D. Ichbiah : "les géants du Web doivent s’adapter à notre droit et non l’inverse"

Christophe Laporte |

En l’espace d’une décennie, Google, Yahoo, Facebook, Twitter ou encore Wikipédia ont pris une place immense dans notre quotidien pour le meilleur... et pour le pire. Si les internautes ont rapidement goûté aux côtés pratiques de ces services, ils en ont découvert les affres petit à petit.

Daniel Ichbiah, qui a écrit de nombreux livres notamment sur Apple et Microsoft, s’inquiète dans son nouvel ouvrage Les Nouvelles Superpuissances du poids considérable que ces sociétés sont en train de prendre. Dans ce livre, il s’intéresse notamment aux cas Google, Facebook, Wikipédia, Twitter, Microsoft et, dans une moindre mesure, Apple. Alors que Google a affiché sur sa page d'accueil pendant tout le week-end un communiqué sur son non-respect de la loi « Informatique et libertés », nous avons interrogé l'auteur sur les reproches qu’il fait à ces « superpuissances ».

MacGeneration : À la lecture du livre, on a l’impression de se réveiller avec une gueule de bois. On s’est bien amusé pendant 20 ans, et on découvre qu’on a mis au monde des monstres…

Daniel Ichbiah : C’est exactement cela. Durant des années, nous avons été à la fête. Nous avons tour à tour découvert le MP3, les blogs, la vidéo, les réseaux sociaux, des dizaines de services qui n’ont cessé d’arriver les uns après les autres et qui étaient plus aguichants les uns que les autres. Ce faisant, nous avons mis sur le trône une dizaine de sociétés américaines. Et nous avons découvert, un peu tard, que ces sociétés ont le pouvoir de nous nuire et que nous ne pouvons presque rien y faire.

Pour prendre un exemple simple, 10 % des demandeurs d’emploi ne parviennent pas à se faire embaucher à cause de ce qui apparaît sur eux, sur Facebook ou Google. Le souci, c’est ce que ce sont des entreprises qui se considèrent comme américaines, elles estiment qu’elles n’ont pas de compte à rendre en France, en Suisse, en Belgique… Donc, le pauvre gars qui voit sa réputation gâchée par Facebook ou Tumblr écrit à ces sociétés et on lui répond quelque chose dans cet esprit : « Ah, vous ne trouvez pas d’emploi ? Votre femme vous a quitté ? C’est dommage pour vous. Mais nous n’y ferons rien. D’abord, ce n’est pas de notre faute, c’est un ordinateur qui a fourni ces résultats ». En clair, ces boîtes sont en train de bafouer nos valeurs démocratiques, celles auxquelles nous sommes attachés en Europe.

Récemment, Google a été condamné par la CNIL pour violation de la vie privée et comme d’habitude, ils ont nié tout en bloc et sont allés en appel. Ces boîtes, que ce soit Yahoo!, Amazon, Twitter ou autre méprisent les lois françaises. La justice a dû batailler fortement pour que Twitter France daigne donner l’identité d’auteurs de tweets racistes.

Est-ce qu’il n’est pas facile de jeter la pierre à ces entreprises ? N’est-ce pas à l’internaute également de faire attention à ce qu’il fait comme dans « la vraie vie » ?

Le souci, c’est que l’internaute ne s’est douté de rien… Il n’a aucunement été prévenu de ce que les géants du Net étaient en train de tramer. Je vais prendre un parallèle. Parfois, on arrive dans un quartier ou dans un lieu où il y a des caméras. Il y a généralement un avis qui va avec, où ils tentent de nous faire croire que c’est pour notre bien. « Nous vous filmons pour votre sécurité ». Libre au citoyen de ne pas aller là s’il veut, mais au moins il est prévenu. De même parfois, nous appelons une entreprise et on dit que la conversation sera enregistrée. Là encore, nous sommes libre de raccrocher si cela nous déplaît.

Maintenant quand nous allons sur un moteur de recherche, nous n’avons aucun message qui nous prévient de la conservation des données. Ce serait tout de même la moindre des choses, sur la page d’accueil de Google de nous dire : « attention, nous allons garder trace de tout ce que vous allez taper et ce pendant deux ans. Si le gouvernement nous demande une copie de ce que vous avez tapé, nous le lui fournirons ». De plus, les grands du Web nous avaient caché leur collaboration avec le renseignement américain, ce que Snowden a dévoilé… Donc, oui l’internaute doit faire attention. Encore faut-il qu’il soit informé de ce que l’on fait de son activité sur Internet.

