La perspective de Jony Ive sur Apple et son travail de designer

Mickaël Bazoge |

Quand Jony Ive se met à son travail de design, la musique de fond dans son atelier est de la techno. « Quand j'écris, j'ai besoin que ce soit calme. Mais dès que je commence à designer, je ne peux pas supporter le silence », explique-t-il à Robert Sullivan de Vogue, qui a obtenu un accès au saint des saints, l'atelier du designer en chef d'Apple. À l'époque de Steve Jobs, une règle non écrite énonçait que les designers du studio de Jony Ive devaient s'éloigner de leurs bureaux lorsque le volume de la musique augmentait : c'était signe que le CEO était présent dans le studio — le son de la techno rendait ses critiques moins audibles et donc, moins susceptibles de blesser les artistes présents.

Le natif de Chingford, en banlieue de Londres, a eu très tôt le goût du design : lorsque son père, orfèvre, voulait construire quelque chose avec le petit Jonathan, ce dernier dessinait l'objet en question, qu'il s'agisse d'un toboggan ou d'une cabane dans les arbres. « Je l'aurais faite différemment », explique aujourd'hui Ive en évoquant cette cabane. Entré chez Apple en 1992, il failli quitter l'entreprise cinq ans plus tard, désenchanté et déçu par le travail qu'on lui demandait à l'époque. Heureusement, Steve Jobs, revenu en 1997 sauver l'entreprise qu'il avait cofondée, a su voir le potentiel du designer. « Ça a cliqué » entre eux, raconte Jony. « Quand vous sentez que la manière avec laquelle vous voyez le monde est assez singulière, vous pouvez vous sentir parfois ostracisé et esseulé. Je pense que nous percevions le monde de la même façon ».

Avec le temps, le processus de design d'Apple a évolué, mais avec toujours en son cœur la conception que le bon design crée le marché et que les idées sont reines. « Plus que jamais, je pense qu'il est important d'être clair, d'être singulier, et d'avoir une perspective qui ne soit pas dictée par le résultat d'enquêtes de consommateurs ». Le développement de concepts et la création de prototypes sont des moments de « conversations fascinantes » avec son équipe, « c'est un processus que je pratique depuis des décennies, mais j'ai toujours ce même émerveillement », explique Ive. Et pour lui, il est essentiel de pouvoir « faire » les choses, en plus de les imaginer. « Je pense qu'il est important que [les étudiants en design] apprennent à dessiner, réaliser les choses et les faire directement pour comprendre les propriétés [des matériaux] avec lesquels vous êtes en train de travailler ».

Marc Newson, le fameux designer australien installé à Londres, et Jony Ive sont comme « des jumeaux qui ne se ressemblent pas, séparés à la naissance », plaisante Bono de U2, un ami des deux employés d'Apple (Newson depuis peu), qui se sont retrouvés ce mardi chez Colette pour une présentation de l'Apple Watch. Les deux larrons sont parfaitement en phase : il suffit d'un regard pour qu'Ive et Newson connaissent le sentiment de l'autre sur le design d'un objet.

Ce long portrait est aussi l'occasion de revenir sur l'Apple Watch, que le journaliste de Vogue a pu contempler quelques semaines avant sa présentation officielle (mais dans une pièce sécurisée). « Ce sont de vrais matériaux », réplique fièrement Ive lorsqu'on lui fait remarquer le poids de la montre. Le designer y explique le développement de ce produit, qui a duré trois ans. Maintenant que le mobile a, d'une certaine manière, « tué » la montre, Ive veut faire pencher de nouveau la balance vers le poignet.

« Tout ce que nous essayons de faire, c'est de rechercher ce qui est très pur et très simple ». Et au delà de la technologie, ce qui intéresse Ive est surtout la connexion avec les autres humains — et c'est peut-être ce qui explique les fonctions Digital Touch et la présence du bouton latéral permettant d'accéder à ses contacts préférés. « Vous savez comme très souvent la technologie tend à inhiber plutôt qu'à établir une communication plus nuancée et plus subtile », s'interroge Ive, en montrant la fonction de partage de ses battements de cœur.

« Nous avons passé beaucoup de temps à travailler sur ce mécanisme spécial, combiné avec le haut parleur interne. Vous pouvez sentir ce tapotement très discret, et vous pouvez sentir le battement de mon cœur. C'est quelque chose de très important, je trouve, d'être capable de communiquer d'une manière très douce ». Le soin apporté aux détails, maladif chez Ive comme cela l'était chez Jobs, s'incarne au travers de l'Apple Watch, y compris là où on ne l'attendait pas : remettre la montre au poignet provoque un petit bruit au niveau du bracelet (« cela fait un fantastique k-chit ») pratiquement inaudible, sauf si on sait tendre l'oreille…

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