Twitter : le chant du cygne des clients tiers

Nicolas Furno |

Twitter ne s’en cache plus : le réseau social construit autour de l’immédiateté et de la brièveté — on ne peut publier que des messages de 140 caractères — veut ressembler à Facebook. Le réseau veut avoir le même succès que celui de Mark Zuckerberg et il suit la même recette depuis quelques années. Après des débuts portés par la popularité de clients tiers, le service entend maintenant contrôler l’expérience utilisateur pour en profiter au maximum.

Dick Costolo, PDG de Twitter depuis 2012

Ainsi, Twitter se referme progressivement autour de son site web et de ses applications officielles et cette stratégie commence à payer. Alors que les abandons semblent se multiplier, en particulier sur Mac, retour sur la stratégie du réseau social en trois étapes.

Première étape : bloquer les nouveaux clients tiers

Tout a commencé en 2012, quand le réseau social a fermé la porte aux nouveaux clients tiers en bridant considérablement son API (qui permet d’accéder au contenu et de l’enrichir). Au départ, n’importe quel logiciel pouvait accéder librement aux messages présents sur le réseau social, ou en publier de nouveaux. Avec cette nouvelle politique, Twitter entendait donner la priorité à son site et à ses propres clients en bloquant artificiellement ses concurrents.

Les nouvelles API limitent en effet chaque client tiers à 100 000 « tokens », c'est-à-dire 100 000 comptes connectés dans l’application. Sachant qu’un utilisateur peut se connecter à plusieurs reprises dans un client, cela ne veut pas dire 100 000 clients, mais peut-être deux fois moins, ou beaucoup moins encore. Twitter a imposé cette limite aux nouveaux logiciels, mais pas aux anciens clients, qui bénéficiaient d’une limite bien plus haute.

De ce fait, les anciens logiciels qui étaient déjà populaires ont longtemps pu rester en place et conserver leur légitimité. Comme on pouvait le craindre, ce n’était qu’une étape et c’est peut-être en passe de changer. Désormais, les clients bien installés sont aussi concernés et on apprend ainsi qu’il n’y aura probablement plus de mise à jour de Twitterrific sur Mac. Si ce nom ne vous dit rien, c’est probablement parce que vous n’utilisiez pas Twitter sur Mac en 2007. À l’époque, Twitterrific était le seul client natif disponible sur les ordinateurs d’Apple et le réseau social créé à peine un an avant la sortie de la 1.0 était encore balbutiant.

Ce client Twitter a popularisé l’idée de l’oiseau bleu au point d’en faire le logo du réseau social, mais il n’a pas vraiment évolué depuis la sortie de la quatrième version, en janvier 2011. Et pour cause, entre temps, le réseau social a changé sa politique et imposé des contraintes supplémentaires à tous les clients tiers. Si le développement a continué sur iOS avec une cinquième version sortie fin décembre, le logiciel Mac n’a pas vraiment bougé, alors même que les concepteurs de Twitterrific avaient promis une mise à jour majeure.

9To5 Mac a demandé à The Iconfactory, l’éditeur du logiciel, pourquoi cette version avait un tel retard. Et comme on pouvait s’y attendre, ce n’est pas un problème en interne, mais bien la nouvelle politique de Twitter qui fait trainer la sortie de Twitterrific 5, voire l’annule complètement. Dans un premier temps, précisons quand même que le logiciel devait sortir sur Mac, mais qu’il a été retardé par la sortie d’iOS 7 et le choix de privilégier cette plateforme, plus rentable probablement.

Mais depuis, l’entreprise n’a jamais vraiment travaillé sur Twitterrific sur Mac, essentiellement par manque d’intérêt financier à le faire. Sachant qu’un utilisateur peut connecter plusieurs comptes et donc utiliser l’un des précieux tokens accordés par le réseau social, rentabiliser et pérenniser un client Twitter est très difficile avec la nouvelle API. Sorti après, Tweetbot a été vendu 18 € à la fois pour être rentable plus rapidement et pour limiter artificiellement le nombre d’utilisateurs du logiciel.

Le problème en effet, c’est ce qui se passe quand un logiciel atteint cette limite des 100 000 tokens. La question s’est déjà posée depuis 2012 et à chaque fois, la réponse n’a pas été très plaisante : plus aucun utilisateur ne pouvait connecter son compte dans l’application et il avait peut-être acheté une application inutilisable. Dans tous les cas, les clients tiers concernés sont morts dans la foulée et leurs concepteurs sont passés à autre chose (lire : Twitter inflexible sur la règle des 100 000 comptes).

