SFR à tout prix

Christophe Laporte |

Une comédie de boulevard ! Voici à quoi ressemble « l’affaire SFR », cette vieille fille que le groupe Vivendi essaie de marier depuis des mois et pour qui les gros bras des télécoms ont soudainement un regain d’intérêt.

Il fallait le voir pour le croire : Xavier Niel a juré que le mariage entre Bouygues et SFR est une bonne chose pour la concurrence. Pour ceux qui ont la mémoire courte, on rappellera que si Martin Bouygues et Xavier Niel filent le parfait amour, c’est avant tout de l’amour vache.

À l’occasion du lancement de Free Mobile, Xavier Niel avait fait stationner une camionnette devant le siège social de Bouygues qui portait le message suivant : « Journée portes ouvertes Romanichels ». Une réponse aux propos de Martin Bouygues à propos de Free et des MVNO en 2008 : *« Je me suis acheté un château, ce n’est pas pour laisser les romanichels venir sur les pelouses »*.

Tout le monde veut SFR et à tout prix. Après avoir convaincu les pouvoirs publics, Bouygues veut faire le forcing auprès du principal intéressé : Vivendi. Le numéro trois de la téléphonie mobile propose finalement 11,3 milliards d’euros en cash, soit 800 millions d’euros de plus qu’initialement et 400 millions de plus que Numericable. Ce dernier a promis de revoir son offre d’ici 20 heures, nouvel ultimatum de SFR pour recevoir des offres définitives. Selon Les Echos, Numericable serait prêt à mettre 11,75 milliards d’euros sur la table. De plus, Vivendi, qui veut se désengager de SFR, contrôlerait 32 % du nouvel ensemble, contre 46 % dans le cas d’un rapprochement avec Bouygues.

Si on était dans une vraie comédie, le plus marrant serait sans doute que SFR retoque tout le monde et décide de continuer en solo et d’aller en bourse comme prévu à l'origine. Mais depuis le début, on a l’impression que les dés sont pipés et que SFR ira dans le giron de Bouygues.

Arnaud Montebourg qui s’est autoproclamé en début d’année grand organisateur des ententes a tranché pour Bouygues, qui une fois de plus a montré qu’il avait le bras long dans les plus hautes sphères de l’État. C’est sans doute le gros point faible de Patrick Drahi, premier actionnaire de Numericable, qui est un inconnu chez les décideurs politiques. Sur la question de l’emploi, Drahi estime d’ailleurs que 3000 emplois seraient menacés si SFR et Bouygues s’unissaient.

Les boutiques SFR et Bouygues sont souvent proches, une menace pour l'emploi selon Numericable.

Un mariage qui n'arrange personne ou presque sauf...

Industriellement, un rapprochement entre Numericable et SFR a plus de sens qu’un mariage entre les deux opérateurs de téléphonie mobile. Les profils de Numericable et de SFR sont complémentaires alors que ceux de Bouygues et SFR sont très similaires.

En avalant SFR, Bouygues croit que ses problèmes de rentabilité disparaîtront du jour au lendemain. Si la nouvelle entité obtiendrait une certaine taille critique au point de devenir « provisoirement » le numéro un de la téléphonie mobile, de l'aveu même du patron d'Orange, elle risque d’avoir bien du mal à rétablir ses marges.

Pour cela, il faudrait licencier massivement. Bouygues s’est engagé auprès des politiques à ne pas le faire. Après, les politiques le savent mieux que quiconque, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Refaire ses marges en augmentant les prix semble illusoire, Free Mobile n’arrêtera pas la guerre des prix tant qu’il n’aura pas gagné la partie.

Si le pari est risqué pour Bouygues, l’interventionnisme de l’État dans ce dossier pour revenir à un marché à trois opérateurs est au final assez étonnant. L'ARCEP, le gendarme des télécoms, avait accueilli favorablement l'accord de mutualisation des réseaux de Bouygues et SFR, mais en insistant sur le fait que « les opérateurs doivent rester autonomes les uns des autres, en matière stratégique et commerciale. » Début 2013, Bruno Lasserre, le président de l'Autorité de la concurrence qui aura la charge de trancher sur une éventuelle fusion, avait déclaré que « le retour à trois opérateurs n'est pas souhaitable » à propos d'une éventuelle fusion entre Free et SFR. Or, on semble bien se diriger vers une concentration Bouygues-SFR aujourd'hui.

