La crise d’adolescence de l’iPhone

Christophe Laporte |

Il y a des records qui poussent à l’optimisme et d’autres qui poussent aux questionnements. Le record des 51 millions d’iPhone vendus appartient indiscutablement à cette seconde catégorie.

Commençons par les faits : sur les trois derniers mois de l’année, Apple a vendu 51 millions de téléphones, un chiffre en progression de 6,7 % par rapport à la même période un an plus tôt. Les analystes tablaient sur des ventes comprises entre 55 et 60 millions d’unités — les plus farceurs remarqueront que l’écart entre les projections et les ventes correspondent à un trimestre de ventes de Nokia Lumia. Pour en finir avec les « records », Apple n'est que la deuxième société au monde, après Samsung, à avoir vendu plus de 50 millions de smartphones en un trimestre.

Une gamme iPhone bancale

La nouvelle gamme 2013 d’iPhone se distinguait des précédentes par le fait qu’elle comportait deux nouveaux modèles : l’iPhone 5c et l’iPhone 5s. L’objectif était clair, reconquérir des parts de marché avec deux nouveaux modèles : le premier destiné à séduire un nouveau public et le second avec pour vocation de renforcer la domination d’Apple sur le haut de gamme.

Lors de la conférence de présentation des résultats, Tim Cook ne l’a pas caché : les choses ne se sont pas passées comme prévu. À l’image des lancements de l’iPod mini et de l’iPad mini, les dirigeants d’Apple tablaient sur une forte demande pour « le petit nouveau ». C’est exactement le contraire qui s’est produit. Présenté comme le smartphone du futur, c’est l’iPhone 5s qui a été la star inattendue (pour Apple) des fêtes de fin d’année. Tim Cook a précisé à ce sujet que Touch ID explique en grande partie le succès de ce modèle.

Alors, ceux qui veulent voir absolument le verre à moitié plein se féliciteront que les clients d’Apple aient privilégié le modèle plus cher. Effectivement, ce n’est pas une mauvaise chose pour le chiffre d’affaires du groupe californien. Mais cela ne semble pas être l’avis de Tim Cook qui explique qu’Apple du fait de ses prédictions erronées a loupé pas mal de ventes, faute de produire assez en temps et en heure.

Mais le souci, c’est que l’iPhone 5c a failli à sa mission : il devait permettre à Apple de s’ouvrir de nouveaux marchés et lui offrir de nouveaux relais de croissance. Ce n’est manifestement pas le cas. À demi-mot, Tim Cook a reconnu qu’une baisse de prix de l’iPhone 5c n’était pas quelque chose d’inenvisageable.

La mission impossible de l’iPhone 5c

La presse (nous y compris) avait présenté l’iPhone 5c comme l’iPhone low-cost avant sa présentation… ce qu'il n'est clairement pas. Il ne fallait certes pas s’attendre de la part d’Apple à un smartphone vendu à un prix cassé, mais Tim Cook avait à plusieurs reprises dit qu’Apple souhaitait faire des choses différentes et s’attaquer à d’autres segments. En 2011, il avait déclaré qu’il ne voulait pas que ses produits "soient uniquement pour les riches".

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Apple a une vraie carte à jouer sur le milieu de gamme. À 609 € (sans subvention), le téléphone coloré d’Apple ne peut pas être considéré comme un smartphone milieu de gamme. A 400 €, la donne aurait sans doute été différente.

Trop peu de choses distinguent les deux « vedettes » de la gamme actuelle. L’iPhone 5c a beau être un bon téléphone (lire : Test de l'iPhone 5c), il n’est pas suffisamment unique pour tirer son épingle du jeu : une coque légèrement différente et des déclinaisons en plusieurs couleurs ne sont pas des arguments suffisants. Si son prix avait été plus compétitif et/ou si son format avait été différent (plus grand, plus petit), la donne, là encore, aurait été différente.

