Quand Nokia a réalisé trop tard ses erreurs

Pierrick Aubert |

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Voilà qui résume le virage stratégique du constructeur finlandais. Avec l’arrivée des smartphones, la compagnie a progressivement perdu sa place de leader du marché mobile.

Le succès de Nokia a commencé il y a environ 20 ans avec la démocratisation des téléphones portables. Les produits de Nokia ont été très bien accueillis par les consommateurs du monde entier, du fait notamment de leur facilité d'utilisation. Pas besoin de manuel ou de notice. Les appels se faisaient en appuyant le bouton vert et l'on raccrochait avec le bouton rouge. Rien de bien compliqué ! En 2008, un an après la présentation de l'iPhone, un journaliste du quotidien finlandais Helsingin Sanomat a décidé de faire part de son expérience d’utilisateur à l'entreprise. Bien plus qu’une banale critique, l'histoire que Lauri Malkavaara partage aujourd'hui est un témoignage qui montre comment le constructeur nordique a négligé l'évolution des téléphones, au point de se faire voler la vedette par la concurrence.

Hors du cadre professionnel, le journaliste a écrit une lettre au service presse de Nokia il y a cinq ans. "J'espère que vous allez transmettre ma lettre à la personne appropriée. Toutefois, il serait préférable de l'encadrer et de l'accrocher sur le mur de votre hall d'entrée de sorte que chaque employé de Nokia puisse la voir chaque matin", commence-t-il. Dans celle lettre, il fait part de sa satisfaction concernant ses premiers mobiles de fonction :

Mon employeur m'a acheté mon premier téléphone portable en 1996. Il était pratique et fiable, mais il est tombé en panne en 2001. On m'a alors fourni un autre téléphone avec de nouvelles fonctions et même Internet. En dépit de ces nouveautés, j'ai rapidement appris à utiliser ce nouveau téléphone Nokia. Ce deuxième téléphone est tombé en panne la semaine dernière et mon employeur m'a acheté un nouveau mobile, le troisième que j'ai jamais eu.
Nokia E51 - Photo Andrew Currie CC

Le troisième téléphone de Lauri Malkavaara était un Nokia E51. Avec cet E51, quelque chose avait changé. Alors que les appareils précédents étaient simples et intuitifs, il était nécessaire pour la première fois de consulter le mode d'emploi pour comprendre les menus devenus soudainement plus complexes. Techniquement, le mobile proposait toute sorte de nouvelles fonctions, mais les choix étaient si nombreux que son utilisation devint un vrai casse-tête. Le changement de sonnerie demandait une recherche approfondie dans les différents menus et lors de l'envoi d'un SMS, il fallait choisir entre message texte, message multimédia, message audio, ou e-mail. Une manipulation fastidieuse et obligatoire lors de chaque envoi. L'auteur ajoute même avoir fait appel à une connaissance à l'aise avec la technologie pour l'aider.

Six mois après avoir reçu le Nokia E51, le journaliste a eu l'occasion de tester le tout nouvel iPod Touch d'un ami.

Ça a été le coup de foudre, je voulais un iPod, cet appareil qui me permettrait de naviguer confortablement sur Internet et bien plus encore. Au premier démarrage de l'iPod touch que je venais d'acheter, je savais immédiatement comment l'utiliser. J'ai utilisé cet appareil quotidiennement pendant six mois sans avoir à consulter le manuel. La façon dont il fonctionnait était comme une évidence.
Photo m-s-y CC
La question était donc posée : que s'était-il passé en Finlande pendant ce temps-là ? "En mettant un téléphone comme le E51 sur le marché, Nokia a arrêté de jouer la carte de la simplicité", estimait Lauri Malkavaara. À sa façon, le journaliste a tenté d'alerter le constructeur de ce changement majeur. Une interface et des fonctions compliquées, voilà de quoi perdre des utilisateurs jusqu'à présent fidèles. L'idéal avec un nouvel appareil est d'apprendre à le maitriser le plus rapidement et le plus simplement possible ; chose que Nokia semblait avoir oublié.

La réponse de Nokia

Les jours suivants l'envoi de cette lettre, le journaliste a reçu de nombreux appels de Nokia. La lettre avait circulé dans l'entreprise et les patrons voulaient s'entretenir avec lui. Bien que Malkavaara ait répété que tout cela n'avait aucun lien avec son travail, la direction était tenace. S'en est alors suivi une rencontre en privé avec l'un des dirigeants.

Photo Chiva Congelado CC

Très rapidement, le journaliste a compris que son courriel avait fait effet, touchant quelque chose de sensible. Le représentant de Nokia a d'abord défendu la stratégie de sa compagnie, expliquant que les utilisateurs étaient différents et que, par conséquent, il fallait proposer des mobiles différents. Le journaliste a rétorqué aussitôt que "les personnes désirant utiliser un mauvais téléphone n'existent pas". La discussion était tendue, mais après quelques explications concernant la complexité d'utilisation du Nokia E51, le représentant de la compagnie a soudainement demandé s'il s'agissait toujours d'un entretien privé. C'était évidemment le cas, et son discours a alors changé radicalement.

"Je suis entièrement d'accord avec vous et je tiens à m'excuser au nom de Nokia d'avoir produit un mauvais téléphone pour vous", a-t-il alors déclaré. À la grande surprise de Malkavaara, le patron a ajouté que la compagnie travaillait sur un nouvel OS mobile et que de nouveaux terminaux devraient changer la donne. Quelques années plus tard, une seconde rencontre a eu lieu. Le journaliste apprit à cette occasion que le système d'exploitation mobile de Nokia n'était autre que Meego. L'OS a d'ailleurs progressé très lentement avant d'être mis complètement de côté par le PDG Stephen Elop.

Lors de cette réunion privée, le représentant de la compagnie est revenu sur la sortie de l'iPhone aux États-Unis en 2007. Nokia a suivi la chose avec beaucoup d'intérêt et lui-même avait eu l'occasion de tester le smartphone d'Apple. Et d'indiquer qu'il avait confié l'iPhone à sa fille de quatre ans et qu'elle avait su l'utiliser immédiatement. C'est à ce moment que le géant Nokia a compris qu'il était en difficulté, conclut Lauri Malkavaara.

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