Microsoft HoloLens : l'hologramme est-il l'avenir de l'informatique ?

Arnaud Laurent |

Entre Windows 10 et une nouvelle app Xbox, Microsoft a durant sa conférence « Le prochain chapitre » mis sur les rails un ambitieux projet de casque virtuel, à mi-chemin entre les Google Glass et l’Oculus VR. Étonnement, il s’agit de l’un des produits les plus enthousiasmants que l’entreprise ait présenté depuis plusieurs années. Si Windows 10 donne une bonne vision de la stratégie software pour Microsoft, l’HoloLens donne un aperçu du « futur ». Pas seulement celui de Microsoft, mais de manière plus large, ce a quoi la technologie pourrait ressembler dans 5 ou 10 ans. Le conditionnel reste de mise.

On a tous vu, dans les films de science-fiction, ces hologrammes à contrôler via des mouvements très élaborés. On pensait qu’en 2015, un requin holographique sauterait sur les passants devant un cinéma, et ça n'est pourtant pas encore arrivé. Des films comme Minority Report donnent souvent à voir un futur probable, mais la réalité évolue de manière beaucoup plus pragmatique. Le smartphone en est un bon exemple : de nombreux usages imaginés dans une époque finalement lointaine sur de multiples supports, les cartes interactives, les encyclopédies infinies, les vidéoconférences… ont fini par migrer dans nos poches, dans une forme et avec des outils assez différents de l'imagination débridée des écrivains et des scénaristes.

À cet égard, l’HoloLens de Microsoft se montre enthousiasmant, tout en restant pragmatique dans l'usage des technologies actuelles. Plutôt que de projeter d’immenses images qui, encore aujourd’hui, sont extrêmement complexes à mettre en place, le casque les affiche juste devant les yeux de l'utilisateur. Il faut également remettre les choses à leur juste place : parler d'hologramme est sans doute un rien abusif, Microsoft faisant un usage très astucieux des technologies de réalité virtuelle (comme sur le casque Oculus VR) et la réalité augmentée, qui affiche des objets virtuels dans un environnement réel. De fait, l'HoloLens est plus proche d'un écran projeté, et non d’hologramme réellement placé dans l’espace physique. Du point de vue de l'utilisateur, le rendu final est le même.

L’approche de Microsoft est plutôt intelligente sur ce point. Jusqu'à maintenant, on avait deux types d’appareil technologique à placer directement devant les yeux, chacun avec ses avantages et ses inconvénients.

D’un côté, les Google Glass : premier initiateur de cette tendance, elles avaient l’avantage de ne pas obstruer la vue, tout en y ajoutant du contenu. Le souci tenait au fait qu’il fallait aller chercher le contenu du regard qui ne se plaçait pas naturellement dans le champ de vision. De fait, les informations sont assez mal intégrées. Globalement, l’approche de Google n’est pas dénuée de sens, mais force est de constater qu’elle n’a pas été payante… à tel point que la commercialisation des Glass a été arrêtée en attendant un avenir meilleur (lire : Tony Fadell chausse les Google Glass).

De l’autre, il y a les casques VR, type Oculus VR. Ce matériel a l’avantage de donner une information dans la totalité du champ de vision. On peut se plonger totalement dans ces données qui s'incarnent sous la forme d’un monde virtuel. C'est tout l'avantage et l'inconvénient de ce genre de casque : il coupe complètement du monde extérieur. De fait, aucune interaction avec le monde physique n’est possible. Ce défaut réduit considérablement le champ d’action, puisque la seule chose qu'il est possible de faire, c’est évoluer dans un monde qui n’existe pas physiquement. Si le projet est convaincant durant les premières minutes d'utilisation, en conditions réelles et dans la vie de tous les jours, il aura sans doute du mal à trouver sa place (sans compter l'écosystème logiciel à bâtir autour). Et c'est sans oublier que le cerveau humain reste très mal équipé face à ce type de technologie. Ils sont nombreux les testeurs de l’Oculus Rift à se retrouver désorientées, nauséeux (la fameuse cinétose), ou qui ont simplement du mal à gérer les interactions de l'environnement virtuel avec le monde physique.

