La loi Renseignement instaure la surveillance de masse

Mickaël Bazoge |

La loi Renseignement a été validée pour l’essentiel par le Conseil constitutionnel, saisi — une première sous la Ve République — par le président de la République lui-même pour s’assurer du respect du texte vis-à-vis de la Constitution. Malgré le tombereau d’avis, d’études et de rapports négatifs (y compris de la part du Comité des droits de l’homme de l’ONU) sur ce projet de loi voté par l’Assemblée le 24 juin, le Conseil a donné son feu vert, une décision saluée par le Premier ministre qui se félicite sur Twitter que la France ait « désormais un cadre sécurisé contre le terrorisme et respectueux des libertés. C’est un progrès décisif ! ».

Les principales dispositions de ce texte visent à rechercher et récolter un maximum d’informations afin d’anticiper et de prévenir les risques terroristes. Cela passe par l’installation de « boîtes noires » chez les fournisseurs d’accès et les opérateurs télécoms, dont l’algorithme d’interception est censé recueillir les données de connexion « suspectes » d’individus suspectés par les services de renseignement de représenter une menace terroriste.

Boîtes noires et opacité

Au-delà de l’aspect technique, le reproche majeur que les principaux acteurs d’internet ont pu faire à ce système, c’est la surveillance de masse qui résulte de l’installation de ces boîtes noires alors qu’il aurait fallu privilégier les enquêtes ciblées… Le dispositif ayant été validé par le Conseil constitutionnel, les FAI installés sur le territoire français ne vont pas tarder à voir arriver les demandes d’installation par le Premier ministre, qui concentre tous les pouvoirs dans cette affaire.

L’argumentaire du gouvernement qui a fini par convaincre les Sages de la rue Montpensier n’a pas fait dans la dentelle, comme le rappelle Numerama : « Lorsqu'un terroriste décapite un homme dans un pays étranger, des connexions se mettent en place sur notre territoire, pour identifier les réseaux sociaux qui montrent la scène. Un algorithme peut permettre de vérifier immédiatement les connexions qui assurent la diffusion de l'acte terroriste commis en Jordanie, en Iran, en Irak ou en Syrie ».

En guise de garde fou, la levée de l’anonymat suite à la détection de données suspectes est la prérogative du Premier ministre. Et si la personne concernée s’avère être un « chercheur qui travaille sur le terrorisme » par exemple, alors la surveillance étroite sera levée. Par ailleurs, « seules les données concernant les personnes justifiant d'une surveillance seront conservées. Toutes les autres données seront immédiatement détruites », a promis le gouvernement.

Surveiller les surveillants

La loi Renseignement instaure une nouvelle autorité, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dont la mission est de « surveiller les surveillants », en quelque sorte. Elle contrôlera les activités des services de renseignements et s’assurera du bon usage des techniques de récolte des informations. La CNCTR aura un pouvoir d’« avis consultatif obligatoire » (le comité Théodule n’est pas loin…) avant la délivrance d’une autorisation du Premier ministre.

Le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs mesures d’exception : les services de renseignement ne pourront pas déroger à l’autorisation du Premier ministre même en cas d’« urgence opérationnelle », ni se passer de l’avis de la CNCTR. La Commission, ainsi que toute personne concernée par le recueil d’informations sur son sujet, pourra saisir le Conseil d’État qui devient en quelque sorte le garant du contrôle des techniques de récolte des données. Néanmoins, le caractère sensible des informations risque bien de générer des procédures opaques, d’ailleurs les requêtes seront traitées au sein d’une formation spécialisée du Conseil d’État qui pourrait ressembler à une juridiction d’exception.

La Quadrature du Net, en pointe pour dénoncer un projet de loi jugé liberticide, déplore la mise en place de la « surveillance de masse » qui « avalise un recul historique des droits fondamentaux ». L’organisme assure aussi vouloir aider les citoyens « à se protéger contre la surveillance de leur propre gouvernement ».

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