La culture de l’erreur : Apple esquisse une autocritique

Mickaël Bazoge |

iPhone, iPad, Mac, Apple TV, Apple Watch, Apple Music, iCloud, CarPlay, quatre systèmes d’exploitation, des services en ligne à la pelle, et demain une Apple Car… La Pomme d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celle de 1997, quand Steve Jobs, revenu aux manettes, décimait la gamme Apple de l’époque pour la simplifier drastiquement. Aujourd’hui, on s’y perd un peu dans toutes les activités menées de front, parfois en désordre de bataille, par le constructeur.

Évidemment, même avec toute la bonne volonté du monde et des poches bien pleines, toutes les nouveautés sorties ces dernières années – matérielles, logicielles, ou les services – ne sont pas forcément au niveau d’excellence que l’on est censé attendre d’Apple. Tim Cook, Eddy Cue et Craig Federighi esquissent le début de ce qui ressemble à une autocritique dans un très (très) très long papier de FastCo en forme de « mise au point ».

Le coup de semonce Plans

L’alarme a sonné en interne chez Apple avec le fiasco de Plans, en 2012. Dès son lancement en septembre de cette année, le service de cartographie d’iOS 6 a été l’objet de toutes les moqueries, et à raison : on ne comptait plus les erreurs factuelles et graphiques. « Écoutez, la première chose que nous avons ressentie a été de l'embarras », explique Eddy Cue qui a pris en main le développement de Plans après le départ forcé de Scott Forstall.

Cliquer pour agrandir

« Nous avons complètement sous estimé le produit, sa complexité. Toutes les routes sont connues, allons ! Tous les restaurants sont connus, il y a Yelp et OpenTable, ils ont toutes les adresses. Le courrier arrive. FedEx arrive. Ça ne doit pas être bien sorcier ! ». Une manière pour lui de dire qu’Apple a pris ce projet trop à la légère.

Nous avons décidé que Plans faisait partie intégrante de toutes nos plateformes. Il y avait tellement de fonctions que nous voulions bâtir qui dépendent de cette technologie, et nous sentions que nous n’étions pas dans une position que c’était quelque chose qui ne pouvait pas nous appartenir.

« Les cartes sont au cœur de la structure organisationnelle pour le monde physique avec lequel vous interagissez », enchérit doctement Federighi. « La cartographie est la fondation pour dégager de la valeur pour la plateforme, comme nos systèmes d’exploitation sont une fondation ». Pour Eddy Cue, faire des erreurs, « cela vous oblige d’abord à vous demander, “Est-ce que [le produit, le service] est important ? Est-ce que c’est un secteur où il faut investir trois ou quatre fois plus, ou avons-nous fait cette erreur parce que le produit n’était pas si important pour nous ?“ ».

Décision est donc prise, en haut lieu, de mettre le paquet pour non seulement corriger les erreurs de nature de Plans, mais aussi (et surtout) de l’améliorer constamment. Cela signifiait l’emploi de « plusieurs milliers de personnes ». Et surtout, le développement de compétences auxquelles Apple n’avait pas pensé, précise Craig Federighi. « Plans présente de grosses difficultés liées à l’intégration des données et à la qualité des données, des choses que nous devions résoudre sur une base quotidienne ».

Ces changements appris à la dure ont eu des conséquences sur le processus de développement en interne chez Apple – et a amené l’entreprise à s’ouvrir un petit peu au monde. « Pour nous tous qui vivons à Cupertino, la cartographie [de Plans] était vraiment bonne », explique Cue. « Alors le problème n’était pas évident pour nous. Nous n’avons jamais vraiment pu tester [Plans] auprès d’un plus grand nombre d’utilisateurs pour avoir des retours. Maintenant, nous le faisons ».

La bérézina de Plans a donc eu une conséquence finalement positive : Apple a mis en place des bêtas publiques, d’abord pour Yosemite en 2014, puis l’année suivante pour iOS 8.3. La cagade d’Apple Maps, c’est « la raison pour laquelle, en tant que client, vous avez la possibilité de tester iOS », confirme Cue. Un programme qui se poursuit actuellement avec macOS Sierra et iOS 10.

L’avenir de Plans n’a pas été révélé, évidemment, à FastCo. En revanche, Eddy Cue a donné une piste intéressante d’une fonction qu’il aimerait voir apparaitre dans le logiciel : « Disons que je suis à la maison en train de taper un e-mail avant d’aller au bureau. J’aimerai que Maps me dise, “Ne partez pas maintenant, votre voyage sera plus court de 15 minutes si vous restez chez vous un petit moment“. Ce serait très pratique ».

Apprendre de ses erreurs

L’exemple de Plans montre qu’Apple apprend de ses erreurs et est capable de se remettre en cause, un discours plutôt rafraîchissant de la part des dirigeants de l’entreprise. Et une communication qui fait souvent défaut alors que les griefs des utilisateurs s’accumulent. « Je ne lis pas toute la couverture presse sur Apple », avoue Tim Cook (à l’impossible, nul n’est tenu…). « Mais de la manière dont je vois les choses, je pense connaitre la vérité », poursuit-il. Espérons-le !