Et dans le passé, il n’y a pas eu de raison de se méfier. Lorsque nous regardions la télévision, il n’y avait pas une caméra cachée qui notait ce que chacun de nous regardait comme émission. Si nous l’avions découvert, nous aurions été choqués… Le deuxième aspect, c’est que nos gouvernements se retrouvent un peu désarmés du fait que les géants du Web sont des sociétés américaines qui par défaut, ne respectent pas le droit français. Il faudrait parvenir à une législation commune au niveau européen, quelque chose qui permette de peser face à des sociétés comme Yahoo! ou Twitter.



Est-ce que les lacunes actuelles ne montrent pas l’incapacité des États à mettre en œuvre des juridictions qui répondent aux enjeux d’Internet ? 

Tout est allé trop vite et les instances officielles ont eu du mal à suivre. Depuis les débuts du Net, c’est le cas. Personne n’a vraiment su prédire ce qui se passerait. Ainsi quand les universités se sont équipé en haut débit dès 1997, personne n’avait prévu que cela ferait exploser les téléchargements MP3… Pour ce qui est de l’aspect juridique, il faut voir que personne n’avait imaginé que la menace puisse un jour venir d’entreprises privées. La peur, c’était de voir les gouvernement stocker des informations sur nous et donc, il y a eu énormément de mesures pour protéger les citoyens des fichiers gouvernementaux mais pas sur les entreprises privées de droit américain.

Lorsqu’il y a un souci, il faut souvent passer par la justice d’Irlande – ces entreprises placent leur siège européen là-bas pour mieux échapper à l’impôt – or, l’Irlande freine des quatre fers, car elle ne veut pas voir Google et les autres quitter son territoire, cela amène tout de même des emplois locaux… Du coup, les affaires judiciaires, comme celle de Max Schrems contre Facebook (un étudiant autrichien qui lutte contre la politique de confidentialité du réseau social, ndr) ont du mal à avancer.

Dans le livre, il est expliqué comment Microsoft est parvenu petit à petit à tisser son empire jusqu’à dominer l’industrie high-tech à la fin des années 90. Et comment Microsoft est en quelque sorte le modèle pour toutes ces « nouvelles super puissances ». Le relatif déclin de Microsoft n’est-il pas une raison d’être optimiste ?

Microsoft a érigé un modèle qui est en partie basé sur le fait de disposer d’un revenu automatique, et de sources de revenus très diversifiées. Ce qui a fait la fortune de Bill Gates, c’est que Microsoft a très vite disposé d’une vache à lait immense du fait que c’était d’autres qui vendaient Windows. Chaque personne qui achetait un PC trouvait Windows dedans, qu’il le veuille ou non. En d’autres termes, ce sont HP, Dell, Asus, Sony et autres constructeurs de PC qui achètent Windows à Microsoft pour le revendre à l’utilisateur. L’un des secrets de Microsoft est là : le revenu automatique. Comment ils sont parvenus à contraindre HP et les autres constructeurs à placer Windows sur leur PC, c’est une longue histoire et c’est ce qui leur a valu le fameux procès de 1998, « les Etats-Unis contre Microsoft ».

Google a transcendé le modèle du revenu automatique. Cette fois, cette société vend des adwords (mots clés publicitaires) et aux enchères. Cela veut dire qu’elle a le monde entier comme client. Elle va vendre le mot clé « bicyclette » à un marchand de vélo et comme il n’est pas seul, à partir de là, les marchands de vélos vont se battre et payer ce mot-clé de plus en plus cher pour arriver en tête des résultats. Mais certaines sociétés achètent des dizaines ou centaines de milliers de mots clés. Une agence de voyage veut apparaître dans les résultats de Google quand on tape « vacances en Auvergne », « vol Toulouse Madrid », « hôtel pas cher à Rome »… On peut imaginer le nombre de mots clés qu’ils payent chaque mois à Google.

Dans le livre, je cite des chiffres de 2009 et nous voyons que déjà, Amazon avait réservé pas moins de 913 341 adwords, ce qui lui coûtait 9,5 millions de dollars par mois ! Et oui, Amazon doit acheter les mots clés des noms d’écrivains, des livres, des DVDs… eBay pour sa part, qui vend toutes sortes d’objets possibles et imaginables, avait réservé 736 756 adwords  soit un budget mensuel de 9,7 millions de dollars. Et ça c’était en 2009. Moralité : Google a un chiffre d’affaire de 50 milliards de dollars et ce revenu est en partie automatique. Ce revenu ne peut qu’augmenter car la Fnac et Amazon doivent se battre en permanence pour que le mot clé « Victor Hugo » fassent apparaître leur site en premier. Il y a une image que j’aime bien donner. Google est la seule société au monde qui pourrait fermer pendant un an et envoyer tout le monde en vacances. Lorsqu’ils reviendraient, ils auraient tout de même augmenté leur chiffre d’affaire, du fait que les mots clés sont aux enchères. Vous allez payer « Victor Hugo » 1 € en janvier, 2 € en février et ainsi de suite.

