Bloqueurs de pub : c’est grave docteur (pour MacGeneration) ?

Christophe Laporte |

Pour beaucoup, c'est la nouveauté n°1 d'iOS 9. Le classement de l'App Store en atteste d'ailleurs : l'arrivée des ad blockers (bloqueurs de pub) va indiscutablement créer une secousse sans précédent dans l'industrie publicitaire.

La plus grosse crise de l'histoire de MacG ?

Et MacGeneration dans tout cela ? Ce n'est pas dans nos habitudes de communiquer sur notre cuisine interne, mais vous avez été assez nombreux à nous demander, soit par mail, soit dans les commentaires, si la montée en puissance des outils de blocage publicitaire a un impact économique sur notre société.

Pour la faire courte : oui. La montée en puissance des bloqueurs de pub a un impact important sur notre activité économique et met en péril notre entreprise à moyen terme si nous n'arrivons pas à apporter une réponse efficace à ce problème.

La semaine dernière, MacGeneration a discrètement fêté son seizième anniversaire. 16 ans, c'est l'adolescence et parfois c'est compliqué, très compliqué. Cela résume bien la situation actuelle.

La problématique des bloqueurs de pub n'est pas nouvelle. Mais elle représente pour nous un véritable manque à gagner depuis 18 mois environ. Et cela va en s'accélérant. En moyenne, sur un site high-tech, plus d'un internaute sur deux bloque la publicité.

L'internet mobile n'était que très peu touché par ce phénomène. Mais avec iOS 9, on ne serait pas étonné de voir des taux similaires d'ici quelques mois (voire quelques semaines).

Vous vous en doutez bien, nous ne sommes pas restés les bras croisés face à ce phénomène. Mais les réponses simples et efficaces n'existent pas. En attendant que les différents projets que nous menons arrivent à leur terme, nous avons engagé un plan d'économie drastique. Durant l'été, nous avons changé d'hébergeur et avons revu notre architecture en profondeur. Pour la première fois de son histoire, MacGeneration se séparera d'un collaborateur pour raison économique. Pour la première fois de son histoire aussi, MacGeneration va finir l'année dans le rouge.

Là où la situation est frustrante, c'est qu'en parallèle, nous enregistrons des chiffres records en matière d'audience. On n'a jamais eu autant de lecteurs et pourtant nos recettes fondent. Drôle de logique…

Tout n'est pas noir pour autant. Nous ne découvrons pas ce problème aujourd'hui, et l'un de nos mérites (autant se lancer des fleurs) est d'avoir anticipé la situation en travaillant depuis des années à d'autres formes de financement. Notre activité d'éditeur de livres (on vous recommande la lecture de notre petit dernier consacré à iOS 9) et les abonnements au Club MacG dans nos apps iPhone/iPad sont en progression constante. Mais cela ne suffit pas (pour le moment) à inverser la tendance. Mais sans cela, nous aurions peut-être déjà mis la clé sous la porte.

Comment MacGeneration gagne-t-il sa croûte ?

MacGeneration est une société comme une autre, avec 9 salariés travaillant à temps plein. Cela n'a rien d'extraordinaire en soi, mais derrière son écran, parfois on ne se rend pas très bien compte du travail réalisé de l'autre côté.

Nous sommes totalement indépendants. Nous ne sommes pas une entité d'Apple (on nous le demande fréquemment) et nous n'appartenons pas à un groupe de presse ou quoi que ce soit.

