La seconde révolution de l'iPhone a commencé

Florian Innocente |
iPhone, acte II. Si le lancement du téléphone d'Apple en janvier 2007 avait été un véritable tremblement de terre, l'annonce de son kit de développement d'applications pourrait en être la première réplique. Sous réserve que la mayonnaise prenne avec les développeurs, l'iPhone a les moyens de devenir une véritable "plateforme", au même titre qu'un Mac ou qu'un PC.

Ce 6 mars, Steve Jobs et quelques-uns de ses lieutenenants ont dévoilé le SDK (pour Software Development Kit, Kit de développement logiciel) pour iPhone et iPod touch promis en octobre dernier. C'était la clef pour réaliser de véritables petits logiciels pour ces deux appareils. Un SDK non officiel circulait déjà, mais on a affaire ici à un outil made in Apple. Avec ses restrictions mais aussi ses avantages (la conférence Apple en vidéo).

Son arrivée témoigne d'un gros virage sur l'aile pour la Pomme puisqu'elle avait au départ invité les développeurs à se concentrer uniquement sur la création de services en ligne. Avec tout de même quelques résultats puisque 1000 applications Web (de toutes sortes et d'intérêt très variables…) existent aujourd'hui pour l'iPhone et son cousin le touch. Bank of America a été citée en exemple : 20% des connexions à ses services en ligne depuis des téléphones mobiles viendraient des iPhone.

Mais pour les développeurs, ceux qui aujourd'hui créent des logiciels sur Mac OS X et Windows, cette solution du web avait autant d'attrait qu'une ration d'eau et de pain sec. Alors même que l'iPhone leur tendait les bras avec des technologies novatrices et un moteur dérivé de Mac OS X. D'où la décision d'Apple de revoir sa stratégie de fond en comble, avec comme point d'orgue la conférence d'aujourd'hui.


Un impact aux Etats-unis
Avant d'entrer dans le coeur du sujet, Steve Jobs a fait un point sur la santé de l'iPhone. Il a avancé le chiffre de 28% des ventes de smartphone aux États-unis au quatrième trimestre 2007, derrière RIM (les Blackberry) et ses 41%. Autre donnée, 71% des connexions web depuis des terminaux mobiles, toujours aux USA, seraient le fait d'iPhone.



Phil Schiller a lui abordé le cas de la difficile relation de l'iPhone et de l'entreprise. Hormis quelques gros placements ça et là comme Stanford ou le labo Genentech (dont le patron est au conseil d'administration d'Apple…) de nombreuses entreprises, à l'en croire, ne rêvent que de s'équiper chez Apple.

Mais trop d'obstacles techniques les en empêchent. Une litanie de services et de protocoles absents du téléphone et de son cousin le touch : push-mail, intégration avec un serveur de calendrier, liste d'adresses globale, Certificats et identités, système de réseau privé virtuel IPsec de Cisco, WPA2/802.1x, d'autres protocoles VPN, etc. Apple a donc revu sa copie et dit aujourd'hui avoir accédé à toutes ces demandes. Celles-ci seront intégrées dans la prochaine révision logicielle des iPhone et touch.


Microsoft en renfort
Autre gros morceau, le support des serveurs Exchange de Microsoft, passages obligés dans de nombreuses sociétés pour utiliser la messagerie et l'agenda de leur intranet. Apple n'a pas tergiversé, elle a pris une licence auprès de Microsoft. Elle affirme même que son meilleur ennemi a conçu avec ActiveSync une solution plus directe et moins coûteuse que ce qu'emploient traditionnellement les terminaux concurrents.



Côté utilisateur les changements sur l'iPhone seront quasiment invisibles. Il accèdera aux serveurs de son employeur avec les logiciels de mail, de carnet d'adresses et de calendrier déjà inclus à l'origine sur son téléphone. Nul besoin d'en installer de nouveaux ou de spécifiques.

Exchange rejoint ainsi la liste des assistants de configuration pour Yahoo, Gmail, .Mac et autres AOL déjà intégrés. En l'activant et en choisissant les contenus à gérer, l'iPhone va synchroniser ses applications avec le compte distant dans l'entreprise et récupérer toutes les données demandées. Il sera aussi possible d'utiliser simultanément iCal et son agenda Exchange, mais en revanche, un seul compte Exchange à la fois.



Démonstration a été faite d'une réception automatique de courrier par push mail, et d'une modification d'une fiche contact dans les deux sens. Ainsi que la prise de contrôle à distance d'un iPhone puis de l'effacement de son contenu et enfin de son blocage dans l'éventualité où celui-ci viendrait à être dérobé à son propriétaire. Apple a expliqué avoir déjà testé ces services en grandeur nature avec le concours de Nike et de Disney.

