« Prévisibles », votre nouvelle de l'été sur MacGeneration

La redaction |

« Un beau matin, Mickaël trouve un étrange message à la place du fond d'écran de son téléphone. Bug, piratage… ou intrusion dans sa vie privée ? Ce n'est que le début de ses ennuis, et il va rapidement perdre le contrôle de sa vie. »

C'est le synopsis d'une nouvelle écrite par Edgar Hedycer, un passionné d'informatique et étudiant en médecine qui mène une troisième vie d'écriture depuis plusieurs années. Chaque jour pendant environ une semaine, MacGeneration publiera un chapitre de Prévisibles.

Si vous voulez lire l'intégralité de la nouvelle dès maintenant et dans un format optimisé pour tous les terminaux, elle est disponible dans l'iBooks Store et dans le Kindle Store.

Les chapitres suivants déjà publiés :


1.0

23h40. Un bref chargement noircit mon écran, faisant apparaitre mon visage sous mes yeux hagards. Je devrais être en train de travailler, à rattraper cet interminable retard sur mes cours. Ou à faire quelque chose d’utile pour ma vie, du sport par exemple (quoique, à presque minuit, l’heure est passée…), monter cette vidéo que j’ai promise à ma copine, dormir… Pourquoi je reste là, à naviguer sur les mêmes sites inintéressants  et surtout inchangés depuis ma dernière visite ? Pourquoi regarder cette vingtième vidéo sur YouTube ? « On » me l’a proposée, j’ai sûrement jugé qu’une de plus ne pourrait pas me faire tant de mal. Hypocrisie, j’en ai eu l’envie. Je rejette la faute sur l’écran alors que je suis maître de mes actions.

« On » t’a tenté quand même, me chuchote une voix dans ma tête, déculpabilisante. Qui est donc ce « on » d’ailleurs ? Question stupide, je sais bien qu’il s’agit d’un algorithme, un processus sans âme ni conscience. Au fil des années, il m’a toujours semblé plus puissant, plus intelligent, capable de retrouver ce que l’on aime, de nous faire des propositions plus personnelles, voire dénicher des centres d’intérêt qu’on lui avait à peine mentionnés… Une espèce d’immense monstre que l’on nourrit constamment, car il est le seul à pouvoir nous apporter du contenu — et des visiteurs si l’on publie —, mais qui lui même ne pourrait rien sans cette gourmandise de repères… Mais sommes-nous vraiment tous les deux gagnants, comme nous le vendent les multinationales derrière ces millions de lignes de code ?

La vidéo a échappé à mon esprit beaucoup trop mono-tâche. Le temps d’arrêter d’en perdre arrive. Je ferme la fenêtre du navigateur et me dirige vers mon lit. Quelques minutes sur Facebook et Twitter ont raison de celles où je pourrais m’endormir rapidement. Mon cerveau redémarre, pour un motif que j’ignore, n’ayant rien lu de particulièrement transcendant.

Voilà vingt minutes que je tourne dans mon lit. Vouloir partir, ne pas pouvoir : je m’insupporte. Je repense alors brutalement à ce que m’a sorti un ami dans la journée : « Tu te rends compte, si les ordinateurs avaient une conscience ? » S’il y a bien quelque chose capable de m’endormir, c’est réfléchir.

Alors… Les ordinateurs ne peuvent pas avoir de conscience, et la démonstration pourrait commencer par le simple fait que leurs actions doivent toutes être prévues. Si l’une d’entre elles n’est pas programmée, cela entraine une erreur. Mais c’est flou… La découverte d’être soi-même, qu’est-ce que cela implique ? Devraient-ils comprendre leur propre code informatique et réussir à l’écrire ? Après tout, non, sûrement pas, puisque nous ne sommes pas capables nous-mêmes d’expliquer notre cerveau, ni d’y graver quelque chose avec certitude… Devraient-ils alors s’apercevoir de leur singularité ? C’est finalement ce qui fait de nous des êtres conscients, nous savons que nous sommes, que nous existons… Que nous sommes uniques ! Sommes-nous si particuliers dans ce monde ? Encore uniques ? Il y a tant à penser… Garderons-nous toujours notre longueur d’avance sur les machines ?

Le réveil de mon téléphone sonne. Après plusieurs tentatives pour prolonger mon état comateux je désactive l’alarme et engage une réponse au message reçu pendant la nuit d’un vieil ami. Je pars me doucher, toujours aussi fatigué, et à la sortie jette un coup d’œil à l’heure : mon fond d’écran a changé ! À la place d’une photo de ma copine siège un aplat noir, éclairé par quelques lettres d’une police basique de terminal écrivant Phase 1. Incapable de me concentrer, je me coupe en me rasant et lâche un juron. Pressé par le temps, car je dois me rendre à la fac ce matin, j’essaie rapidement de changer cette image entre deux stations de métro. Rien à faire, l’engin ne veut pas. Paradoxalement le reste fonctionne parfaitement bien, et presque mieux que d’habitude  ! Je finis par me trouver absurde alors qu’il ne s’agit que d’un fond d’écran.

Par chance, le cours est inintéressant… Je devrais écouter plus attentivement, mais mes pensées empêchent toute tentative de rébellion studieuse. Les mystères informatiques gardent une attraction particulière pour moi, et j’aime tant les résoudre que ça ne devient jamais rébarbatif. J’attrape le câble de mon téléphone au fond de mon sac et le branche à mon ordinateur le plus innocemment possible. Je fouille dans les fichiers système pour dénicher ce qui ne tourne pas rond, mais difficile d’y trouver quelque chose d’intéressant… Je reprends le problème, méthodiquement. Le fond d’écran doit être verrouillé, allons voir les autorisations.