Apple pendant longtemps n’avait pas de revenu automatique mais depuis iTunes, ils l’ont. Et cela a changé leur histoire. Ils l’ont aussi avec le marché des apps pour iPhone / iPad où ils perçoivent 30 % sur chaque app vendue. Un revenu automatique, c’est une des clés de ces superpuissances.

Internet Explorer ne domine plus le marché des navigateurs web (janvier 2014 / source : StatCounter)

Un autre point que Microsoft a su exploiter, c’est la diversification, qui très tôt lui a permis de tuer la concurrence. Si vous vendez une dizaine de produits différents, vous pouvez vous permettre de brader l’un d’eux, le temps d’annihiler un concurrent. C’est ce que Microsoft a fait quand ils ont lancé leur base de données Access. Ils l’ont bradée, le temps de réduire à néant les leaders d’alors, notamment une société qui s’appelait Borland. Ils ont vendu Access sept fois moins cher que Paradox, le produit de Borland, et bien évidemment, ils ont coulé Paradox. Après cela, ils pouvaient se permettre de tarifer Access à un prix normal.

Google utilise ce même principe. Android est donné gratuitement aux fabricants de téléphone et ils l’ont donc adopté (le Guardian a récemment révélé que les fabricants devaient payer autour de 0,75 $ par appareil pour notamment intégrer les applications de Google, ndr). Ce système outrageusement copié sur iOS a fini par prendre plus de part de marché, ce qui rendait Jobs fou. Google n’a cure d’offrir gratuitement Android, cela leur sert à placer leurs publicités sur les smartphones des gens. Mais d’autres agissent de même. Amazon a fait en sorte de réduire à néant plus d’un concurrent en bradant les prix sur un secteur particulier, à un niveau que ce petit concurrent ne pouvait supporter. Cela s’est passé par exemple avec la société Diapers.com qui s’était fait une réputation dans les accessoires pour jeunes mamans. Amazon a cassé les prix sur leur domaine jusqu’à ce Diapers.com hisse le drapeau blanc et accepte de se faire acheter à bas prix.

En gros, Microsoft a montré l’exemple sur des points tels que ceux-ci mais aussi sur d’autres. Et bien des géants du Web ont adopté ces mêmes tactiques. Maintenant, c’est sûr, Microsoft n’a plus la même aura qu’auparavant. Ils n’ont plus une domination de 95 % dans les systèmes d’exploitation. Et Apple les a dépassé en 2010, ce qui a été un tour de force que personne ne pouvait prédire 10 ans plus tôt. Pourtant, ils sont très loin d’être hors jeu. Il suffit déjà de se rendre compte que Bill Gates demeure l’homme le plus riche du monde alors qu’il n’est même plus actif dans la boîte qu’il a créé. Et Microsoft a énormément de sources de revenus que l’on ne perçoit pas au niveau du grand public. Par exemple, ils « louent » énormément d’ingénieurs maison à de grandes entreprises, c’est devenu une part importante de leurs revenus. Le déclin n’est donc que relatif.

Sont-ce ces fameuses superpuissances le véritable problème ? Le problème n’est-il pas plutôt politique ? Les différentes lois consacrées à Internet se succèdent et sont toujours à côté de la plaque.

 Il y a plusieurs aspects à cette question. En premier lieu, il y a 20 ou 30 ans, des lois ont été votées pour protéger le simple individu des fichiers gouvernementaux. Nous avons eu le Freedom of Information Act aux USA, les lois Informatique et Libertés en France… Chacun peut donc aller voir le gouvernement français, demander à voir quelles informations ils ont sur lui, les faire corriger si elles sont fausses, demander à ce que certaines n’apparaissent pas. Ce que personne n’avait imaginé, c’est qu’à partir des années 2000, ce sont des sociétés de droit privé qui stockeraient des informations sur vous et qu’elles seraient américaines. Dans toute l’histoire humaine, aucune entreprise, aucun gouvernement n’a accumulé un volume de données comparable à ce que Google ou Facebook stockent sur chacun de vous. Et comme l’ont montré certaines démarches comme celle effectuée par l’autrichien Max Schrems, Facebook stocke des informations sur vous qui dépassent de loin votre seule activité sur Facebook – et continue notamment de conserver des informations que vous avez effacées. Aucune loi ne nous protège contre ces géants américains.