Après les PC, la Pomme espère bien faire switcher les clients de son principal concurrent, RIM et ses Blackberry. À cet effet elle préconise d'en passer par Exchange et devrait proposer quelques outils d'administration supplémentaires.


Mac OS X aux commandes
Puis est venu le tour des développeurs d'applications. Ils vont se retrouver en terrain connu puisque le système de l'iPhone partage ses fondations avec celles de Mac OS X qu'ils pratiquent déjà au quotidien. La fusée "Mac OS X mobile" a quatre étages :



- Core OS (le noyau, les piles réseau, le protocole Bonjour, le trousseau des mots de passe, la gestion de la batterie, etc)
- Core Services (la base donnée pour le Carnet d'adresses, le gestionnaire d'URL, le système de fichiers, etc)
- Media (la gestion audio/vidéo, les formats JPEG, PNG, TIFF, PDF mais aussi OpenGL pour la 3D dans une version spéciale et Quartz pour l'affichage 2D et des effets graphiques)
- Cocoa Touch qui assure les services les plus près de l'utilisateur (le multitouch, l'appareil photo, l'accéléromètre qui détecte l'orientation de l'iPhone, etc.)




Tous les développements devront être réalisés avec Xcode, l'environnement d'Apple que les développeurs utilisent déjà pour leurs logiciels Mac. Afin de rendre ces travaux plus confortables, il sera possible de brancher son iPhone sur son Mac, d'y tester et corriger son application en live. Un simulateur d'iPhone pourra être également exécuté directement sur le Mac avec une reproduction à l'écran du téléphone ou de l'iPod touch et de leurs interfaces.




Terrain connu également pour la réalisation des interfaces de ces logiciels puisqu'elle se fera avec Interface Builder. Aux éléments d'interface (menus, boutons, etc) spécial pour Mac OS X vont ainsi s'en ajouter d'autres spécifiques à l'iPhone.




Un effet halo pour l'iPhone ?
Apple n'en a pas fait mention, mais la nature de ce kit de développement pourrait avoir un effet de bord intéressant. Xcode, Interface Builder, etc ne fonctionnent que sur Mac et Apple n'a aucune intention de les porter sur Windows.

La capacité d'attraction de l'iPhone est telle - les hacks en tout genre et les achats de modèles désimlockés en sont le meilleur exemple - que son SDK pourrait allécher pas mal de développeurs Windows. Ceux-ci devront non seulement s'équiper en Mac mais également se plonger dans les subtilités de la programmation sur Mac OS X.

De là à imaginer qu'Apple gonfle encore ses rangs de développeurs pour Mac à travers l'iPhone, il n'y a qu'un pas. L'iPod a eu son effet halo auprès des clients, l'iPhone aura peut-être le sien chez les développeurs PC.


Un appétit pour le jeu
Apple a ensuite montré des applications plus sophistiquées. Le patron d'Electronic Arts a dévoilé une version spéciale de Spore, un jeu de simulation de l'évolution très attendu sur Mac et PC et imaginé par le légendaire créateur des Sims. Sega a lui aussi amené son jeu, Super Monkey Ball qui utilise à fond l'accéléromètre de l'iPhone. Apple elle-même y est allée de son titre, un jeu en 3D dans l'espace, Touch Fighter, où l'on tapote sur l'écran pour faire feu et on déplace l'iPhone en l'air pour diriger le vaisseau.




La ressemblance est assez frappante entre l'iPhone et la Wii de Nintendo. Dans les deux cas, ces systèmes ne se font pas remarquer par leur puissance, mais par les nouvelles façons de jouer qu'ils proposent. A voir dans quelle mesure les appareils d'Apple sauront utiliser cette carte au-delà d'une poignée de jeux. Et peut-être réussir là où Nokia n'a pas fait d'étincelles avec son téléphone-console, la N-Gage.

Premières applications pro
Ont suivi un logiciel de gestion de la relation clients signé Salesforce.com, un poids lourd du domaine et une application d'aide à la prescription pour les médecins. Plus intéressant pour l'utilisateur lambda, un client chat compatible avec iChat. Mais il ne fonctionne qu'en mode texte et pas en audio.