Deuxième étape : rendre les clients tiers inutiles en se gardant les nouveautés

La limite sur l’API existe depuis 2012 et elle n’est pas forcément un problème pour les anciens clients Twitter, puisqu’elle concerne surtout les nouveaux-venus. C’est d’ailleurs ce qui explique que certains clients, comme Tweetbot sur l’iPhone, ont prospéré depuis et attiré de nombreux utilisateurs. Mais le réseau social a bien l’intention de bloquer ces clients encore populaires et la méthode suivie est beaucoup plus subtile que le changement d’API de 2012. Et probablement beaucoup plus efficace.

L’entreprise qui gère Twitter ne touche plus son API. Cela pourrait être une bonne nouvelle, sauf que ce changement de politique cache une idée un peu machiavélique. En mettant régulièrement à jour son service et en se gardant les nouvelles fonctions, tout le monde va naturellement finir par abandonner les clients tiers qui perdront peu à peu de leur intérêt. Dans un an ou deux, l’expérience de Twitter n’aura peut-être plus rien à voir et il faudra en passer par le site web ou les applications officielles pour en bénéficier.

Cette stratégie est déjà en place : dernièrement, Twitter a ajouté une fonction qui permet de chercher dans l’intégralité de son immense base de données de tweets. On peut trouver n’importe quel tweet, y compris ceux qui ont été publiés en 2006. Une fonction d’archivage bien pratique… mais qui restera inaccessible à tous les clients tiers. Eux devront se contenter de la recherche de base qui est extrêmement efficace pour suivre l’actualité immédiate, mais inutile pour chercher un tweet de quelques jours, pis encore de quelques mois ou années.

La recherche n’est probablement pas un argument suffisant pour changer de client Twitter, mais c’est loin d’être le seul exemple. Le réseau social prive déjà les clients tiers de ses dernières fonctions, ou plutôt les propose finalement, mais avec beaucoup de retard. Un bon exemple est la possibilité d’insérer plusieurs images dans un tweet qui est présente sur le site depuis longtemps, mais qui est très récente dans les applications tierces.

Et la dernière fonction de l’application iOS qui permet d’envoyer rapidement n’importe quel tweet en message privé ? N’espérez pas la revoir de sitôt dans une autre application. Vous voulez encore un exemple pour vous convaincre ? Depuis le printemps dernier, on peut identifier des personnes sur les photos, comme sur Facebook, mais cette fonction n’est jamais sortie des clients officiels et du site.

Le client Twitter sur iOS permet d’identifier des personnes sur une photo. Cette information est perdue si vous regardez le tweet ailleurs que sur le site, ou dans une application mobile officielle.

L’avenir semble évident : Twitter va continuer d’avancer sur son site et avec ses applications officielles et les clients tiers vont continuer à prendre du retard. Et un jour, on ne pourra plus utiliser Twitterrific ou Tweetbot et on n’aura plus le choix : il faudra revenir au site ou aux applications mobiles. Et en attendant, on comprend mieux pourquoi certains logiciels ont aussi peu évolué : Tweetbot, par exemple, sera-t-il mis à jour sur Mac et sur l’iPad ? Rien n’est moins sûr, et parmi les autres victimes récentes, on peut aussi compter Tweet Library et Watermark, une application et un service lié à la recherche et l’archivage des tweets.

Troisième étape : le web sur ordinateur, les applications officielles sur le mobile

Twitter suit tellement la stratégie de Facebook qu’elle ne porte aussi qu’une attention extrêmement secondaire à son client officiel sur Mac. Alors que l’application iOS est mise à jour très régulièrement, le logiciel OS X est régulièrement abandonné pendant plusieurs mois. Il ne gère toujours pas les GIF animés et il faut souvent attendre pour avoir les dernières fonctions. Ben Sandofsky était le seul développeur à vraiment travailler sur le logiciel et il a quitté l’entreprise en mai dernier.

Et maintenant ? À notre avis, le réseau social va de plus en plus laisser tomber ce logiciel pour se concentrer sur le site web sur les ordinateurs et les applications mobiles sur les smartphones. C’est d’ailleurs déjà le cas, ou presque : depuis le départ de Ben Sandofsky, le logiciel a été mis à jour une seule fois sur Mac, mais vingt fois sur iOS…

Twitter ne sera-t-il plus qu’un clone de Facebook ?