En premier lieu, ils n’en n'ont rien à cirer de vos requêtes. Faites le test – le magazine dont je suis le rédacteur en chef l’a fait et ce que nous avons vu a de quoi faire froid dans le dos. Envoyez une lettre à Yahoo France, à Google France, à Facebook France… Dites leur que telle information qu’ils affichent sur vous est fausse et demandez-leur de l’enlever. Vous serez surpris par la froideur de leur réponse, l’irresponsabilité sociale de ces filiales françaises. Ils n’en rien à cirer des soucis du simple utilisateur. Ceux qui ont obtenu gain de cause sont des entreprises comme Direct Energie qui ont tout de même dû aller en justice pour faire entendre leur voix et obtenir réparation. Tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir un avocat. Et  ces procédures peuvent prendre des mois et des mois. Le souci, il est là. Ces boîtes sont américaines et bafouent donc les principes en vigueur chez nous sans même estimer qu’elles feraient le moindre mal. Ce n’est pas le cas qu’en Europe. Il y a tout de même des dissidents chinois qui ont fini en prison grâce à la complicité de Yahoo!... 

Sans trahir de secret, l’une des conclusions du livre, c’est d’appeler à la vigilance et à utiliser toute la diversité du net, plutôt que de se restreindre aux services d’un nombre limité d’entreprises. Concrètement, qu’avez-vous changé dans votre vie de tous les jours à ce niveau suite à l’écriture de ce livre ?

J’avoue que je continue d’utiliser le cloud d’Apple, mais si j’étais cohérent, j’arrêterais de le faire. Il se trouve qu’un jour mon iPhone est tombé en rade. S’il n’y avait pas eu le cloud, j’aurais perdu toutes mes données. Elles ont été restaurées depuis iCloud. Donc c’est sûr, il y a du bon dans ces services, et c’est un peu comme cela qu’ils nous tiennent. Mais dans l’idéal, il faut utiliser un cloud qui soit en France et certifie que les données ne sont stockées qu’en France. Il faut aussi éviter de placer des informations sensibles sur son iPhone – certains vont jusqu’à mettre leur code ADN sur leur smartphone, je ne le ferais pas.

Dans le livre, je recommande d’utiliser un VPN, un logiciel qui masque votre identité sur le Net. J’avais commencé à utiliser un VPN, Hyde my Ass, un logiciel britannique. Hélas, j’ai découvert depuis que l’Angleterre collabore activement avec les USA dans la collecte de données – celle qu’a révélée Edward Snowden en mai 2013, et qui nous a notamment fait découvrir que Google, Yahoo!, Microsoft, Facebook mais aussi Apple ouvrent leurs tuyaux à la NSA. Donc, utiliser un VPN britannique, c’est ultra risqué. Utiliser un VPN américain, cela ne sert à rien. L’agence de renseignement américaine peut décoder les informations comme si elle était chez elle tant la collaboration est intense dans ce pays – à leur corps défendant, ces entreprises n’ont souvent pas le choix.

Dessin : Kichka / Courrier international

Un des points clés, c’est la diversification. Il vaut mieux utiliser un navigateur différent pour ses recherches sur le Net, un autre pour Facebook, etc. C’est bien simple, j’en utilise quatre : Safari, Firefox, IE et Chrome. Il faut éviter que trop de données puissent transiter par un même navigateur, l’explication serait un peu longue à donner ici.

En quoi pourrait-on avoir plus de confiance dans un cloud en France qu’aux Etats-Unis ? Que faut-il craindre le plus ? La façon dont Google et Facebook exploitent les données ou les gouvernements censés nous protéger ?

Si le cloud est en France, il devrait théoriquement être possible de ne conserver cette copie des données qu’en France. Quand je dis cela, je pêche par trop grand optimisme, car, par la nature même d’Internet, il se peut fort que la NSA récupère tout de même une partie au moins de ces données. Je prends un exemple simple. Imaginons que j’habite à Bordeaux et que le cloud français soit à Toulouse. Et bien, il se pourrait que les données transitent tout de même, en tout ou partie par l’Amérique entre ces deux points. C’est lié à la nature d’Internet qui fait que les informations suivent un chemin qui n’est pas forcément prévisible. Et donc, si une partie de ces données passent par New York, le renseignement américain va les aspirer… Si le cloud est américain, on peut être certain que tout sera copié. En réalité, l’idéal, c’est de gérer une sauvegarde sur un disque dur en local, avec un logiciel qui n’opère pas de connexion au Web.