Tout ceci peut paraitre parfaitement logique, mais cela ne l’était pas du tout aux yeux du management d’Apple. Et c’est sans doute la plus grosse erreur d’appréciation de la part de la firme de Cupertino depuis bien longtemps.

Apple va sans doute rectifier le tir avec sa gamme 2014. Il est (enfin) question qu’elle propose des modèles de taille différente. Le Wall Street Journal affirme que la marque à la pomme travaille sur deux modèles : le premier aurait une taille d’écran supérieure à 4,5 pouces alors que le second disposerait d’un écran supérieur à 5 pouces.

concept iPhone Air / image : Martin Hajek

Une gamme avec plusieurs tailles d’écran serait plus cohérente et permettrait de mieux répondre à la demande. Seulement voilà, Apple va sans doute devoir tenir avec une gamme boiteuse jusqu’à la rentrée. Si elle s’en est sortie tant bien que mal durant la phase de lancement, les six prochains mois s’annoncent sans doute beaucoup plus compliqués pour le Californien, à qui l’on peut reprocher depuis un moment d’être trop conservateur dans ses choix concernant l’iPhone.

À supposer qu’Apple se mette aux grands écrans cette année, elle donnera l’impression de suivre la concurrence qui a fait le pari des écrans à grande taille depuis plus d’un an déjà. Si la Pomme ne manque jamais une occasion de se moquer de la concurrence (lire : Phil Schiller fait sa sortie annuelle contre Android), elle gagnerait à faire son autocritique. La concurrence progresse de plus en plus vite et Android est un système qui vieillit bien.

Sur Twitter, Phil Schiller a dégainé cette étude pour évoquer les problèmes de sécurité d'Android

Apple donne la désagréable impression de n’écouter qu’elle-même et de ne pas prendre le pouls des consommateurs ou du marché. Si le positionnement boiteux de l’iPhone 5c en est un parfait exemple, ce n’est pas le seul. Critiquée depuis plusieurs années déjà par les utilisateurs et observateurs, l’autonomie apparait de plus en plus comme le point faible des smartphones d’Apple par rapport à la concurrence. C’est d’autant plus étonnant que ce critère a souvent fait la force des autres produits mobiles d’Apple, de l’iPod au MacBook Air en passant par l’iPad.

Pourquoi Apple refuse de prendre des risques

Sur le marché des smartphones, Apple est sur la défensive. Plutôt que de prendre des risques avec le 5c, quitte à malmener son grand frère, la Pomme a tout fait pour que son nouveau modèle porte le moins à conséquence sur l’ensemble de gamme. Résultat, elle a perdu sur toute la ligne : des marges en baisse, une croissance en berne, une gamme mal identifiée…

Si elle ne change pas le cap, cette politique pourrait lui poser des problèmes. Certes, l’iPhone ne peut pas pour des raisons structurelles tenir la cadence d’Android. Mais en continuant d’opérer de la sorte, les terminaux d’Apple - tout comme le Macintosh à une autre époque - pourraient commencer à se marginaliser.

On n’en est pas encore là, mais certains signaux commencent à être inquiétants. Si l’iPhone domine certains marchés (59 % aux Etats-Unis, 69 % au Japon), le téléphone d’Apple perd des parts de marché dans les principaux pays européens, ainsi qu’au niveau mondial et voit même dans certains pays Windows Phone dans son rétroviseur (lire : Android finit 2013 sur une progression générale).

Pour sortir de ce faux pas, Apple a deux choix qui ne sont pas forcément antinomiques : comprendre que le marché des smartphones ne se résume pas qu’au haut de gamme et proposer une gamme cohérente et diversifiée comme elle est parvenue à le faire avec l’iPad et l’iPod et/ou reprendre le chemin de l’innovation et proposer un appareil qui soit une véritable rupture par rapport au premier iPhone. Les évolutions radicales chez Apple se font parfois attendre, mais elles ont toujours eu lieu. Espérons que ce soit encore le cas avec le prochain iPhone.

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