Et l'État a peut-être plus à y perdre qu’à y gagner. Son pari pour l’emploi est pour le moins incertain comme nous l’avons expliqué plus haut. Le retour d’un schéma à trois opérateurs pourrait également constituer un manque à gagner sur la vente des fréquences à 700 MHz. Avec ce chantier lancé l’année dernière, l'État espérait récupérer au moins 3 milliards d’euros pour financer une partie du budget de l’armée.

Pour faire monter les enchères, l’État pouvait compter sur Free Mobile, qui ne possédait aucune fréquence en or. Mais si Free Mobile récupère le réseau de Bouygues comme c'est prévu dans l'opération — avec le réseau de SFR, Bouygues n'en aurait plus besoin et le vendre à Free permettrait peut-être d'éviter un veto de l'Autorité de la concurrence —, tous les opérateurs posséderont des fréquences en or. Par conséquent, l’engouement pour cette nouvelle tranche de fréquences risque d’être bien moindre de la part des opérateurs. Une source proche du dossier confiait à BFM : « vous mettez ces fréquences en vente aujourd'hui, personne ne les achètera ».

Free Mobile : un meilleur réseau que celui de Bouygues/SFR en 2016 ?

La société de Xavier Niel, qui avait songé très sérieusement à la fin 2012 à mettre la main sur SFR, est donc bien partie pour avoir un réseau complet de 15 000 antennes pour 1,8 millard d’euros. Une paille quand on la compare aux 600 millions d’euros que Free paie chaque année à Orange pour la location de son réseau de téléphonie mobile. De plus, l’accord contient un porte-feuille de fréquences pour la 4G.

Qui a la meileure 4G ? Un site créé par Orange

La principale lacune de Free Mobile à ce jour, c’est son réseau. Avec cet accord, le trublion pourrait se retrouver avec un réseau complet à l’horizon 2015/2016.

Un réseau qui, selon le directeur général d'Iliad Maxime Lombardini, sera capable d’accueillir 20 millions d’abonnés. Tant que Free Mobile n’aura pas atteint cet ordre de grandeur, il est inutile de penser que l’opérateur de téléphonie mobile va mettre le holà sur la guerre des prix.

Surtout qu’en l’état, avec ce nouveau réseau, Free Mobile va pouvoir faire des économies : fin de l'itinérance et moins de dépense à prévoir dans le développement de son réseau. Bref, on n’est pas loin de penser que l’avenir est radieux pour Free Mobile, qui estime par ailleurs qu’il lui sera d’autant plus facile d’innover à partir du moment où il sera totalement indépendant.

Le réseau de Free Mobile en 4G à l’horizon 2016 est potentiellement très intéressant. Sur le papier, les réseaux actuels de Free Mobile et de Bouygues Telecom sont très complémentaires. Free n’a que la bande des 2600 MHz à sa disposition alors que Bouygues a massivement investi les 1800 MHz avant de se pencher plus récemment sur les 800 MHz.

Alors, on ne connait pas exactement les bandes de fréquences potentiellement acquises par Free Mobile à son concurrent, mais il sera sans doute capable de proposer à la fois un réseau 4G qui porte loin (les fameuses bandes en or) et qui offre des très bons débits (lire : 4G LTE : explications sur les bandes de fréquences).

Rien ne change vraiment pour Orange. On imagine qu’à l’horizon 2016, l’opérateur historique aura refait son retard en matière de couverture 4G. Cela n’aurait qu’une conséquence finalement : le contrat d’itinérance s’achèverait sans doute assez rapidement et Orange n’aurait pas à supporter les 8 millions de clients Free Mobile.

Finalement, la plus grosse zone d’ombre concerne le réseau de SFR si l’opération était menée à son terme. Le réseau de SFR peut-il accueillir sans broncher 10 millions d’utilisateurs en plus ? D’autre part, si Bouygues est actuellement en pointe concernant le déploiement de la 4G, SFR est désormais clairement à la traîne de ce côté-là (lire : SFR plus préoccupée à se vendre qu'à déployer son réseau 4G ?). La marque au carré rouge investit à minima et se concentre sur la fréquence des 800 MHz.

Bien entendu, d’ici le basculement des abonnés de Bouygues sur son réseau, SFR a encore le temps de corriger le tir. Mais cette fusion sur le plan technique risque de susciter bien des interrogations et pourrait provoquer un départ d’un certain nombre de clients.

Mais tout ceci n’est que conjecture, la vraie question est de savoir ce que Vivendi va faire de SFR. Qui sait, cette pièce de théâtre n’a peut-être pas révélé toutes ses surprises.

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