L'inextricable dépendance d'Apple à sa chaîne d'assemblage chinoise

Mickaël Bazoge |

En tant que directeur des opérations, Tim Cook a tout misé sur la Chine. En 2000, deux ans après son entrée chez Apple, il rencontre Terry Gou, le fondateur de Foxconn. Dès l'année suivante avec l'iPod, assemblé par l'entreprise de Taïwan avec une poignée d'autres fournisseurs, sa fortune est faite. Depuis, Apple a mis toutes ses billes sur la Chine, sa main d'œuvre bon marché, ses conditions de travail avantageuses, et le soutien du gouvernement. Un pays qui est aussi devenu un de ses principaux marchés. Tout bénèf' pour la Pomme.

Chez Foxconn. Image : Apple.

Mais depuis quelques années, la Chine a cessé d'être cet eldorado. Du côté des ventes d'abord, celles de l'iPhone se dégradant au profit des champions nationaux, Huawei en tête ; sur le versant politique, il a fallu jouer la carte de la séduction auprès de Donald Trump pour que les taxes douanières sur les produits importés de Chine ne frappent pas (trop) les appareils d'Apple. Il y a aussi le caractère de plus en plus autoritaire du régime de Pékin, qui entre en contradiction avec les valeurs de l'entreprise, et les demandes pressantes de la Maison Blanche pour produire aux États-Unis.

Enfin, le dernier avatar en date touche au cœur du réacteur. L'épidémie de coronavirus agit en effet comme un révélateur de la faiblesse de la chaîne de production et d'assemblage d'Apple : sa concentration quasi exclusive en Chine, comme l'explique le Wall Street Journal.

En 2015, plusieurs cadres d'Apple ont proposé que l'entreprise délocalise l'assemblage d'au moins un produit au Vietnam, ce qui permettrait à Apple de débuter le long processus de formation des travailleurs locaux et la mise en place d'un écosystème de fournisseurs en dehors de l'Empire du Milieu. La direction du groupe n'a rien voulu entendre, préférant s'en remettre à la seule machine bien huilée de production en Chine.

Devant les difficultés qui se sont empilées ces dernières années, Apple a fait un peu machine arrière en lançant la production d'AirPods au Vietnam, d'iPhone en Inde et du Mac Pro aux États-Unis. Mais à l'heure actuelle, il est impossible de se passer de la Chine : la chaîne d'assemblage au pays fait travailler indirectement trois millions de personnes, tandis que Foxconn a la capacité d'embaucher des centaines de milliers de travailleurs saisonniers pour faire face aux fortes demandes.

Sans oublier que la Chine a mis le paquet sur les infrastructures (routes, ports) pour devenir le « plus grand atelier au monde ». Cela lui confère un avantage substantiel sur d'autres pays à forte main d'œuvre mais moins bien équipés. Il se pose aussi la question de l'expertise technique. Si les AirPods peuvent être assemblés au Vietnam, c'est parce qu'il s'agit d'un produit dont les composants sont « simplement » collés à l'intérieur. De plus, les écouteurs comptent trois fois moins de composants que l'iPhone.

Sur le papier, l'Inde pourrait prendre en charge la production d'une bonne partie des iPhone. Mais la chaîne des fournisseurs n'est pas encore au point et là encore, les travailleurs locaux ne sont pas aussi précis et minutieux que leurs homologues chinois. L'an dernier, Apple avait envisagé l'assemblage d'iPhone 11 en Inde, avant de renoncer à ce projet.

L'usine américaine des Mac Pro.

Quant à la relocalisation complète aux États-Unis, elle est encore illusoire. Certes, l'usine d'Austin (Texas) assemble le Mac Pro depuis 2013, mais la production se destine aux marchés américain et sud-américain. Le reste du monde est servi par une ligne chinoise. Durant son interview de la semaine dernière, Tim Cook a vanté la « résilience » de son réseau chinois, en indiquant toutefois que des ajustements pouvaient être opérés si nécessaire. Mais il sera bien compliqué pour Apple de démêler complètement l'écheveau chinois, sur le court comme sur le moyen terme, et peut-être même plus encore. Coronavirus ou pas…

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