Apple + Beats : Jimmy Iovine et Eddy Cue en tournée promo

Mickaël Bazoge |

Craig Federighi, vice-président en charge d'iOS et d'OS X ainsi qu'Eddy Cue, son comparse des services internet, auraient dû être les invités de la conférence Code organisée par le site Re/Code en cette nuit de mercredi. Mais l'acquisition de Beats, officialisée quelque heures auparavant, a un peu bousculé la belle mécanique et Federighi a élégamment laissé sa place à Jimmy Iovine.

Ce sont donc les deux grands manitous des contenus d'Apple qui ont répondu aux questions de Walt Mossberg et de Kara Swisher, le public n'étant pas invité à poser des questions contrairement aux usages habituels — « problèmes de réglementation », s'est excusé Mossberg. Il est vrai que cet achat doit d'abord passer sous les fourches caudines des autorités de régulation avant d'être approuvé, ce qui devrait être le cas d'ici le quatrième trimestre fiscal d'Apple, fin septembre.

Eddy Cue n'a pas été long à saluer les compétences de Beats, en particulier la qualité audio des casques, ce qui ne manquera pas de faire lever les yeux des puristes au ciel. Il reprend le mot de Tim Cook selon lequel Beats Music est « le premier bon service de streaming ». Certes, Apple aurait pu bâtir de ses propres mains et avec ses ressources — que l'on sait importantes — les mêmes activités que celles de Beats. Mais l'acquisition du fabricant était « vraiment unique ». « Pas besoin de réfléchir », souligne le vice-président, même si sortir 3 milliards de dollars de sa poche n'est pas donné à tout le monde ! Jimmy Iovine en a d'ailleurs convenu : « Nous avons eu de la chance », a t-il déclaré.

Beats Music aux stéroïdes avec Apple

Cette acquisition, la plus importante de toute l'histoire d'Apple, est surtout née du désir d'avoir aux côtés de l'équipe dirigeante les talents et l'expertise de Jimmy Iovine et Dr Dre. Eddy Cue a d'ailleurs précisé que lui et Iovine souhaitaient travailler ensemble depuis plus de dix ans… Rappelons que ce dernier était un proche de Steve Jobs.

Jimmy Iovine a égrené quelques uns des atouts qui, selon lui, différencient Beats Music du reste de la concurrence : la curation, un bien vilain mot qui masque le « facteur humain » derrière les recommandations du service de streaming musical. Avoir mis en place cette curation est « incroyablement important pour la musique », soutient Cue. « La musique meurt de la manière qu'on la connait. Elle ne s'est pas améliorée de la façon dont nous le voulions ». D'ailleurs, le nombre de nouveautés sorties cette année sur l'iTunes Store est un des plus faibles qu'Apple ait pu compter.

Ce soin humain apporté au catalogue est aussi un des points qui a fait basculer l'intérêt d'Apple, tout comme la qualité audio qui serait meilleur sur Beats Music que chez certains concurrents, ce qui reste à prouver. Le service compte officiellement 250 000 abonnés payants, révèle son fondateur. On est loin des 10 millions d'abonnés tout aussi payants de Spotify.

Le facteur cool sonnera-t-il deux fois ?

Un certain flou artistique règne autour de la qualification de Iovine chez Apple. Il y sera certes salarié tout comme Dr Dre, mais ils n'auront pas à pointer tous les matins à Cupertino. Ils seront tout simplement nommés « Jimmy et Dre ». Iovine se voit comme un « croisement » entre plusieurs cultures; de nombreux observateurs ont aussi noté qu'acheter Beats signifiait aussi pour Apple de retrouver un peu de ce « facteur cool » qui semble lui échapper depuis quelques années.

« Je ne nous définis pas comme étant cool ou quoi que ce soit », se défend Eddy Cue, qui ne croit pas qu'il soit possible d'acheter du « cool ». « Nous fabriquons les meilleurs produits au monde et les consommateurs les adorent. Je pense que les Beats sont vraiment cool, et que les gens les aiment ». De toutes manières, le fait de conserver la marque Beats — ce qui est confirmé par Cue — bien distincte de celle d'Apple pousse à croire que la Pomme ne compte pas réellement profiter de la « coolitude » de Beats, ou alors par la bande.

C'est la seconde fois que Beats se « vend » ainsi à un constructeur de produits technologiques. La première fois, cela avait été avec HTC, et cela n'a pas vraiment fonctionné. « La seule chance que [nous avions] passait par le téléphone. Nous avons choisi un constructeur de smartphone et nous avons signé un contrat. Ça a vraiment été un clash culturel… Et ça n'a pas fonctionné », raconte Iovine. Ce dernier précise dans la foulée avoir contacté Apple « chaque jour pendant dix ans » pour acquérir Beats ! Mais voilà, les gens d'Apple « gèrent leurs accords comme ils font des produits » : c'est à dire très lentement…

Iovine a ce mot intéressant : dans le domaine du divertissement au sens large (musique, mais aussi cinéma), « personne ne se sent en sécurité ». Alors que dans la Silicon Valley, « tout le monde est légèrement trop confiant ». Des approches diamétralement différentes qui expliquent bien des malentendus entre les deux industries…

Plus globalement, Iovine et Cue ont décrit des relations difficiles entre la Silicon Valley et l'industrie de la musique. « Nous avons vu un manque de respect des deux côtés », a déploré le vice-président d'Apple, qui doit sans doute faire allusion aux négociations difficiles avec les labels. Iovine explique lui qu'internet a « détruit » l'industrie du disque. Et les constructeurs de produits électroniques ne « respectent pas les créateurs de films ou de musique. Ils n'apprécient pas les talents artistiques nécessaires pour faire les choses bien ».