Pourquoi avoir choisi Wikipedia comme objet d’études dans ce livre ?

Par défaut, Google, le moteur de recherche le plus utilisé, nous propose la page Wikipédia comme première réponse à la plupart des questions. Wikipédia, c’est donc devenu la parole d’Evangile du Web, ou plutôt le site qui est censé diffuser la connaissance. Or, le souci, c’est que comme n’importe qui peut placer n’importe quelle information sur Wikipédia, rien ne garantit qu’à un instant t, l’information que vous allez y trouver sera vraie. Une fausse information peut demeurer là des semaines ou des mois avant d’être finalement corrigée. Le souci, c’est qu’un certain nombre d’internautes sont paresseux et ne vont pas chercher plus loin – en premier lieu, ils ignorent que ce qu’ils lisent sur cette « encyclopédie » peut être faux. Nous voyons donc des informations fausses dupliquées sur des centaines de sites – il a suffi qu’elles soient captées à un moment où elles étaient fausses et c’est parti. J’ai écrit des livres sur certains artistes comme Madonna et j’ai vu comment une information erronnée peut être dupliquée de site en site, et du coup, avoir un semblant de vérité. Là n’est pas tout. Un professeur, Loys Bonod a d’ailleurs fait un test. Il a volontairement introduit une biographie fausse pour un auteur et a donné un sujet à ses élèves sur cet écrivain. La moitié se sont contentés de recopier les fausses informations trouvées sur Wikipédia. Autant dire qu’il y a un souci.

Pourquoi est ce que Google ne propose pas en premier la fiche de Larousse, qui est beaucoup plus fiable ou d’autres encyclopédies comme Imago Mundi, qui est globalement exempte de défauts même si elle est moins complète ? Il y a d’autres soucis avec Wikipédia et je vais en donner un exemple. Notre culture européenne veut que l’on accorde à quelqu’un le droit à l’oubli. J’ai longtemps correspondu avec des gens en prison. Ils avaient commis une erreur à un moment de leur vie mais voulaient s’en sortir. Il semble juste que la société efface l’éponge et leur permette de repartir à zéro. Cela fait partie de nos traditions humanistes. Or, une des responsables de Wikipédia m’a dit qu’un débat avait eu lieu en interne et qu’ils ont décidé de ne pas appliquer le droit à l’oubli. Elle a ajouté : « que cela plaise ou non, c’est comme cela ». C’est cet aspect que je trouve révoltant. Que ce soit Google, Yahoo!, Facebook, Wikipédia ou d’autres, nous assistons à des violations quotidiennes de notre droit, des principes auxquels nous sommes attachés, de valeurs durement gagnées par ceux qui nous ont précédé… Ces valeurs sont bafouées par une dizaine de sociétés qui sont toutes américaines et se moquent du droit français. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir avec quel zèle, ils échappent à l’impôt chez nous…

Oui mais comment faire dans ce cas ? Certains pays militent pour le droit à l’oubli, d’autres non. Comment faire quand on s’appelle Wikipédia et qu’on a une audience mondiale ?

À mon sens, c’est cela qui est incroyable, c’est que c’est nous, européens, qui devons plaider pour que ces géants appliquent le droit local. Or, par le passé, c’était tout de même implicite. Par exemple, nous avons dit non aux OGM en Europe et cela n’a pas posé de souci, on ne nous les a pas imposés – même s’il y a eu des modulations de ce principe. Certains produits en vente libre aux USA comme la mélatonine qui aide à mieux dormir ont longtemps été interdits à la vente en France. Cela semble donc normal qu’une entreprise américaine s’adapte au droit local là où elle va. Or, ici, nous avons un exemple où le droit local est bafoué alors qu’il pourrait être adapté. Wikipédia France est une entité française, qui devrait respecter le droit local.

L’exemple de Wikipédia n’est pas le pire. Celui qui utilise la toute dernière version d’Office et donc la messagerie Outlook peut être certain – si j’en crois un expert que j’ai consulté, Jean Françoise Beuze – que son courrier sera copié par les renseignements américains. Si en France, nous savions que le courrier envoyé par emails était copié par les RG, nous nous insurgerions.

Pourquoi devrions nous accepter qu’il le soit par la NSA ? La seule différence c’est que cela paraît si loin que cela en devient irréel, peu palpable. En attendant, nous avons des valeurs auxquelles nous sommes sensibles, nous nous devons de les défendre. Ce sont les géants du Web qui doivent s’adapter à notre droit et non l’inverse.

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