La réaction allergique de Bill Gates au projet Courier

Anthony Nelzin-Santos |


Lorsque Gizmodo dévoile pour la première fois le projet Courier de Microsoft, les technophiles de tout poil ont crié au génie, une réaction peu commune pour un produit venant de Redmond. Au fur et à mesure de la publication de vidéos détaillant ce projet de tablette à deux écrans, se fermant comme un livre, utilisable aux doigts comme au stylet, avec une interface entièrement nouvelle, semblait se dessiner un succès en puissance pour Microsoft. Six mois plus tard pourtant, Microsoft annonçait à demi-mot l'abandon du projet.

Son tort ? Il ne plaisait pas à Bill Gates.

Afin de redéfinir la stratégie de Microsoft en matière de tablettes, Steve Ballmer avait commissionné deux des cadres les plus talentueux de Microsoft : J Allard et Steve Sinofsky. Le Courier était le projet de J Allard, père d'un des plus grands succès récents de Microsoft, la Xbox. Dans son Pioneer Studio, une équipe de développement un peu particulière chez Microsoft, il avait regroupé pas moins de 130 personnes, chargées de concevoir plusieurs prototypes et de développer le système et les services associés à cette tablette.

Un prototype de Courier. On remarque l'interface, encore très proche de celle de Windows.


Alors que l'iPad, présenté en janvier 2010, a été conçu comme un appareil de consommation de contenus auquel des fonctions productives se sont ajoutées par la suite, le Courier a été lui imaginé comme un appareil de création de contenus. J Allard, Mac- et iPod-user, avait dans l'idée de créer un Moleskine numérique — ses équipes sont même allées visiter les locaux du fabricant italien de carnets pour glaner quelques conseils de marketing. Avec ses deux écrans 7" et son stylet, le Courier avait tout d'un bloc-notes numérique.



L'OS à la base de Courier était Windows, mais un Windows invisible à l'utilisateur. L'interface, conçue autour du concept de carnet infini et pensée pour l'utilisation à deux écrans avec les doigts et un stylet, était entièrement nouvelle. Et c'est bien là que le bât a blessé : Bill Gates, appelé à la rescousse par Steve Ballmer pour trancher entre les deux projets de tablette, a peu goûté l'approche originale du Courier.



Selon Cnet, qui a obtenu des informations de 18 cadres passés et présents de Microsoft, Bill Gates a fait une « réaction allergique » au Courier, cet objet conçu pour que les créatifs gribouillent et que les auteurs notent. Au-delà du Windows pratiquement absent, un obstacle qui n'a pas empêché la création de la Xbox, Bill Gates a été particulièrement ennuyé de l'absence d'un client email, alors qu'Exchange est un produit phare de Microsoft. L'idée d'Allard était que les gens avaient de toute manière un smartphone à portée de mains pour ce genre de tâches.



Bref, parce que Courier n'était pas un produit suffisamment Microsoft (pas de Windows, pas d'Exchange, pas d'Office), Bill Gates a demandé l'arrêt de son développement. Quelques semaines après la réunion avec Allard, le projet était tué dans l'œuf ; pendant les mois qui ont suivi, Allard a claqué la porte, suivi par le directeur de sa division, avant que Microsoft ne ferme le Pioneer Studio. C'est le projet de Steven Sinofsky, président de la division Windows, qui l'a emporté : on le connaît aujourd'hui sous le nom de Windows 8, ambitieux mais moins stimulant. Un Windows 8 qui utilise l'interface Metro… imaginée par J Allard et ses équipes.



Alors que le projet Courier aurait pu être fini « en quelques mois », Windows 8 ne sera disponible qu'en 2012. Entre-temps, Apple a vendu pas moins de 40 millions d'iPad.
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