35 milliards de chansons vendues sur iTunes

Depuis quelques mois, les analystes et plusieurs rumeurs alarmistes dépeignent un iTunes aux abois, avec Apple qui ne saurait pas comment embrasser les nouvelles pratiques de consommation en cours sur le marché de la musique. « C'est très exagéré », explique Cue. « Nous venons de dépasser les 35 milliards de chansons vendues cette semaine, mais le niveau baisse, c'est vrai ».

Quant à iTunes Radio, tout va très bien merci avec 40 millions d'auditeurs « à travers le monde  », même si le service n'est officiellement disponible qu'aux États-Unis et en Australie… L'abonnement (à Beats Music) est la troisième initiative qu'Apple propose, après la vente « en dur » et les stations en streaming. D'ailleurs, Apple songe au système d'abonnement depuis longtemps, avoue Eddy Cue.

L'abonnement est d'après Iovine « l'avenir de la musique », et Apple doit « injecter des stéroïdes dans tout ça ». Eddy Cue ne manque pas de souligner que l'iTunes Store compte 800 millions de clients, beaucoup de cartes de crédit enregistrées, de bonnes relations avec les artistes, et des tonnes de données sur les habitudes d'écoute des consommateurs. De quoi effectivement donner un sérieux coup de turbo à Beats Music.

Apple, fabricant de casques

Mais Beats Music n'est qu'une facette de l'entreprise. Sa principale activité est la conception de casques et d'écouteurs. Eddy Cue a raconté que sa fille portait un casque Beats pendant ses devoirs, tandis qu'il en porte un lui-même lorsqu'il pratique un sport. Jimmy Iovine n'a pas manqué de rappeler à quel point les écouteurs concurrents étaient mauvais… y compris ceux d'Apple.

« Nous fabriquons les meilleurs écouteurs fournis [avec un produit] », a répliqué Cue. « Mais quand vous voulez offrir un son incroyable, cela coûte de l'argent ». Apple l'a d'ailleurs éprouvé avec le défunt iPod Hi-Fi, cette grosse enceinte qui n'a jamais trouvé son public. « Nous ne pensons pas [avoir injecté] la bonne énergie et le temps nécessaire » sur ce projet.

Beats planche actuellement sur des haut-parleurs et de nouveaux casques. L'entreprise sera épaulée par l'expertise des ingénieurs audio et de l'équipe design de Jony Ive.

De la neige sur l'Apple TV

Au delà de la seule musique, on voit bien que se profilent d'autres secteurs du divertissement, comme le cinéma ou la télévision, et qui intéressent évidemment Apple. Eddy Cue a rappelé que la Pomme avait vendu 20 millions d'Apple TV et qu'il s'agissait d'une activité à un milliard de dollars par an — un chiffre qui devrait augmenter en 2014.

Bien sûr, Cue adore le petit boîtier, il l'utilise « tous les jours », notamment HBO Go. Bonne nouvelle : l'Apple TV va continuer à évoluer… mais comment, nul ne le sait encore.

L'expérience TV « craint », se plaint (avec raison) le vice-président. « Tout ce que nous avons aujourd'hui, ce sont des magnétoscopes améliorés » : il faut encore gérer le stockage « à la main », se rappeler où on a enregistré quelque chose… Malheureusement, le secteur de la télévision reste « compliqué ». Apple discute avec les principaux acteurs du marché (américain, s'entend), mais bien évidemment il n'est pas question pour Cue de dévoiler quoi que ce soit.

La tête dans le nuage d'iCloud, et ailleurs

La conférence a aussi été l'occasion d'évoquer le sort d'iCloud. Eddy Cue a eu un mot intéressant concernant le stockage, de 5 Go en standard — ce qui commence à faire léger, surtout en face d'offres qui en proposent bien plus pour le même prix de 0 euro. « Nous verrons ce que nous pouvons faire », s'est-il borné à déclarer, ce qui signifie, peut-être, qu'Apple envisage d'augmenter cette dotation de base. Ou pas.

Si Beats est l'occasion pour Apple de se frotter à d'autres plateformes mobiles (l'app Beats Music est aussi disponible sur Android et Windows Phone), Cupertino n'a rien contre les systèmes d'exploitation concurrents, a assuré Cue. Évidemment, « tout est mieux sur iOS », énonce t-il doctement, avant de se faire reprendre par Mossberg qui répond que « tout n'est pas meilleur sur iOS ! » Quand deux trolls se renvoient la balle…

Après avoir dit le plus grand bien de Tim Cook (le contraire aurait été étonnant…) Eddy Cue s'est enorgueilli qu'Apple puisse présenter cette année la meilleure gamme de produits qu'il ait jamais vu en 25 ans. Il ne dira rien de plus sur les futurs produits, si ce n'est qu'ils sont « super ».

Une des choses que Steve Jobs voulait créer était une culture profonde, qui puisse perdurer au-delà de son temps comme CEO. Nous voulions bâtir pour 100 ans, ou 200 ans. C'est la culture qu'il a créée chez Apple. L'attention aux détails, prendre soin du moindre détail de nos produits, et ne pas essayer de faire trop de choses en même temps. (Eddy Cue)

Accédez aux commentaires de l'article