Et c’est là que Microsoft semble avoir tapé juste. Le casque HoloLens projette des informations sur la totalité du champ de vision, tout en laissant le champ visuel complètement ouvert sur l’environnement physique. De plus, là où Google positionnait ses Glass comme un objet « permanent » que l'on porte à toute heure de la journée (même s'il se pose la question de l'autonomie de la batterie) , le casque virtuel de Microsoft est considéré comme un outil — il n’est pas question de le porter sans raison. On peut y voir un formidable outil de création, un levier d’apprentissage, ou plus simplement une console de jeu. Ce dernier point sera fera très certainement l’objet d’une attention toute particulière de la part de Microsoft, créateur de la Xbox.

Les jeux en sont arrivés aujourd'hui au point où il apparait difficile de faire mieux techniquement parlant. Les interactions, les graphismes, sont sans commune mesure avec ce que l’on connaissait il y a dix ans. Et dans dix ans, difficile de croire que les graphismes pourront encore connaître de grande révolution, à moins de tendre vers le photoréalisme. Microsoft va donc certainement aller chercher du côté de technologies d'interactions nouvelles, comme l'éditeur de Windows l'a d'ailleurs déjà exploré avec Kinect. La réalité augmentée est l’un des terrains de prospection des développeurs, mais cette technologie est encore relégué au rang de gimmick faute d'une immersion optimale (il faut regarder son environnement avec l'iPhone devant soi, par exemple). Le casque HoloLens soulève un coin du rideau du futur du jeu vidéo. Un exemple est celui d’une scène tirée du film Her, où le personnage principal joue en face d’un environnement virtuel, avec lequel il interagit directement, non pas via une manette, mais avec des gestes… mais sans casque.

Microsoft semble avoir des plans identiques. On le voit avec l’exemple de Minecraft, où le protagoniste interagit dans le jeu exactement de la même façon. La technologie Kinect prend ici tout son sens. On peut même retourner voir du côté des précédentes innovations de la branche Xbox avec la technologie Illumiroom, qui « numérise » une pièce puis y projette une image augmentant l'expérience d'un jeu vidéo. Les « hologrammes » de Microsoft ont cet avantage de n’être visibles que par la personne qui porte le casque, et donc moins envahissants dans l’espace. Nul doute que Microsoft réussira à « chaîner » plusieurs casques pour que tous puissent disposer de la même information au même moment.

Au delà du jeu vidéo, le casque HoloLens a aussi des visées plus pratiques. Microsoft n'a pas manqué d'en faire la démonstration durant la conférence : les ingénieurs peuvent, par exemple, visualiser différentes étapes d’un projet, projetées directement sur une maquette. Les objets virtuels peuvent aussi être déplacés et repositionnés… ce qui n'est pas sans rappeler des séquences de films de SF. Plus près du quotidien de chacun, HoloLens peut aussi servir à obtenir rapidement des conseils illustrés pour resserrer des tuyaux de plomberie !

En combinant ainsi des usages « lourds » (dans un labo, en entreprise) avec une utilisation plus légère (jeu vidéo, conseils pour la vie de tous les jours), Microsoft étreint ici les deux « visions » qui ont mené d'une part Facebook et Oculus Rift au développement de l'Oculus VR, de l'autre Google avec Glass. Il demeure bien des questions en suspens : le prix, le lancement (durant la durée de l'exploitation de Windows 10, a promis Satya Nadella), le soutien des développeurs…

Encore plus qu'avec d'autres appareils disruptifs, l'HoloLens, ce sera à l'utilisateur d'inventer la vie qui va avec… soutenu par un écosystème le plus important possible. À ce niveau, Microsoft s'est donné le maximum de moyens de réussir, les API d'HoloLens étant enchâssés dans Windows 10. Et le casque en lui-même est un PC sous Windows. L'objectif de l'éditeur ici est d'éviter à l'HoloLens le sort peu enviable que connaît actuellement le Kinect : une technologie à l'immense ambition et aux perspectives enthousiasmantes, mais dont l'intérêt s'est étiolé au fil des revirements de son créateur et du désintérêt des studios de jeux.

Le projet est donc ambitieux, très ambitieux. La présentation de Microsoft est d'ailleurs loin d’être anodine, alors que le marché de la réalité virtuelle est encore balbutiant. Il reste à voir la façon dont le projet sera porté et s’il va réellement prendre, ou s’il va se retrouver au rayon des projets présentés beaucoup trop tôt, comme a pu être le Newton pour Apple. Espérons donc que Microsoft gérera ce projet de manière intelligente soutenue par une vision sur le long terme, et non pas comme une danseuse que l'on exhibe pour faire bonne impression sur scène (comme Glass a pu l'être).

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