Comment le DMA va bouleverser les habitudes d’Apple en Europe

Mickaël Bazoge |

La grande mécanique du DMA est en train de se mettre en place. À partir du 3 mars 2024, les premiers effets de la législation européenne sur les marchés numériques devraient être visibles chez les utilisateurs d'iPhone, au grand dam d'Apple. On est revenu sur ce sujet dans un épisode récent de notre podcast Kernel Panic, dont voici la transcription.

À compter du mois de mars prochain, les utilisateurs européens d'iPhone devraient être en mesure d'installer des applications en dehors de l'App Store (sideloading), de remplacer des applications préinstallées par d'autres, ou encore de discuter avec un correspondant WhatsApp à partir d'iMessage. Tout cela, et bien plus encore, sont des mesures inscrites dans le Digital Markets Act, plus connu sous son acronyme DMA.

De gauche à droite : Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur ; Cédric O, ex-secrétaire d'État français au Numérique ; Andreas Schwab, le rapporteur du texte ; Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence. Crédit : ministère de l'Économie.

Ce mardi 2 mai marquait une étape importante pour le DMA : les règles du texte s'appliquent en effet, même si pour le moment les contrôleurs d'accès ne sont pas encore connus. Apple devrait logiquement faire partie de ces fameux « gatekeepers », comme c'est d'ailleurs le cas pour la législation sur les services numériques (DSA). Les contrôleurs d'accès ont maintenant jusqu'au 3 juillet pour notifier leurs plateformes auprès de la Commission européenne. Ces plateformes devront mettre en œuvre les mesures du DMA à compter du 3 mars 2024.

Au vu des mesures contraignantes du texte, il s'agit d'une révolution pas vraiment désirée pour Apple ! Dans le dernier épisode de Kernel Panic, nous avons invité le développeur Raphael Sebbe et deux représentants de la Commission européenne, Antoine Babinet et Daniel Miara, à discuter des différentes implications du texte européen. Pour ceux qui préfèrent lire plutôt qu'écouter, voici le transcript du podcast.

Ouverture de l'iPhone : la révolution européenne qui s'impose à Apple

L'interview a été éditée pour des questions de clarté.

C'est une révolution qu'Apple n'a pas initiée et qui ne doit pas être au goût du constructeur. La législation européenne sur les marchés numériques, alias DMA, change en profondeur les règles du jeu pour les grandes plateformes. Pour ce qui concerne Apple, cela veut dire respecter des obligations qui vont complètement à l'encontre du modèle économique de l'iPhone.

Installer des applications en dehors de l'App Store ? Check. Utiliser un autre moyen de paiement que celui d'Apple ? Check. Remplacer Siri par un autre assistant dans l'iPhone ? Check, check et re-check ! Oui, ça va tanguer dur pour Apple et on va parler de tout ça aujourd'hui dans Kernel Panic.

Pour m'accompagner dans ce podcast, j'ai demandé à Raphael Sebbe de nous donner le point de vue des développeurs qui sont après tout les premiers intéressés. Tu es le fondateur de Creaceed et tu édites plusieurs applications bien connues comme Prizmo ou Hydra.

Raphael Sebbe — Oui, bonjour Mickaël.

J'ai également à mes côtés aujourd'hui Antoine Babinet, vous êtes membre du directorat général en charge de la concurrence à la Commission Européenne et plus spécifiquement vous et votre équipe vous vous occupez de la mise en œuvre du DMA.

Antoine Babinet — Bonjour, c'est bien ça.

Enfin j'accueille Daniel Miara, vous travaillez pour le directorat général de la Commission Européenne en charge du numérique et là aussi vous êtes en charge de la mise en œuvre du DMA.

Daniel Miara — Bonjour.

Avant de rentrer dans les détails, je voulais faire un point sur le calendrier. Le DMA est entré en vigueur, si je ne dis pas de bêtises, le 1er novembre 2022, mais on est actuellement dans une phase où le boulot de la commission est de déterminer qui est un contrôleur d'accès, un « gatekeeper ». Alors déjà, qu'est-ce que c'est qu'un contrôleur d'accès et est-ce qu'Apple peut être considéré d'ores et déjà comme un contrôleur d'accès ?

Antoine Babinet — De notre côté, un petit commentaire ennuyeux pour dire que l'on va s'exprimer aujourd'hui dans notre capacité personnelle et que tous les commentaires qu'on pourra faire ne préjugent en rien de la situation et de l'analyse finale pour un acteur donné. C'est une petite précision qu'on doit faire.

Alors maintenant pour revenir sur ce qui est plus intéressant, la question ! Oui effectivement on est dans cette phase et elle est intense pour nous parce qu'elle est très importante. Le DMA va s'appliquer uniquement à ces contrôleurs d'accès, donc c'est vraiment très important pour définir le champ d'application des règles du DMA.

Alors ces contrôleurs d'accès, ça sera typiquement des très grandes plateformes numériques qui sont actives sur un des dix services qu'on appelle des services de plateforme essentiels et qui sont identifiés dans le DMA. Là-dedans on trouvera les systèmes d'exploitation, boutiques d'applications, moteurs de recherche, navigateurs internet et d'autres encore puisqu'il y en a dix.

En ce qui concerne vraiment le terme de contrôleur d'accès, il vient du fait que ces plateformes sont dans un rôle d'intermédiaires entre des entreprises utilisatrices, donc typiquement des développeurs, et des utilisateurs finaux qui sont typiquement vous et moi qui téléchargeons des apps. Et ça, ça leur donne un pouvoir très important parce que justement il dépend d'elles de donner accès ou non aux entreprises utilisatrices et à quelles conditions.

Tim Cook, Sundar Pichai, Mark Zuckerberg et Jeff Bezos durant l'audition antitrust qui s'est tenue en juillet 2020 aux États-Unis.

Les contrôleurs d'accès qui vont probablement être désignés auront un poids et un pouvoir économique très important en Europe et toute cette analyse va être faite sur la base d'un certain nombre d'indicateurs. Il s'agira soit d'indicateurs financiers, soit en termes de nombre d'entreprises utilisatrices et d'utilisateurs finaux, même si on pourra aussi faire une analyse plus qualitative un peu plus tard.

Et quand je dis que ce sera des grosses plateformes, le seuil en termes d'utilisateurs finaux est de 45 millions de personnes, donc c'est environ 10 % de la population de l'UE. Donc on voit que ceux dont on parle, c'est vraiment des très très gros acteurs.

Est-ce qu'on peut rappeler ici rapidement pourquoi la Commission européenne s'est engagée dans ce texte ?

Antoine Babinet — On avait un instrument qui était performant et qui a permis vraiment de faire bouger les lignes. C'est un instrument qu'on aura encore, c'est l'instrument antitrust. Il y a eu les grandes enquêtes Google qui ont donné lieu à des amendes de plusieurs milliards.

Là, avec le DMA, je crois qu'on veut vraiment aller encore plus loin et le législateur nous a doté d'un instrument qui va vraiment imposer un code de conduite sur un certain nombre d'entreprises, donc ces fameux contrôleurs d'accès, et un code de conduite qui va vraiment avoir deux grands objectifs.

Le premier, ce sera d'augmenter la contestabilité sur ces services de plateforme essentiels. Et ce qu'il y a derrière, c'est qu'on veut voir plus d'innovation, plus de diversité, plus de choix pour l'utilisateur final. Et le deuxième grand objectif, c'est d'essayer de lutter contre un certain nombre de pratiques qu'on juge déloyales, sur un aspect beaucoup plus équité.

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