Nous gagnons de l'argent de quatre manières différentes :

  • la publicité classique que nous vendons soit directement soit à l'aide de régies partenaires
  • l'affiliation
  • la vente de livres
  • le Club MacG

C'est notre première source de revenus que les bloqueurs de publicité mettent en péril, mais pas uniquement… Certains s'en prennent de plus en plus aux liens traqués qui nous empêchent de toucher une commission lorsque vous passez commande par une boutique en ligne en passant par l'un de nos sites…

Si l'on voulait vraiment se plaindre, on évoquerait également le comportement d'Apple qui n'est pas très loyal en matière d'affiliation avec tous les sites qui l'utilisent pour l'Apple Store. À chaque lancement d'un produit qui marche fort (ex: l'iPhone), Apple stoppe pendant quelques semaines le calcul d'une commission sur les ventes effectuées sur l'Apple Store auprès de clients venus de sites extérieurs. À l'inverse, pour un produit qui se vend dans des proportions bien moindres (ex: le Mac mini…) les commissions ne sont jamais mises en pause, ou alors elle reprennent très vite lorsque visiblement les ventes ne sont pas aussi fortes qu'escomptées (ex : iPhone 5c ou l’Apple Watch).

En ce qui concerne la publicité, nous n'avons pas de doctrine arrêtée, si ce n'est que nous sommes les premiers utilisateurs de nos sites (avec la pub qui va avec). Comme vous, nous n'aimons pas les formats trop intrusifs comme les habillages. Cela nous arrive d'en vendre, mais à un prix premium ! Et pour les autres formats comme les vidéos, si on l'accepte, c'est avec un "capping" faible (en clair, vous ne la subirez qu'une fois pendant toute la durée de la campagne).

Beaucoup de régies ont du mal à comprendre notre mode de fonctionnement. Cela nous a contraints à changer plusieurs fois de partenaires commerciaux. On a connu beaucoup de déboires notamment sur le mobile où c'est encore la jungle.

Le problème avec les bloqueurs de pub

Partir en guerre contre les bloqueurs de pub, cela reviendrait à faire exactement la même chose que l'industrie de la musique lorsque Napster a débarqué. C'est perdu d'avance.

Malheureusement, les bloqueurs de pub sont une mauvaise réponse à un vrai problème : la publicité sur internet qui est devenue envahissante sur certains sites.

Très honnêtement, en terme de pression publicitaire, on ne joue pas dans la même cour que d'autres médias. Il y en a toujours trop. Et je ne suis pas certain que de « la bonne publicité » existe. Quoi qu'il en soit, comme expliqué plus haut, nous essayons en permanence de trouver le meilleur équilibre possible.

Comparaison n'est pas raison, mais bon... - Cliquer pour agrandir

Le souci avec les bloqueurs de pub, c'est qu'ils ne font pas la différence. À partir du moment où un d'entre eux est installé, il ne fait pas le distinguo entre un site lesté de dix bannières et un site qui en a seulement deux.

Il y a le mécanisme de la liste blanche, mais c'est fastidieux pour l'utilisateur. Il y a également « les publicités acceptables » d'Adblock Plus, mais son fonctionnement est loin de faire l'unanimité.

Dans un monde parfait, le mode opératoire des ad blockers devrait être inversé. L'utilisateur devrait l'activer uniquement lorsqu'il s'estime importuné. Ou mieux encore, il devrait y avoir une sorte de netiquette pour la publicité. Si certaines règles ne sont pas respectées, alors le mécanisme de blocage de publicité se met en œuvre. Ce serait beaucoup plus juste…

Dans cette passe d'armes sur la publicité, nous avons l'impression d'être des victimes collatérales. Beaucoup suspectent Google de regarder Adblock Plus avec une certaine bienveillance. Le géant de l'internet paie sa dîme à la société allemande, une stratégie motivée dans le but d'affaiblir ses concurrents.

Si Apple avance ses pions dans ce domaine, elle est loin d'être innocente. Certes, elle pense au confort et à la vie privée de ses utilisateurs. On ne peut pas lui reprocher. Mais c'est également une manière de s'attaquer directement à Google. C'est sans doute la plus grande initiative d'Apple contre son meilleur ennemi depuis bien longtemps.

Bloqueurs de pub : quel est le but d'Apple ?

