documents, mais pas les autres dossiers de l’utilisateur.

Certains de ses réglages résident dans les préférences du Finder, d’autres dans les Préférences système, d’autres encore dans les Informations système. Les choses sont un peu plus claires sur iOS, grâce à l’application Fichiers, mais un peu seulement, puisque les dossiers des applications côtoient les dossiers de l’utilisateur dans un joyeux bazar. Là encore, la situation de Photos ou de Notes est nettement plus évidente.

Apple donne l’impression d’être resté au milieu du gué, d’avoir conçu un système de synchronisation des fichiers parce qu’il fallait faire comme tout le monde. Alors qu’elle a complètement repensé la gestion des photos, et sacrément dépoussiéré son bloc-notes, elle n’a pas particulièrement réfléchi à la question de l’organisation des fichiers.

Steve Jobs présentant iCloud, en 2011.

C’est pourtant un enjeu majeur, ce genre de problèmes auxquels elle aime se frotter, parce qu’il concerne les néophytes les plus inexpérimentés comme les experts les plus confirmés. Cela ne veut pas dire qu’il faille repartir d’une page blanche, mais il faut bien reconnaître que les services concurrents ont un temps d’avance.

Prenez Dropbox, autrefois qualifié de simple « fonction » par Steve Jobs, qui compte aujourd’hui 11 millions et quelques d’abonnés payants. S’il est loin d’être irréprochable, il offre un miroir des défauts et des manques d’iCloud Drive :

  • en cas de problème de synchronisation, Dropbox n’interrompt pas l’utilisateur, mais échoue « silencieusement » et crée une copie « en conflit » par sécurité. Tout l’inverse d’iCloud Drive, qui empêche l’utilisateur de travailler tant qu’il n’a pas résolu lui-même les conflits, à l’aide de la sous-fenêtre la moins pratique de toute l’histoire de l’informatique. Une sous-fenêtre que vous verrez parfois apparaître au beau milieu d’un glisser-déposer, sur des fichiers que vous venez de créer, ou même des fichiers que vous n’avez pas ouverts depuis plusieurs mois.
  • vous pouvez suspendre temporairement la synchronisation de Dropbox, si vous voulez économiser la bande passante, que vous n’avez pas confiance dans le réseau auquel vous êtes connecté, ou que vous voulez réserver toutes les ressources de votre machine à une tâche particulière. Apple n’offre aucun contrôle sur la synchronisation d’iCloud Drive — or si macOS lève le pied lors de l’utilisation d’Instant Hotspot, il n’économise pas la bande passante lorsque l’on utilise un modem cellulaire traditionnel, puisqu’il pense être connecté à un réseau Wi-Fi domestique.
  • Dropbox offre une grande granularité dans le choix des dossiers devant être absolument stockés en local ou absolument exclus de la synchronisation. S’il fonctionnait correctement, le système d’« optimisation du stockage » d’iCloud débarrasserait l’utilisateur des basses tâches, mieux, le libérerait de l’anxiété liée à la gestion de l’espace de stockage. Las, il est capable de dégager de l’espace non pas en supprimant les énormes fichiers que vous n’avez jamais ouverts, mais en commençant par de petits fichiers que vous utilisez 20 fois par jour1. C’est un problème d’intelligence artificielle, sans doute, mais cette intelligence doit respecter les désirs de l’utilisateur. Un panneau de préférences permettant de donner la priorité à tel ou tel dossier, et exclure tel ou tel autre dossier, ne serait pas de trop.
  • les services de synchronisation ne sont pas des services de sauvegarde, mais la fonction de récupération des fichiers supprimés de Dropbox a tiré plus d’un utilisateur du pétrin. Elle pourrait sans doute être intégrée au client natif, plutôt que d’imposer un passage par le web, mais possède l’intérêt de présenter les fichiers supprimés dans l’arborescence de dossiers, à la manière de Time Machine. Apple, elle, se couvre avec une petite liste à plat dans les réglages du site icloud.com, un mécanisme indigne d’une société parlant d’« expérience utilisateur » à longueur de journée.
  • enfin, Dropbox permet de partager des fichiers ou des dossiers, alors qu’iCloud Drive se limite aux fichiers. Une bizarrerie d’autant plus frustrante qu’un abonnement familial permet de partager le même espace de stockage entre plusieurs membres d’une famille, mais pas de partager certains dossiers à l’intérieur de cet espace, pour les factures par exemple.

Ces critiques, il faut bien le dire, sont fondées sur notre usage des fichiers. Le manque perçu d’un utilisateur est peut-être le manque qui permet de garder les choses simples pour un autre, la flexibilité demandée par un utilisateur est peut-être la complexité détestée par un autre. À ceci près qu’Apple elle-même à déjà répondu à la plupart de ces critiques… avec la photothèque iCloud dans Photos :

  • les problèmes de synchronisation sont extraordinairement rares dans Photos.
  • la synchronisation de la photothèque iCloud peut être coupée temporairement (mieux : elle est rétablie automatiquement après 24 heures).
  • le dossier Supprimés récemment présente clairement les photos et vidéos supprimés et indique le délai restant pour les restaurer.
  • Photos permet de partager un album, qui peut contenir une seule photo ou bien 5 000, peut être restreint en lecture seule ou bien être un espace de mutualisation des photos, et possède un fil de commentaires qui n’est pas loin d’une messagerie collaborative. La liste des participants peut être revue à tout moment, et le partage suspendu et restauré à volonté.

Bref, les outils existent, pas l’interface. Cela dit quelque chose de l’état de la plateforme en matière de gestion des fichiers : Apple n’a pas touché au Finder depuis des années, et s’est contenté du strict minimum avec Fichiers. Mais il y a de l’espoir : on voit avec macOS Mojave des réflexions qui rappellent le meilleur des premières versions de Mac OS X, de petites retouches du Finder qui peuvent apporter de grands changements dans l’usage des fichiers. La marge de progression est immense, Apple semble en avoir conscience.


  1. Comme le fichier de synchronisation des réglages du lanceur Alfred, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, au point que son développeur a dû prévoir un message d’alerte pour déconseiller formellement la sauvegarde des réglages sur iCloud Drive. En lieu et place, il recommande… Dropbox.

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