First sale : la vente de licences logicielles d'occasion est légale

Anthony Nelzin-Santos |
La vente de licences logicielles d'occasion est parfaitement légale : c'est un point qu'a tenu à rappeler la Cour de justice de l'Union européenne en tranchant en faveur de UsedSoft dans l'affaire qui l'opposait à Oracle.

UsedSoft est une société allemande qui vendait des licences Oracle d'occasion, une pratique déplaisant particulièrement à la firme de Larry Ellison. L'affaire, portée devant les tribunaux allemands, est remontée jusqu'à la Cour fédérale (Bundesgerichtshof), qui a demandé l'assistance de la CJUE, chargée de veiller à l'uniformité de l'interprétation du droit dans l'espace communautaire. La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé le principe de « first sale » ou de « première vente » et son application aux licences logicielles.

Selon ce principe, institué par le Traité de Genève de 1996, une partie des droits s'effacent après la première vente : on dit qu'ils s'épuisent. Il est connu et reconnu dans le cas de la distribution physique, et a permis le développement des circuits d'occasion, y compris dans le cas de la musique, des films ou des logiciels. La CJUE a tenu à affirmer qu'il s'appliquait aussi dans le cadre de la distribution dématérialisée si une licence d'usage sans limitation de durée a été conférée :


L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doit être interprété en ce sens que le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée.


Dans ce cas-ci, UsedSoft a donc parfaitement le droit de vendre des licences d'occasion des produits Oracle, tant que celles-ci ont été dûment acquises et que le propriétaire original s'est entièrement débarrassé du logiciel afférant. Si le propriétaire original a acheté un bloc de 25 licences, il doit le revendre en intégralité, et n'a pas le droit de le vendre licence par licence. Le nouveau propriétaire peut parfaitement télécharger le logiciel dont il a obtenu une licence (le téléchargement entre dans le cadre du droit de reproduction conféré par la licence) et obtenir des mises à jour. Il peut enfin à son tour revendre la licence, sous réserve des mêmes conditions.


Les articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de revente d’une licence d’utilisation emportant la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur téléchargée à partir du site Internet du titulaire du droit d’auteur, licence qui avait été initialement octroyée au premier acquéreur par ledit titulaire du droit sans limitation de durée et moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre à ce dernier d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de ladite copie de son œuvre, le second acquéreur de ladite licence ainsi que tout acquéreur ultérieur de cette dernière pourront se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive et, partant, pourront être considérés comme des acquéreurs légitimes d’une copie d’un programme d’ordinateur, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, et bénéficier du droit de reproduction prévu à cette dernière disposition.


La zone grise est donc levée en droit européen, et concerne donc aussi bien la distribution physique que dématérialisée. Un système comme ReDigi, qui vend des MP3 d'occasion, peut donc exercer dans l'espace communautaire (lire : ReDigi : le site qui revend vos MP3). Il n'y a qu'un seul cas dans lequel cette décision ne s'applique pas, celle des services — car il n'y a pas de reproduction du logiciel en local, et donc pas de possibilité de le transférer :


La question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’il s’agit de services en ligne. Cette considération vaut également pour la copie physique d’une œuvre ou d’un autre objet réalisée par l’utilisateur d’un tel service avec le consentement du titulaire du droit. Il en va par conséquent de même pour la location et le prêt de l’original de l’œuvre ou de copies de celle-ci, qui sont par nature des services. Contrairement aux CD-ROM ou aux CD-I, pour lesquels la propriété intellectuelle est incorporée dans un support physique, à savoir une marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant être soumis à autorisation dès lors que le droit d’auteur ou le droit voisin en dispose ainsi.


Or on le sait, toute l'industrie va vers le service : c'est le seul bémol de cette précision apportée par la CJUE.
Accédez aux commentaires de l'article