GT Advanced est aussi responsable de sa faillite, d'après Apple

Mickaël Bazoge |

Pour expliquer sa faillite, GT Advanced, l'ex fournisseur de saphir de synthèse d'Apple, s'est jusqu'à présent dépeint comme la victime des méthodes brutales et des incessants changements de pied d'Apple (lire : GTAT, le « fournisseur asservi » par Apple). Il est vrai que les sous-traitants du constructeur de Cupertino n'ont certainement pas la partie facile avec un client pareil. Mais la Pomme n'avait pas encore donné sa version des faits qui ont acculé GT à la banqueroute. Le Wall Street Journal, qui s'appuie sur des documents produits par Apple dans le cadre de la procédure judiciaire en cours, décrit une situation plus nuancée où il s'avère qu'une partie du blâme repose aussi sur les épaules de GT Advanced.

Des images des boules de saphir défectueuses produites par GT. Images envoyées par Apple aux créanciers de GT. Cliquer pour agrandir

Le fournisseur aurait ainsi souffert d'un manque d'expérience : Apple proposait à GT de produire du saphir synthétique, une activité qui n'était pas celle de l'entreprise à la base - spécialiste du travail sur le silicium, la société fabriquait des panneaux solaires et des fourneaux de saphir. Mais le deal proposé par Apple était visiblement trop tentant pour ne pas se lancer. La première tentative de créer une boule de saphir de 262 kg s'est soldée par un désastre : le produit est présenté comme « imparfait et inutilisable »; une autre tentative n'a pas donné de meilleurs résultats, avec une boule « tellement craquelée » que le saphir s'est révélé là aussi inutilisable.

Si la production a fini par s'améliorer, la fabrication d'une boule prenait tout de même 30 jours et coûtait 20 000$. Les déchets étaient encore nombreux : plus de la moitié des boules de saphir a fini dans un « cimetière des boules » au sein de l'usine de Mesa. D'après le site, le saphir produit par GT devait effectivement servir à protéger les écrans des iPhone 6 et iPhone 6 Plus, en découpant les boules (celles fiables, en tout cas) avec une scie à lame diamantée, seul outil capable de découper des « briques » de 14 pouces.

Il n'y a pas que la production en elle-même : le management a aussi fait preuve d'une grande légèreté. GT a ainsi multiplié les embauches, poussant les effectifs à 700 personnes sur sa ligne de production de saphir à la fin du printemps. Plus d'une centaine d'employés ne savaient pas à qui ils devaient rapporter, ce qui a occasionné de nombreux jours de congés maladie sans raison. Et quand ils venaient à l'usine, ces employés écopaient de tâches sans intérêt : « Nous nettoyions le sol encore et encore », confie un de ces ex salariés. « Je voyais l'argent s'envoler par la fenêtre ».

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Autre exemple de l'inexpérience de GT : en août, un cadre décidait de recycler 500 briques de saphir alors qu'elles étaient parfaitement utilisables. Les standards de qualité évoluaient de manière erratique : certains lots de briques étaient un jour validés, d'autres jours ils étaient rejetés. En tout et pour tout, Apple n'a reçu que 10% du saphir espéré et promis par son fournisseur.

Apple avait la responsabilité d'aménager l'usine de Mesa (qui produisait auparavant des panneaux solaires) et de fournir l'électricité nécessaire à la fabrication du saphir. Parmi les argument avancés par GT pour expliquer sa faillite, la société s'était plaint que les coupures avaient occasionné un retard de la production de trois mois : Apple rétorque que la banqueroute de GT est d'abord et avant tout due à la mauvaise gestion de l'usine de Mesa, pas par des problèmes d'approvisionnement en énergie. Des propos démentis par GT dans le WSJ.

Après le lancement des iPhone 6, GT et Apple ont convenu de revoir les conditions draconiennes liant les mains du sous-traitant à son client : le constructeur de Cupertino était prêt à augmenter les prix auxquels il achetait le saphir et à assouplir le contrat d'exclusivité de GT, ce dernier ayant la possibilité de vendre ses fournaises à des tiers. Les deux entreprises auraient dû en discuter le 7 octobre, mais l'annonce de la faillite est intervenue… la veille.

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