Android, d'Apple à Danger

Anthony Nelzin-Santos |
À la fin des années 1980, John Sculley pressent qu'après l'Apple II et le Mac, Apple doit initier une nouvelle évolution de l'informatique avec un appareil mobile. Il suit l'évolution de deux projets en cours depuis une dizaine d'années, convergeant vers la création d'un assistant personnel : Pocket Crystal pour le volet matériel, Paradigm pour le volet logiciel, regroupant des pointures de l'Advanced Technology Group, la division de recherche la plus avancée d'Apple.

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Andy Rubin


General Magic
Las, le projet ne parvient pas à convaincre le conseil d'administration et en mai 1990, John Sculley autorise les équipes du projet Pocket Crystal, sous la direction de son créateur Marc Porat, à devenir une entité indépendante. Apple perd ainsi quelques-unes de ses figures emblématiques comme Bill Atkinson (monsieur MacPaint, QuickDraw et HyperCard). Andy Hertzfeld (monsieur Macintosh) rejoint la société qui se forme, General Magic.

Elle va attirer les meilleurs talents tout en restant très secrète : en 1991, Tony Fadell refuse une offre d'Apple pour travailler chez General Magic alors qu'au même moment, Steve Wozniak transfère la propriété de ses brevets sur la communication par infrarouge à ses anciens collègues. Andy Rubin, ingénieur travaillant sur le Mac Quadra, est débauché en 1992, quelques mois avant que General Magic ne révèle son nom et ses partenaires, de Sony à Motorola en passant par Apple, qui possèdent 10 % de la société chacun.

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Magic Cap OS a été conçu comme un anti-Mac OS : au lieu d'employer la métaphore d'un bureau qui n'est qu'une abstraction, il utilisait la métaphore d'une maison avec une représentation « 3D ».


La société va développer quelques-uns des produits les plus prometteurs du début de la décennie. Bill Atkinson va superviser le développement de Telescript, un nouveau langage de programmation, et de Magic Script, un nouveau langage de script. Ces deux technologies sont la base de Magic Cap OS, un système d'exploitation à interface graphique pour PDAs, reprenant les travaux les plus avancés d'Andy Hertzfeld. Très ambitieux, peut-être trop, le projet ne sera jamais véritablement achevé.

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Apple lance son MessagePad 100 en 1993, dont le système Newton met l'accent sur la reconnaissance d'écriture, qui sera amélioré avec l'aide de Palm, une autre société formée par des anciens d'Apple (lire : Palm est mort, vive HP). Magic Cap OS n'utilise absolument pas la reconnaissance d'écriture, utilisant à la place un clavier virtuel : General Magic, qui avait jusque-là bénéficié d'une couverture médiatique hors pair, passe à l'arrière-plan, doublé par le bébé de Sculley (lire : Une petite histoire de l'iPad).

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Le Sony Magic Link PIC-1000


Pire encore, le lancement des premiers appareils Magic Cap chez Sony et Motorola, en 1995, est un véritable désastre. Le Sony PIC-1000 était d'une lenteur affolante, alors que le Motorola Envoy souffrait d'un méchant bogue effaçant toute sa mémoire. Steve Wozniak, qui en avait acheté cinq exemplaires, en fut dépité et cessa dès lors de croire dans le projet. Au moment même où General Magic entre en bourse, la société est un corps sans idées et sans vie.

Tony Fadell fonde alors Fuse, avec l'ambition de devenir le « Dell de l'électronique grand public », notamment dans le domaine de l'audio.

Danger
Le Newton ne connut pas un succès beaucoup plus grand, mais l'idée — l'obsession — de Marc Porat, John Sculley et de la poignée d'ingénieurs Apple ayant défriché ce terrain chez Apple ou ailleurs sut affronter cet échec. À la première vague en succéda une deuxième, définissant les évolutions de l'informatique dans les années 2000 par une de ses successions d'événements dont l'Histoire, grande ironique, a le secret.

En 2000, justement, Andy Rubin fonde Danger, dans l'espoir de recréer l'expérience General Magic. Spécialiste du logiciel, Rubin s'entoure de Joe Britt (WebTV Networks) pour la réalisation d'un service connecté, et de Matt Hershenson (Philips) pour la supervision de la partie matérielle. Matias Duarte, qui a fait ses preuves dans le monde du jeu vidéo, est nommé directeur du design.

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Le Danger Hiptop


Cette fois, le succès est au rendez-vous : sorti en 2002, le Danger Hiptop, aussi connu sous le nom de T-Mobile Sidekick, est un des premiers smartphones modernes. DangerOS, son système d'exploitation, se repose largement sur Java avec un ensemble d'API propriétaires permettant de développer des applications sous la forme de paquets JAR. Ces applications sont distribuées exclusivement par le biais du Danger Download Catalog, pour assurer leur compatibilité. Enfin, il offre l'accès complet au Web, ce qui lui valut la sympathie de Google, qui fit ainsi ses premiers pas dans le Web mobile.

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Les Kin, réincarnation ratée des Hiptop chez le Danger période Microsoft


Dès 2003, pourtant, le conseil d'administration de Danger décide de se séparer d'Andy Rubin, pour des raisons qui restent encore aujourd'hui secrètes. Itération après itération, le Hiptop va lentement se faire dépasser. Microsoft fait l'acquisition de Danger en 2008, tous les cadres de la société quittant le navire en un peu plus d'un an.