Le futur d’Apple pourrait bien être très différent de son passé. « Une des choses que vous savez si vous travaillez dans le monde des technologies depuis un moment », indique Cue, « c’est votre dernier produit qui détermine si vous êtes bon. Personne ne veut de l’iPod originel. Personne ne demande un iPhone 3GS ». C’est pourquoi Tim Cook « pousse » Apple dans une voie bien plus grande que tout ce que Steve Jobs aurait pu imaginer. « Je veux qu’Apple soit présente, vous savez, pour toujours », assure le CEO. Et cela peut impliquer de se planter.

Nous n’avons jamais dit que nous étions parfaits. Nous avons dit que c’est ce que nous cherchions à être. Mais parfois, on se trompe. La chose la plus importante, c’est “Avons-nous le courage d’admettre que nous nous sommes trompés ? Et comment allons-nous changer ça ?“ La chose la plus importante pour moi, en tant que CEO, c’est que nous conservions ce courage.

« Est-ce qu’Apple fait plus d’erreurs que d’habitude ? », demande Tim Cook. « Je n’ai pas de traqueur pour ça ». Le patron d’Apple sait que les erreurs sont inévitables. Mais il insiste pour que ses employés tendent vers la perfection. Avec une méthode bien différente de celle de Steve Jobs. « Steve Jobs vous le disait tout net », se rappelle Cue, « il hurlait, alors que Tim est plus calme, plus cérébral dans son approche. Quand vous décevez Tim, même s’il ne vous crie pas dessus, vous ressentez la même chose. Je n’ai jamais voulu décevoir Steve, et je ne voudrais jamais décevoir Tim ».

Une innovation à pas comptés

Revient maintenant sur le tapis la question de l’innovation. Apple donne l’impression de faire du surplace, avec des produits qui se contentent d’évoluer par petites touches – et le futur iPhone, qui ne devrait pas bouleverser une gamme lancée il y a deux ans, pourrait bien être symptomatique de cette sensation.

L’iPhone 7 selon Martin Hajek.

« Le monde pense que nous lancions un produit d’exception tous les ans quand Steve était là », explique Tim Cook. Mais « ces produits étaient développés pendant un long moment ». De fait, l’innovation ne se commande pas d’un claquement de doigt ; elle est le fruit de nombreuses itérations. Et derrière le rideau, sans tambour ni trompette, les innovations (par exemple celles apportées petit à petit dans Plans ou Siri) finissent par apporter des bénéfices significatifs. Surtout, une nouvelle technologie ne parvient réellement à s’imposer au plus grand nombre que lorsque le grand public est prêt et que les consommateurs en ressentent le besoin.

« Vous essayez de déterminer quelles sont les fonctions, quelles sont les manières dont [le produit] va fonctionner vraiment bien, quels sont les consommateurs qui pourraient être intéressés », liste Eddy Cue, « et quelles sont les choses que vous pouvez faire pour améliorer leurs vies ». C’est une des raisons qui ont poussé Apple à ouvrir Siri, qui prend en charge deux milliards de requêtes par semaine, aux développeurs. Certes, l’assistant vocal ne pourra s’intégrer que dans sept domaines (fitness, messagerie, paiements, photos, transports type Uber, CarPlay, appels vocaux). Mais l’idée est de faire en sorte que Siri soit le plus utile pour les utilisateurs.

« Les gens apprécient les choses qu’ils peuvent faire maintenant, pas simplement penser [à ces choses] », rebondit Cook. « Je pense aux Jetsons [une série animée mettant en scène une famille typique dans un avenir hautement technologique] depuis que je suis tout petit. Mais parfois, vous voudriez que [ce que l’on voit dans] les Jetsons deviennent réalité. C’est la raison pour laquelle Apple est formidable : produire des choses et vous les proposer, pour que vous soyez partie prenante. ».

Quel sera le prochain produit de rupture chez Apple ? Difficile de l’imaginer actuellement, alors que ni l’iPad, ni l’Apple Watch n’ont su prendre – pour le moment du moins – le relais de l’iPhone. Mais peut-être qu’il n’y aura pas « d’autre iPhone ». Tim Cook : « L’iPhone a fait son apparition sur un marché qui était le plus important sur Terre pour un appareil électronique. C’est parce que tout le monde en aura un. Il n’y a pas beaucoup de choses comme cela ».

Craig Federighi prend la pose.

Tim Cook est revenu sur un secteur d’activité qui l’intéresse particulièrement, celui de la santé, qui représente 9 000 milliards de dollars (!). Celui du divertissement est estimé à 550 milliards « seulement », l’automobile 3 500 milliards. Pas étonnant qu’Apple investisse dans ces domaines… « Nous sommes rentrés dans le secteur de la santé en regardant le bien être. Cela nous a poussé à tirer sur une ficelle qui nous a poussé à réfléchir sur la recherche, puis sur tout ce qui est soins aux patients, puis sur d’autres choses encore ». Le constructeur chercherait à obtenir l’agrément de la FDA américaine pour faire de l’Apple Watch un produit médical. Mais cette entrée sur le marché de la santé se fera au rythme décidé par Apple.

Accédez aux commentaires de l'article