Emscripten : du C++ vers JavaScript via LLVM

Arnaud de la Grandière |
L'une des grandes quêtes du développement logiciel depuis de nombreuses années consiste à permettre l'exécution d'un code arbitraire sur n'importe quelle architecture matérielle sans avoir à rien recoder.

De nombreuses architectures se sont frottées au problème (de Java en passant par .NET) sans pour autant parvenir à résoudre la quadrature du cercle : celles-ci ne prennent pas en charge le code natif dans des langages universels tels que le C/C++.

De son côté Google a bien tenté de remédier à la question en proposant Native Client, un plugin qui permet l'exécution d'un même code en natif dans n'importe quel navigateur (lire Google NaCl : du code natif dans le navigateur), mais les plugins sont en passe de tomber en désuétude et NaCl ne semble pas décoller.

Le problème devient d'autant plus prégnant avec l'avènement des plateformes mobiles, pour lesquelles JavaScript est en passe de devenir le seul sésame garanti.

C'est là où LLVM entre en jeu : cette technologie open-source (chapeautée par Apple, lire Apple tire le jus des processeurs) permet d'insérer une couche d'abstraction dans la compilation d'un code. Ce BitCode intermédiaire est alors susceptible d'être adapté à toute machine de destination, sans pour autant perdre le moins du monde en efficacité. Google a d'ailleurs créé une passerelle entre NaCl et LLVM.

Un développeur de Mozilla, Alon Zakai, a mis au point un compilateur nommé Emscripten, qui tire parti de cette capacité, en convertissant du BitCode LLVM en JavaScript. Ainsi, LLVM devient la passerelle entre n'importe quel langage qu'il est susceptible de prendre en charge (C/C++ en tête, mais également Python, Ruby, etc), et le navigateur.

Naturellement la conversion ne fonctionne pas de manière universelle : certaines commandes ne pourront pas être compilées, d'autres seront particulièrement lentes à l'exécution (Zakai donne une liste des choses à éviter), et il ne faut pas oublier que le JavaScript reste un langage interprété qui sera bien plus lent à l'exécution que du code natif (un benchmark donne Emscripten jusqu'à 140 fois plus lent que du code natif). De même, tous les moteurs JavaScript, qui varient d'un navigateur à l'autre, ne se valent pas. Ainsi certains projets réalisés avec Emscripten fonctionneront parfaitement sur certains navigateurs et beaucoup moins bien sur d'autres.

Il n'en reste pas moins que la prouesse est impressionnante : le GitHub consacré à Emscripten propose quelques démonstrations qui, si elles s'exécutent avec plus ou moins de bonheur d'un navigateur à l'autre, laissent miroiter la promesse du "write once, run anywhere".

Ainsi, Open-TTD, lui-même une version open-source du jeu Transport Tycoon, a pu être converti entièrement en JavaScript grâce à Emscripten, et est ainsi susceptible de fonctionner sur toute machine dotée d'un navigateur et d'un moteur JavaScript.



De même, il devient possible d'étendre les capacités des navigateurs sans même installer le moindre plugin, et en se contentant d'exploiter leur modularité native par le biais de JavaScript : cette démo permet d'afficher des images au format JPEG 2000, et cette autre rendra du PDF, sans même que le navigateur ne sache prendre en charge ce format. Un développeur a également porté son jeu écrit en C++ directement en JavaScript, prêt à fonctionner dans un navigateur, à l'aide d'Emscripten.

L'ajout de WebGL dans les navigateurs ouvre également à Emscripten l'accès de l'accélération matérielle (et du GPGPU, lire Lexique : si vous avez raté le début), et offre des perspectives enthousiasmantes.

Si Emscripten, dont le chantier a été entamé voilà deux ans, fait parfois plus œuvre de démonstration technique brillante que d'outil prêt à être exploité grandeur nature pour tout type de projet, il n'en souligne pas moins les avancées des moteurs JavaScript d'une part, et de l'autre l'excellente souplesse de LLVM, s'il fallait encore s'en convaincre.
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