À plusieurs reprises Apple a insisté sur les temps de développements extrêmement courts qui avaient été nécessaires pour coder ces logiciels : généralement quelques jours. On retrouve ici le discours qui avait été tenu lors du passage du PowerPC aux puces Intel. Et dans les faits, entre réaliser les grandes lignes d'une application et la sortie de sa version finale, il y avait parfois un délai un peu plus long…


Un store pour les logiciels
L'autre gros morceau tenait dans la distribution de toutes ces futures applications. À l'image du bouton iTunes sur les iPhone qui donne accès à une version spéciale de l'iTunes Music Store, Apple va ajouter dans la prochaine version du firmware un bouton "App Store" (la boutique des logiciels).

On y retrouve un classement des applications calqué sur le modèle de l'iTunes Store, avec des rubriques "Populaires", "Nouveaux ajouts", "Recommandées", etc. et un moteur de recherche.





D'un simplement tapotement, si l'application est gratuite, elle est téléchargée immédiatement, que ce soit via un accès EDGE ou Wi-Fi. Si une mise à jour survient pour les applications que vous possédez, l'App Store vous les signale automatiquement. Cette boutique sera également accessible depuis iTunes sur son Mac ou son PC.

Point important, cet App Store sera l'unique moyen offert aux développeurs pour distribuer officiellement leurs applications iPhone et touch. Une contrainte dans un sens, mais on retrouve aussi une volonté de simplifier au maximum l'acte d'achat, de téléchargement et d'installation des logiciels. Vous savez acheter une chanson sur iTunes et l'envoyer sur votre iPod ? Alors, vous saurez remplir votre iPhone de logiciels.

Et pour ce qui concerne la distribution d'applications à l'échelle d'une flotte d'iPhone en entreprise, Jobs a précisé qu'Apple travaillait sur un outil dédié.


Un partage des recettes
Le cadre posé, Apple a élaboré un modèle économique pour les développeurs. 70% du revenu des ventes ira dans leur poche (versements mensuels) et 30% restera chez Apple, qui gèrera le magasin, les transactions et l'hébergement des applications. Steve affirmant qu'à l'instar de la musique ils n'envisageaient pas véritablement de gagner de l'argent en vendant ces applications.

S'agissant du tarif de ces logiciels, aucune règle. Toute liberté est laissée aux développeurs. Et s'ils font dans le freeware, Apple les prendra en charge gratuitement sur l'App Store. Elle se réserve toutefois le droit de faire le tri. Vous faites dans le logiciel porno ? Dehors. Vous n'êtes pas mauvais en logiciel de désimlockage ? Bravo, mais non merci. Votre logiciel fait de la voix sur IP ? Là Apple autorisera son fonctionnement en Wifi mais pas en EDGE. Pour prévenir l'arrivée de logiciels malveillants, une signature électronique sera apposée sur les applications distribuées par ce store. Elle permettra ainsi de remonter à son auteur "et de prévenir, ses parents" a plaisanté, Jobs.

Au passage, un système de contrôle parental a été aussi prévu pour le Safari des iPhone et touch ainsi que pour désactiver l'accès à l'App Store.


Mise à jour payante pour le touch
L'ensemble de ce qui a été annoncé ce jour n'arrivera que fin juin, avec l'ouverture de l'App Store et la sortie d'une grosse mise à jour 2.0 du système de l'iPhone et du touch (on en est à la 1.1.4). Elle sera gratuite pour les iPhone mais payante (à un prix non communiqué) pour le touch. Toujours pour des raisons comptables (lire l'article Les "nouveautés" de l'iPod touch).

Parmi ses autres nouveautés qui n'ont pas fait l'objet d'une démo ni même d'une annonce, le client mail de l'iPhone sera capable de lire les pièces jointes PowerPoint (rejoignant ainsi les Word et Excel), ainsi que de déplacer ou supprimer des messages par lot, au lieu de un par un comme aujourd'hui.


100 millions pour dénicher l'innovation
Mais dès aujourd'hui les développeurs vont commencer à travailler avec une version bêta du SDK, prévu lui aussi en finale à la fin juin. Ces outils seront gratuits. Ou facturés 99$ (sans oublier un Mac pour ceux sur Windows…) si l'on veut monter à bord de l'App Store, ou 299€ s'il s'agit de créer des logiciels à usage interne en entreprise. On peut le voir comme un ticket d'entrée pour faire venir les développeurs les plus motivés.

Et pour ceux qui auraient de grandes ambitions, mais peu de moyens, une société de capital-risque est disposée à les aider. La firme KPCB, celle-là même qui avait tendu la main (et un chèque) à Compaq, Symantec, Netscape, Sun, Amazon ou encore Google, entend ne pas louper le coche du prochain gros hit pour l'iPhone. Elle a créé le iFund. Une enveloppe de 100 millions de dollars dans laquelle elle puisera pour financer des développements prometteurs.


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