J’adore ces phases où je résous des énigmes. Sentir l’héroïsme monter en nous ne déplait à personne et j’ai cette tendance à très vite théâtraliser ma vie. D’aucuns pourraient se moquer, surtout face à ce que je réalise. Qu’importe, cette mise en scène soutient mon envie. Mais là, malgré les multiples vérifications, tout me parait normal — du moins dans les possibilités auxquelles j’ai pensé. Ce mystère dépasse mes compétences et le réseau internet en grève de la fac m’empêche de les élargir. Le fameux smartphone se met à vibrer tout à coup sur la table. Un SMS froid de ma chérie y apparait : « Il faut qu’on parle. Je viens te chercher pour le déjeuner. »

« Bonjour ma chérie ! Quelque chose ne va pas ? » lui réponds-je sans savoir réellement ce qui peut la contrarier, mais comprenant parfaitement qu’elle ne me répondrait pas d’ici la sortie des cours. Deux fois plus incapable d’écouter la science que le prof’ semble pourtant particulièrement enclin à nous transmettre, je m’abandonne à quelques idées noires. Il se trame quelque chose aujourd’hui, et le problème du téléphone a très sûrement un rapport avec l’air polaire de ma copine. Les minutes défilent aussi lentement qu’elles savent le faire et j’attends le moment fatidique où je sortirai du deuxième cours.

Elle est en retard. Une petite voix me rappelle cependant que de lui faire remarquer ne constitue absolument pas une approche diplomate, alors qu’elle se trouve au bout de la rue. Je n’ai pas reçu plus de messages ce matin… Mais ce n’est pas la plus bavarde par SMS, privilégiant « le contact réel ». Les débats sur ce point n’ont jamais tourné à l’avantage de notre couple et je me contente de supporter. Elle sourit, c’est surprenant, je l’embrasse et ses lèvres me répondent. Nous nous dirigeons vers notre « cantine » habituelle, un asiatique sympathique, et nous échangeons les banalités de notre journée sur le chemin.

Une fois installés et la commande passée, elle me regarde droit dans les yeux et me demande si je n’ai rien à lui dire. Le repas s’annonce encore plus long que mes cours…

— Phénomène incroyable ce matin, mon fond d’écran de téléphone a changé tout seul ! Impossible de remettre ta photo, je ne comprends pas !

— Et il y a quoi à la place, celle de Gabrielle ?

— Pardon ?

— Ne fais pas l’innocent ! Je peux connaître l’utilité de m’envoyer la conversation que vous avez eue hier soir où tu lui dis qu’elle est « magnifique » sur les photos de la dernière soirée ?

— Mais je ne t’ai jamais envoyé ça !

— Tu veux me faire croire que tu es somnambule  ?

— Montre-moi ce que tu as reçu, j’ai vraiment du mal à y croire !

Elle me tend son smartphone où toute la conversation que j’ai effectivement eue avec Gabrielle hier soir est retranscrite. C’est à n’y rien comprendre.

— Je suis vraiment désolé… Je ne pensais pas que cet échange atterrirait d’une quelconque manière sous tes yeux. Non, définitivement, je ne saisis pas pourquoi j’ai dit ça. Mais que puis-je articuler d’autre ?

— Je m’attendais à de meilleures excuses, mais tu n’es apparemment pas très doué dans ce domaine non plus ! Pourquoi la dénigrer au retour de cette soirée alors ? Tu voulais brouiller les pistes ?

— Arrête-toi là, tu vas beaucoup trop loin ! Pourquoi tout interpréter du mauvais sens ? Je n’ai pas le droit de dire à une fille qu’elle est belle ?

— Ça me fait de la peine, tu comprends ça ?

— Oui, mais je te le répète, tu n’étais pas censée voir cette conversation !

— Et alors ? N’importe qui aurait pu tomber dessus et me le rapporter, elle-même aurait pu me tacler avec, tu sais bien qu’on se déteste ! J’ai l’air de quoi si elle me sort que tu la trouves belle, preuve à l’appui, au milieu d’une soirée ? Je ne hais quand même pas beaucoup de tes amis, pourquoi toujours revenir à elle ? Tu aimes me faire souffrir et me rendre jalouse ?

— Je suis vraiment désolé ! Voilà. Ça te va ? Calme-toi ! Je comprends et je m’excuse platement ! Tu sais qu’il n’y a que toi à mes yeux de toute manière, on n’a rien en commun avec Gabrielle ! Elle se croit marrante en plus alors qu’elle a le QI d’un pneu !

— Pourquoi lui parles-tu alors ? Tu ne pouvais pas t’excuser dès le début ?

— Et tu penses à moi aussi ? Tu pourrais comprendre qu’il est troublant — et le mot est faible — de mon côté de voir ma vie très privée dévoilée au grand jour.

— Je croyais que l’on n’avait pas de secrets entre nous, déclare-t-elle alors d’un air triste.

— Mais il n’y en a pas ! Je te dis toujours tout, et jamais je n’oserais te mentir en face.

Son téléphone vibre, elle y jette un coup d’œil. Ses lèvres se ferment et ses sourcils redeviennent subitement graves.

— Le mensonge par omission, ça reste un mensonge.

Elle pousse son téléphone vers moi. Une conversation titrée Échange de Mickaël, il y a 4 jours, avec son ex Alice apparait brutalement, plus réelle que jamais.


La suite sera publiée demain sur MacGeneration. Si vous voulez lire l'intégralité de la nouvelle dès maintenant et dans un format optimisé pour tous les terminaux, elle est en vente dans l'iBooks Store et dans le Kindle Store.

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