Gassée : la légende des accords de licence

Arnaud de la Grandière |
Il est des mythes qui ont la dent dure : tenus pour acquis par nombre de journalistes à force de les avoir entendus, ils sont retransmis sans la moindre vérification, telle la fameuse histoire des portes-jarretelle qui auraient été inventés par Gustave Eiffel, en fait un canular lancé par Lob en 1983 et qui sévit toujours sur le net aujourd'hui.

En voilà un autre qui a fini de lasser Jean-Louis Gassée : Apple aurait perdu la bataille de l'informatique en s'obstinant à fournir un système clé en main et surtout fermé, sans offrir d'accord de licence à des partenaires comme Microsoft l'a fait avec MS-DOS et Windows, et elle reproduirait cette erreur aujourd'hui avec l'iPhone, repetita ad nauseum. Le dernier exemple en date de cette histoire tenue pour acquise a échoué sur Business Insider sous la plume de Henry Blodget.

Et Gassée de rappeler dans sa "mondaynote" quelques évidences frappées au coin du bon sens : dominer les parts de marché n'équivaut pas à gagner plus d'argent que les autres, et c'est précisément Apple qui en est la parfaite illustration : elle gagne plus d'argent que Dell et HP réunies, alors que leurs 33 % de parts de marché dominent les 10 % d'Apple de la tête et des épaules.

Il ne faut également pas oublier qu'il fut un temps où Apple s'essaya aux accords de licence, permettant à des cloneurs de sortir des ordinateurs livrés avec Mac OS. Bien loin d'assurer sa fortune, l'expérience mit la firme de Cupertino à genoux… D'autant que, comme Gassée le rappelle, on ne peut pas être à la fois dans l'industrie du hardware et du licenciement de technologies, les deux sont antinomiques et ne servent qu'à vous exposer à une concurrence inutile et gênante.

Et si le succès de Windows a bien réussi à Microsoft, on ne peut pas en dire autant pour IBM, qui a commis le premier péché en ouvrant l'architecture du PC à tous les constructeurs… aujourd'hui Big Blue a complètement quitté ce marché.

Pour ce qui est de l'iPhone, proposer son système d'exploitation à d'autres constructeurs aurait d'autant moins de sens qu'Android se place comme une alternative gratuite, un argument de poids face à un Microsoft de plus en plus encerclé sur le domaine des smartphones. D'autant qu'Apple gagne quelques $400 sur chaque appareil, en multipliant par les 30 millions d'iPhone vendus, la petite fortune que ça représente n'est pas envisageable un seul instant en vendant la licence d'iPhone OS, pas même en y ajoutant les bénéfices supplémentaires qui seraient générés sur l'App Store.

Il serait temps qu'on mette donc fin à de tels poncifs, mais hélas, certaines croyances sont trop coriaces pour laisser place à la raison. Ca n'est pas Gustave Eiffel qui dira le contraire.
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