Phil Schiller : « Nous sommes aussi des clients, de l'intérieur »

Florian Innocente |

À la suite de l'annonce des dates de la prochaine conférence des développeurs Apple en juin, Phil Schiller a passé une tête dans le podcast Accidental Tech Podcast animé par John Siracusa, Marco Arment et Casey Liss. La discussion d'environ une heure a tourné autour de la WWDC et de ce qu'elle implique comme organisation et efforts.

Phil Schiller en 2017, CNN Business

Cet événement annuel où convergent quelques 5 000 développeurs depuis des dizaines de pays, d'un bon millier d'ingénieurs d'Apple, sans parler de la presse, est en quelque sorte le "Superbowl d'Apple". C'est là que sont montrées les évolutions prévues pour les prochains OS, avec généralement aussi des lancements de matériels.

Cette année, Apple fêtera le trentième anniversaire de ce rendez-vous, Phil Schiller a participé à 28 d'entre eux. Parmi les grands moments il se souvient des démos de QuickTime, de Mac OS X, de l'App Store. Des produits et services dont la présentation fut souvent l'aboutissement d'années de travail.

La deadline imposée par ce rendez-vous, toute artificielle qu'elle soit, est une « excellente chose », dit-il. Elle impose une constance et oblige tout le monde à travailler dans la même direction.

Au fil des années, les préparatifs se sont considérablement transformés, en même temps qu'Apple gagnait en stature : « Nous sommes passés d'une seule plateforme à plusieurs, qui s'entrecroisent ainsi qu'avec des produits autour qui ont leur propre calendrier et fonctions. Lorsqu'on lance iOS, c'est iOS pour l'iPhone, pour l'iPad et c'est aussi la fondation de watchOS. Il fonctionne pour le HomePod, avec macOS pour une fonction comme celle de Continuité. Toutes ces interdépendances sont extrêmement importantes. »

« Plusieurs mois à l'avance », poursuit Schiller, «on sait que l'on aura telles ou telles nouveautés, mais il faut avoir une bonne vision des choses et suffisamment de confiance sur notre capacité à montrer la plupart des fonctions en bêta. Et puis il y a les fonctions dont on ne peut pas parler, car liées à des matériels qui restent à venir ».

Développeurs et App Store

Des douzaines et des douzaines d'équipes ont leurs propres interdépendances, ça ressemble au « contrôle du trafic aérien », illustre Schiller « L'objectif est de sortir un produit de qualité. Nous ne sommes pas parfaits mais c'est ce qui nous tient à cœur ».

Si Apple peut compter sur une communauté de centaines de milliers de développeurs, 5 000 seulement, tirés au sort et capables de payer les 1 600 $ du ticket d'entrée (hors voyage et hébergement), pourront être sur place. Pour assister aux dizaines de conférences et avoir l'occasion de tête-à-tête techniques avec un ingénieur d'Apple.

La solution pour accueillir davantage de monde sur place n'est pas d'avoir plus d'employés, estime Schiller, ces occasions de discuter avec les gens d'Apple en souffriraient.

À défaut de pouvoir accueillir tout le monde, il insiste sur les efforts faits pour mettre rapidement à disposition les vidéos des conférences « Ça prenait des mois, maintenant ça se compte en semaines voire en jours » de même que les transcriptions et le sous-titrage de ces présentations.

D'autres rendez-vous de moindre envergure se tiennent dans le monde. Il y a les "Tech Talk" dans quelques grandes villes, les "Developers Academy" en Italie et au Brésil, "l'Accelerator labs" en Inde ou des "Entrepreneurs camps" pour des développeuses.

Schiller insiste sur la volonté de servir à égalité les grands éditeurs comme les développeurs indépendants et les toutes petites équipes. C'est « un principe qui est au cœur de l'App Store » par opposition à l'ancienne époque des logiciels vendus en boite dans les magasins. Cette plateforme dématérialisée a permis une égalité d'accès aux ressources mises à disposition par Apple.

Il donne en exemple la refonte l'année dernière de l'App Store, avec son contenu éditorial dans la section "Aujourd'hui". Elle propose des reportages, des interviews, des portraits de développeurs et des sélections de logiciels de toutes sortes : « L'équipe éditoriale s'assure que ces ressources marketing profitent aux petits développeurs qui feront d'excellentes applications ».