En suivant cette stratégie et en la menant à son terme, Twitter pourra alors contrôler totalement son expérience. Le réseau pourra imposer à tous ses utilisateurs de la publicité (sous la forme de tweets sponsorisés), mais aussi une liste de tweets qui ne respecte pas forcément les followers choisis ou la chronologie. En effet, c’est le chantier en cours du réseau social : comme sur Facebook, l’idée est de mettre en avant les tweets les plus populaires plutôt que de respecter strictement l’ordre chronologique qui était, jusque-là, la règle. Et partant de ce principe, le réseau affiche déjà des messages de personnes que vous ne suivez pas, mais qu’il juge intéressants malgré tout.

L’expérience officielle à gauche, et celle offerte par Tweetbot à droite. Un seul tweet en commun, et pour cause : à gauche, on a de la pub (New Relic) et le tweet d’une personne que l’on ne suit pas, mais qui a été ajouté aux favoris d’une autre personne suivie.

Twitter perdra en partie son instantanéité, ou plutôt son caractère exhaustif. Mais c’est ce que souhaitent les propriétaires actuels du réseau social. Ils n’ont jamais voulu que vous puissiez lire tous les messages rédigés par tous vos followers, mais uniquement les derniers et ceux qui sont jugés les plus importants, qu’il s’agisse de publicité ou de contenus sélectionnés pour vous. C’est précisément pour cette raison que la synchronisation de la position de lecture, l’un des points forts des clients tiers, n’a jamais été une fonction de base du réseau. Twitter veut vous faire lire une dizaine de tweets à chaque fois que vous ouvrez le site ou l’application, pas beaucoup plus.

Il est vrai que le réseau a beaucoup évolué depuis sa naissance : il est devenu aussi courant que Facebook, peut-être même plus à en juger par son utilisation dans les médias « traditionnels ». Le Twitter des origines, celui où l’on choisissait qui l’on suivait et où l’on lisait tous les messages dans l’ordre où ils avaient été publiés — d’où l’importance de la synchronisation —, ne représente déjà probablement plus qu’une infime minorité des utilisateurs.

Face à de telle statistiques, les changements opérés par Twitter sont probablement logiques. Mais on ne peut s’empêcher de penser que ces utilisateurs « historiques » seraient peut-être prêts à payer pour conserver cette manière d’utiliser Twitter. Twitter est dans une meilleure position pour juger du succès potentiel d’une telle formule, mais on peut quand même regretter qu’il n’ait jamais essayé de le faire. Peut-être que cela aurait été un échec comme l’a été app.net, mais comment s’en assurer sans essayer ?

La « strategy statement » (déclaration sur la stratégie de l’entreprise) de Twitter. C’est long et compliqué : on est loin de la simplicité du message de 140 caractères que tous ses followers peuvent lire.

Au fond, c’est bien ça le problème de Twitter ces dernières années : le réseau social a choisi une nouvelle direction, radicalement différente de celle de ses débuts, et il ne laisse le choix à personne. C’est son droit, naturellement, mais est-ce que le réseau a vraiment conscience de son utilité pour ses utilisateurs ? Et d’ailleurs, est-ce qu’il se souvient du rôle joué par ses premiers utilisateurs ? Ce sont eux, et pas les créateurs de Twitter, qui ont inventé la réponse avec un « @ », le mot-clé avec le fameux signe « # » que l’on voit désormais partout, ou encore le concept du retweet. Où serait le réseau sans ses utilisateurs ?

La limite des 140 caractères empêche Twitter de concurrencer frontalement Facebook, alors est-ce la meilleure stratégie de suivre son concurrent ? N’y a-t-il pas la place pour deux réseaux sociaux différents et complémentaires ? En la matière, les utilisateurs n’ont pas voix au chapitre et Twitter changera, avec ou sans eux. À ce jour, toutes les alternatives censées « tuer » le réseau social ont échoué et Twitter a de toute manière atteint une telle masse dans la culture populaire qu’il ne disparaîtra pas du jour au lendemain.

Que faire ? On peut espérer que les dirigeants actuels de Twitter finissent par comprendre à quoi sert leur service et pourquoi il a du succès. Et peut-être qu’ils changeront alors d’avis et offriront d’autres fonctions, quitte à les faire payer d’ailleurs. Mais à part ça, probablement pas grand-chose, malheureusement…

Si le sujet vous intéresse, le livre Hatching Twitter sur la naissance du réseau social est une lecture recommandée.

Image couverture : ajari

Accédez aux commentaires de l'article