Audition antitrust : comment Tim Cook va défendre Apple

Stéphane Moussie |

C'est le grand jour pour Tim Cook, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et Sundar Pichai. Les CEO de quatre des plus grandes entreprises technologiques vont passer sur le gril de la commission antitrust des États-Unis en raison de soupçons de pratiques anticoncurrentielles.

Si Apple, Amazon, Facebook et Google baignent dans le même secteur, les accusations portant sur chacune d'entre elles sont différentes : Apple est accusée d'abuser de sa position sur l'App Store pour écarter la concurrence et forcer les développeurs à lui verser une commission ; Amazon est suspectée de se servir de son double rôle de vendeur et de propriétaire de place de marché pour favoriser ses propres marques et produits ; Facebook est critiquée pour sa mainmise sur les réseaux sociaux et sa modération des contenus ; enfin la domination de Google sur le marché de la publicité et de la recherche est mise en cause.

Tim Cook a d'ores et déjà rendu sa copie : le discours liminaire qu'il tiendra a été publié par la Chambre des représentants. La teneur de ses propos s'inscrit dans la droite lignée de ceux tenus par Phil Schiller hier et de la défense d'Apple sur ce sujet depuis des années.

Image Apple

« Le marché du smartphone est hautement concurrentiel, avec des entreprises comme Samsung, LG, Huawei et Google qui ont créé des activités mobiles très fructueuses grâce à différentes approches, commence Tim Cook. Sur tous les marchés où nous opérons, Apple n'est jamais en position dominante. Ce n'est pas seulement vrai pour l'iPhone, c'est également vrai pour toutes les catégories de produits. »

Un argument vrai dans l'immédiat, l'iPhone détient une part de marché d'environ 20 % dans le monde, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une plateforme incontournable (c'est la seule autre avec Android), avec comme seule porte d'entrée l'App Store.

« Sur l'App Store, les développeurs fixent leurs prix pour leurs apps et ne payent jamais pour un "espace en rayon", poursuit Tim Cook, qui oublie de préciser qu'un compte développeur permettant de distribuer ses apps sur la boutique coûte 99 $ par an. À tous les développeurs, Apple fournit et améliore continuellement des outils de pointe. »

« Les règles de l'App Store garantissent une expérience utilisateur de grande qualité, fiable et sécurisée. Elles sont transparentes et appliquées uniformément à tous les développeurs, quelles que soient leurs tailles et leurs catégories », affirme ensuite le dirigeant. L'histoire a pourtant montré à plusieurs reprises que tous les développeurs n'étaient pas traités sur un pied d'égalité.

Dans son livre App Store Confidential, Tom Sadowski, ancien responsable de l'App Store pour plusieurs pays européens, explique que les plus gros éditeurs de la boutique bénéficient d'un traitement spécial, avec des contacts privilégiés à la validation notamment. Cette différence de traitement est après tout compréhensible : en cas de gros bug, il n'y a pas la même urgence à valider une app utilisée par des millions d'utilisateurs qu'une seulement employée par une poignée de gens.

Récemment, une autre découverte a contredit le discours officiel selon lequel les règles sont « transparentes et appliquées uniformément » : une poignée de fournisseurs de contenus, dont Amazon, bénéficient d'un passe-droit pour louer ou vendre des films sans passer par le système d'achats intégrés de l'App Store. Non seulement les conditions pour avoir droit à ce privilège sont toujours très obscures, mais en plus il a fallu que cette exception soit mise en lumière par la presse pour qu'Apple communique publiquement à son sujet.

Tim Cook note néanmoins que les règles « ne sont pas gravées dans le marbre. Elles ont évolué de la même façon que le monde a évolué, et nous travaillons avec les développeurs pour les appliquer de manière juste. » À l'occasion de la WWDC 2020, et quelques jours après l'ouverture d'une enquête antitrust de la Commission européenne sur l'App Store, Apple a annoncé qu'en cas de refus de validation, les développeurs allaient pouvoir contester la guideline concernée. Autre compromis : même quand une app enfreint les règles, l'App Store ne bloquera pas une mise à jour de correctifs, sauf si cette mise à jour est liée à l'infraction elle-même.

Sur le volet économique, Tim Cook fait valoir que « les commissions d'Apple sont comparables ou plus faibles que celles de la majorité de nos concurrents. » Mais il omet le fait que sur Android, les apps du Play Store ont plus de liberté en matière de moyens de paiement, et qu'il est même possible de passer outre la boutique de Google.

« Je suis ici aujourd'hui parce qu'une investigation est correcte et juste. Nous tenons compte de ceci avec respect et humilité. Mais nous ne faisons aucune concession sur les faits », continue Tim Cook, qui se fait plus offensif :

Après avoir commencé avec 500 apps, l'App Store en compte aujourd'hui plus de 1,7 million — et seulement 60 d'entre elles sont créées par Apple. Clairement, si Apple est un gardien du temple, ce que nous avons fait est d'ouvrir en grand les portes. Nous voulons accueillir le plus d'applications possible sur le Store, et non pas les refouler à l'entrée.

Une assertion là encore critiquable : les services de jeu en streaming sont tenus en dehors de l'App Store, ou à tout le moins sont pénalisés, par une série de règles spécifiques et arbitraires.

En somme, Tim Cook est droit dans ses bottes, sûr que la façon dont est géré l'App Store aujourd'hui, et plus globalement l'écosystème iOS, est appropriée et favorable à la concurrence. Ce discours sera suivi par des questions des parlementaires.

Accédez aux commentaires de l'article