L'enjeu est de taille, pour Apple comme pour les éditeurs mis en avant : « Il y a environ un demi-milliard de visiteurs par semaine sur l'App Store ». Une foule dont les allées et venues sont analysées pour essayer de comprendre ce qui marche. Des données de visite et de temps passé, anonymisées, qui permettent d'étudier l'impact de l'App Store sur les clients.

Keynote

Le keynote n'est pas le seul rendez-vous d'une WWDC mais il n'y a que dans celui-ci que se mêlent 3 publics très différents : les développeurs, la presse et, à distance, l'utilisateur lambda.

Il s'agit de concocter un déroulé d'annonces qui soit équilibré pour ces trois profils : « On n'entre pas dans le détail des API, car on a aussi des utilisateurs qui regardent et qui veulent comprendre ce qu'une nouvelle fonction va leur apporter concrètement. Ces trois publics sont importants dans le keynote ». Les développeurs ont ensuite leur State of the Union et les différentes conférences plus ciblées et plus techniques pour aller dans le détail du code.

Rompu à cet exercice des démonstrations sur scène, Schiller dit ne plus ressentir de trac, seulement une impatience doublée d'anxiété. Car lui et ses collègues, comme Craig Federighi très présent lors des WWDC, vont se faire pendant deux heures les ambassadeurs du travail effectué par des « centaines sinon milliers d'ingénieurs qui ont bossé d'arrache-pied. C'est un honneur et une responsabilité de présenter leur travail, de faire passer le message de ce qu'ils ont fait. Nous sommes aussi des clients, de l'intérieur. Nous aussi nous adorons ces produits, nous voyons l'effort accompli et nous essayons de les présenter de la meilleure manière. Comme on aimerait qu'elle le soit si nous étions avec les clients qui assistent à ces démonstrations ».

La démo du saut

Schiller livre ensuite des anecdotes sur la démo de 1999 qu'il fit pour l'iBook équipé en Wi-Fi, une technologie largement inconnue du grand-public à l'époque.

Pour la blague, il avait sauté d'une hauteur de trois étages avec le portable dans les bras, pour montrer que la connexion sans-fil tenait. Ce jour-là le keynote se tenait à New York au Jacob K. Javits Convention Center (lire aussi AirPort : la naissance du Wi-Fi pour tous).

Initialement l'équipe d'Apple avait pensé utiliser un mannequin en forme de Tilt, la fourmi de 1001 pattes. Mais Steve Jobs préférait que ce soit une personne en chair et en os, et il proposa à Phil d'être cette personne, ajoutant qu'après cela il n'aurait plus jamais de démo à faire sur scène, il serait entré au "Panthéon des démonstrations".

Schiller répondit enthousiaste :« Sure, Ok !". En précisant qu'il ne signerait aucune décharge et que s'il mourait en s'écrasant comme une merde, sa famille ferait un procès à Apple.

À quelques minutes de l'ouverture de la conférence, des responsables du Jacob K. Javits Convention Center s'alarmèrent qu'Apple n'avait signé aucune décharge pour exonérer le centre d'un éventuel accident. Il était tard pour s'en rendre compte, l'assistance était déjà dans la salle et scandait le nom de Steve Jobs. Le directeur des affaires juridiques d'Apple sortit alors une carte de visite et s'en servit pour y écrire fissa une décharge…

La promesse que ce serait l'ultime démo qu'aurait à faire Schiller ne fut pas tenue et ça ne l'a pas chagriné. Plusieurs fois dans l'entretien il dit à quel point ces exercices sont stimulants, puisqu'ils reviennent à pouvoir révéler les projets secrets qui ont été préparés pendant des mois ou des années. La nuit suivant ces keynote, il dit rester debout pour parcourir les sites d'actu, les blogs, lire les avis publiés, prendre le pouls de ce qui se raconte sur Apple et ses nouveautés : « Aujourd'hui ce n'est plus trop compliqué pour savoir ce que pensent les gens » dit-il en riant.

Schiller en février dernier lors d'un événement Audi Sport

À la fin du podcast, la discussion fait un crochet par le domaine automobile, une passion de Schiller. Pas pour évoquer les projets d'Apple en la matière mais pour savoir quel est LE modèle qui, pour lui, surclasse tous les autres. Après avoir énuméré plusieurs sportives, il arrête son choix sur un véhicule italien, la F50 Spider de Ferrari : puissance et légèreté.

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