Quand Steve Jobs écrivait « Cacabook » pour parler de Facebook

Mickaël Bazoge |

Les premiers utilisateurs de l'iPad, lancé au printemps 2010, ont dû attendre quasiment un an et demi avant de pouvoir utiliser une application Facebook adaptée à leur grand écran. Mark Zuckerberg avait déclaré que l'iPad n'était pas une plateforme mobile mais un « ordinateur », sous entendu : les utilisateurs de la tablette pouvaient se contenter de Safari. Finalement, le réseau social a fini par proposer une app.

L'app Facebook sur iPad en 2011.

À l'occasion du procès opposant Epic à Apple, on apprend que l'animosité entre le constructeur et Facebook ne remonte pas à hier. En juillet 2011, Scott Forstall, qui supervisait le développement d'iOS, envoyait un e-mail à Phil Schiller et à Steve Jobs sur l'avancée des travaux concernant la version iPad de Facebook, et ses discussions avec Mark Zuckerberg.

Facebook, qui se rêvait à l'époque plateforme d'applications et de jeux (rappelez-vous la folie Farmville), souhaitait les intégrer dans son app pour iPad. Mais pour Apple, pas question de céder : cela aurait été comme un App Store dans l'App Store, autrement dit une boutique alternative. Zuckerberg n'en était « pas content », car à ses yeux ces applications faisaient partie de « l'expérience Facebook » : « il n'était pas sûr de pouvoir faire une app pour iPad sans eux », écrit Forstall. Facebook proposait :

  • de ne pas intégrer de répertoire d'apps dans l'application du réseau social (pas même des liens) ;
  • d'empêcher ces apps tierces de fonctionner dans une vue web depuis l'app Facebook ;
  • de permettre aux utilisateurs du client iPad de publier des statuts dans le journal lié aux apps tierces ;
  • de rediriger l'utilisateur vers l'app tierce — si elle était installée sur l'iPad —, vers l'App Store ou vers Safari s'il touchait un lien présent dans un post.

Steve Jobs a accepté ce compromis, exception faite de la troisième demande, suivant en cela la recommandation de Forstall. La réponse de Jobs contient d'ailleurs un jeu de mot gratiné, à moins qu'il ne s'agisse d'un lapsus révélateur de son état d'esprit : dans son mail, il a changé le nom « Facebook » en « Fecebooks », « fece » (« feces » en fait) se traduisant par… « excrément » ! Voulait-il dire « 💩book » ?

Trois jours plus tard, après une nouvelle discussion manifestement tendue avec Zuckerberg, Forstall explique que Facebook n'aime pas la proposition d'Apple. Le patron du réseau social réitérait que les apps tierces faisaient partie intégrante de Facebook. Ce à quoi Schiller a répondu que non seulement aucune d'entre elles n'était natives iPad, mais aussi qu'elles n'avaient pas été dûment examinées. De plus, elles n'utilisaient aucune API ni aucun outil d'Apple, et elles n'étaient pas disponibles dans l'App Store.

L'app Facebook pour iPad finit malgré tout par sortir, mais avec une limitation : la monnaie virtuelle qui permet d'acheter des trucs dans les jeux distribués par Facebook ne pouvait servir dans le client iPad. Depuis, Facebook a changé de stratégie et les ponts avec Apple ont brûlé.

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