Et il y a une hypocrisie assez incroyable. Au lieu d'intégrer directement dans Safari un bloqueur de publicité (Apple se serait probablement heurté à quelques problèmes), elle a juste intégré le dispositif le permettant… Et ce qui est encore plus "amusant", c'est que dans toutes ses présentations, elle n'a jamais promu le Content Blocking comme un moyen d'éradiquer la publicité ! En off, les responsables de cette fonctionnalité ont un langage beaucoup plus cru : il s'agit de tuer la publicité.

Toute l'hypocrisie d'Apple, c'est de lancer dans la foulée du mécanisme de blocage de pub, la nouvelle application Apple News : une solution (plus ou moins réussie) qui permet au lecteur de s'informer et une nouvelle manière pour les éditeurs de gagner de l'argent. Pour l'heure réservée aux seuls américains, laissant le reste du monde sur le carreau sans alternative au content blocking.

On peut regretter tout d'abord que le modèle retenu par Apple soit celui de la publicité. Un Apple Music de la presse, avec un abonnement mensuel, aurait été beaucoup plus intéressant… mais aussi beaucoup plus complexe à mettre en place au vu des innombrables acteurs du secteur.

D'un côté, Apple facilite comme jamais le blocage de contenus publicitaires pour iOS, de l'autre, elle s'assure que son service d'actualité ne sera pas gêné par ce type d'outils. Par contre, elle impose certaines règles aux régies qui vont très certainement pousser les éditeurs à utiliser iAd, sa régie publicitaire…

L'autre truc marrant avec Apple News, c'est qu'on ne voit jamais de pub dans les démos !

Vers un monde meilleur ?

L'une des idées reçues répandues au sujet des bloqueurs, c'est qu'ils vont rendre le web meilleur. Alors, si la logique va jusqu'au bout des choses, certains sites web vont effectivement rapidement perdre leur sapin de Noël.

Mais la nature a horreur du vide. La publicité va revenir d'une manière ou d'une autre. On voit déjà certaines grandes marques privatiser des sections entières de sites de news (lire aussi Apple News : une exclusivité pour mieux vendre de la pub). Sur bien des sites, la ligne entre éditorial et contenu sponsorisé risque d'être de plus en plus floue, pour ne pas dire invisible. Il n'y a qu'à voir le nombre de sites qui « oublient » d'indiquer en début ou fin d'article lorsqu'il s'agit d'un publirédactionnel.

Extrait d'une home page d'un site d'actualité, 4 des 5 articles sont soit une publicité, soit réalisé avec un partenaire soit sponsorisé

On se plaignait que la publicité était trop intrusive, elle risque de devenir incolore et je ne suis pas certain (en tant qu'internaute) qu'on y gagne au change.

L'autre conséquence, c'est qu'on risque de voir disparaître une certaine idée du net à laquelle on tient beaucoup au sein de MacGeneration, celle de la « gratuité » de l'information. La magie d'Internet à notre sens, c'est de pouvoir accéder à une montagne d'information sans bourse délier. Désormais, dans la plupart des médias, dès qu'un article fait plus de trois paragraphes, l'internaute est invité à mettre la main au porte-monnaie pour le consulter.

Nous avons toujours été attachés à ce que le contenu de MacGeneration soit disponible gratuitement. Et c'est sans doute cela qui a tant retardé le lancement de notre offre payante sur le web. Nous ne voulons pas privatiser une partie de notre contenu. Nous pensons avoir trouvé une formule intéressante. Enfin, ce sera à vous de juger quand celle-ci sera lancée dans quelques mois…

En attendant, si vous voulez nous soutenir, ce ne sont pas les moyens qui manquent. Vous pouvez vous abonner au Club MacG, acheter nos livres, mettre nos sites sur liste blanche… Nous avons une page qui vous explique tout cela…

D'autre part, si vous avez toujours voulu faire de la réclame sur l'un de nos sites, c'est le moment ou jamais de vous manifester.

Ne voulant pas finir sur une note trop sombre, nous avons une bonne nouvelle à partager avec vous : MacGeneration et iGeneration vont bientôt avoir une petite sœur !

Accédez aux commentaires de l'article