Adobe, un loueur de logiciels heureux

Florian Innocente |

4 ans exactement après le lancement de son Creative Cloud, Adobe a gagné son pari de basculer d'un modèle de vente de licences à celui d'un abonnement. Quark, son principal adversaire dans la PAO, a beau insister à chaque révision majeure d'XPress sur sa différence de modèle économique ( «Toujours disponible sous forme de licence perpétuelle : aucun abonnement n'est nécessaire ! ), Adobe n'a pas varié de cet objectif de tout miser sur l'abonnement, sans offrir d'autre choix.

Des concurrents sont arrivés, comme Serif, l'éditeur d'Affinity Designer (concurrent d'Illustrator) et d'Affinity Photo disponible sur Mac et sur iPad qui revendique 6,5 millions de clients. Il prépare avec Affinity Publisher un outil de PAO qu'il opposera à InDesign et XPress. Cependant Adobe est à la tête d'un impressionnant catalogue de logiciels sur toutes les plateformes et il a pour lui l'avantage de l'ancienneté et d'un solide enracinement dans les professions qu'il sert.

Il y a quelques jours, lors de ses derniers résultats trimestriels, Adobe annonçait un chiffre d'affaires de 1,77 milliard de dollars dont 83 % (1,48 milliards) provenaient de l'abonnement, c'était 400 millions de mieux qu'il y a un an. Le Creative Cloud s'arroge la part du lion avec environ 55 % du CA de la location, aux côtés de prestations en marketing numérique, contenus photo et analyse de données.

C'était la première fois que le Creative Cloud dépassait le milliard de dollars de chiffre d'affaires. L'éditeur ne communique plus sur le nombre de ses clients mais son patron, Shantanu Narayen déclarait à cette occasion qu'il y avait environ 7 millions d'utilisateurs des précédentes licences Creative Suite à convaincre de venir sur la location.

Pour les nouveaux venus, l'entrée dans le Creative Cloud peut se faire au travers d'un seul logiciel — Adobe a aussi des offres en ce sens — puis certains sont tentés ensuite de migrer vers la formule intégrale avec toutes les applications. Un contingent qui s'est notamment renforcé avec les apps mobiles iOS et Android.

Les prix n'ont pas augmenté, au contraire. En 2013, les formules du "logiciel seul" ou de la totalité coûtaient respectivement 24,59 € et 61,49 € par mois contre 23,99 € et 59,99 € maintenant. Shantanu Narayen expliquait que l'abonnement à Photoshop et Lightroom avait souvent servi ces dernières années de première étape avant d'aller sur la formule complète, et que ce rôle était de plus en plus tenu aujourd'hui par Premiere Pro.

Avant qu'Adobe ne franchisse le Rubicon, la location représentait 5 % de son CA, rappelle Mark Garrett, le directeur financier, dans une interview à Bloomberg. En ne comptant que sur les ventes de boites au lieu de s'appuyer sur des revenus récurrents et prévisibles « Chaque trimestre on recommençait de zéro. Le désavantage du modèle de licence perpétuelle est devenu criant au moment de la récession économique, lorsque le CA a chuté de 18 % en un an ».

Adobe a donc démarré un programme pilote d'abonnements en Australie avant d'en faire la seule et unique proposition commerciale, un choix sans options concurrentes « Ça ne pouvait fonctionner que si les clients, et Adobe lui-même, n'avaient pas le choix ». Les utilisateurs ne se voyaient offrir aucune alternative que de rester sur leur CS ou de s'en aller. Quant à Adobe, il n'avait plus qu'un seul fer au feu. Peut-être aussi qu'un tel chemin est plus simple à prendre lorsqu'on dispose d'un presque monopole sur quelques-unes de ses principales applications ? La première année sous ce nouveau régime a toutefois vu le CA stagner après une baisse de 8 % dans la foulée de l'annonce. Puis l'éditeur est parvenu à amorcer la pompe.

Aujourd'hui, poursuit Mark Garrett, plus du tiers des abonnés sont des nouveaux venus, qui n'ont pas connu les années Creative Suite dans les boîtes en carton. L'époque est aussi plus propice à ce principe d'un abonnement en échange de mises à jour régulières des logiciels.

En conclusion, Bloomberg donne la parole à Brad Trent, un photographe qui avait lancé une pétition en 2013 pour obliger Adobe à reconsidérer sa décision. Lui-même a fini par céder et loue maintenant Photoshop « De leur point de vue, je comprends leur stratégie, mais c'est quelque chose dont vous ne pouvez plus vous séparer » regrette-t-il « C'est comme s'ils avaient rendu tout le monde accro à une héroïne électronique, et vous allez en prendre pour le reste de votre vie ».

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