Andy Rubin fonde alors Android, Inc., espérant développer un système où les mobiles « connaissent la localisation et les goûts » de leur utilisateur pour devenir force de proposition.

La revanche des tricards
Fadell et Rubin vont avoir leur revanche. Après l'échec de Fuse, Fadell fait du porte-à-porte avec son idée de baladeur musical construit autour d'un disque dur. Il trouve une oreille attentive chez RealNetworks, qui l'engage, mais l'idylle ne dure que six semaines. Sa trajectoire est bien différente chez Apple : consultant en février 2001 sur le projet de baladeur de la firme de Cupertino, il devient directeur du groupe spécial iPod en avril de la même année, six mois avant le lancement du baladeur qui a remis Apple sur pied.

Le Android de Rubin va connaître une destinée similaire. Par bien des aspects, il s'agit d'un Danger bis : OS Java, applications distribuées par un canal centralisé, clavier complet. Le Hiptop avait permis à Rubin de rencontrer les deux fondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, intéressés par le Web mobile ; dès 2005, la firme de Moutain View achète Android, avec l'intention de concevoir un système entièrement dépendant de l'écosystème Google. Là encore, le reste de l'histoire est connu.

Android
L'interface originale et le premier prototype Android, tels que présentés par Google après l'acquisition de la société de Rubin : il s'agissait alors de rivaliser avec les BlackBerry. Le projet sera modifié en profondeur après la présentation de l'iPhone, ce qui donna le G1, sorti en 2008.


D'Apple à Android et iOS en passant par General Magic et Danger, le monde actuel de la téléphonie mobile est défini par un nombre très restreint de personnes se connaissant très bien, ayant longtemps travaillé ensemble et partageant une vision inspirée par les préceptes de Marc Porat, de John Sculley et d'autres. Une seule différence — de taille — les sépare en deux groupes, d'un côté ceux qui croient en un logiciel agnostique (la tendance de ceux qui n'ont jamais rejoint Apple, comme Rubin), de l'autre ceux qui ne jurent que par l'intégration la plus ferme entre un logiciel et un matériel (la tendance de ceux qui ont fini par retrouver Apple, comme Fadell).

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Ironie de l'histoire : le Sidekick 4G, successeur spirituel du Hiptop, utilise aujourd'hui Android, successeur spirituel de DangerOS.


Ces liens anciens et profonds perdurent aujourd'hui. Michael Tchao, le successeur de Marc Porat auprès de John Sculley et père du Newton, est aujourd'hui vice-président d'Apple responsable du marketing iPad. Matias Duarte a retrouvé Andy Rubin en devenant le designer d'Android, comme Joe Britt et Matt Hershenson, en charge du matériel chez Google. Deux douzaines de personnes, partenaires hier, concurrents aujourd'hui, s'affrontent aujourd'hui à coup d'idées et d'idéaux pour définir le futur de l'informatique mobile.

Aller plus loin :
- Richard Doherty, « Diary of a Disaster »
- Steven Levy, « Bill and Andy's Excellent Adventure II », Wired, 2.04, avril 1994.
- John Markoff, « I, Robot: The Man Behind the Google Phone », New York Times, 4 nov. 2007.
avatar Anthony Nelzin-Santos | 
@shenmue : comScore s'exprime en général en parc installé. Toutes les études que nous avons détaillé venant d'eux indiquent qu'Android est passé devant en parc dans le marché des smartphones aux Etats-Unis (les chiffres en Europe sont décalés de six bons mois, on manque de données consolidées pour le reste). Ce qui est logique : on d'un côté une logique de saturation du marché et de l'autre côté trois modèles. Et encore une fois, ces boîtes sont suffisamment intelligentes pour comparer iOS sur iPhone avec Android sur smartphones (et non pas Android sur tablettes et PMPs, et sans inclure les déclinaisons chinoises d'Android). L'étude la plus récente dans le domaine provient de Nielsen : les Androphones dominent les ventes (50 % des ventes contre 25 % pour les trois modèles d'iPhone et 15 % pour les BlackBerry) et s'affirment donc en parc (37 % des smartphones utilisés aux Etats-Unis contre 27 % pour l'iPhone et 22 % pour les BlackBerry). C'est un fait. Incontestable. Toi, tu parles d'autre chose, Android comme plateforme contre iOS comme plateforme. Donc en incluant tablettes et PMP. Et là, en effet, iOS est largement devant et a une croissance suffisante pour faire mieux que résister. Là encore, on en a largement parlé. C'est un autre fait. Enfin, pour cette histoire d'ouverture, je te renvoie à mon commentaire ici : https://www.igen.fr/iphone/google-motorola-et-skyhook-de-l-importance-du-controle-des-donnees-de-geolocalisation-44852. Encore un autre fait. Pour un retour, c'est un retour en fanfare, dis donc. Si par contre on pouvait arrêter le hors-sujet et revenir à l'article…
avatar shenmue | 
@A.Nelzin:"C'est un fait. Incontestable." Aux US seulement, dans le monde, non, vu que les VENTES globales depuis le début, SUR LE MARCHE DU SMARTPHONE, sont supérieures pour l'iPhone (Apple doit approcher les 120 millions d'appareils vendus, Google a confirmé 100 millions d'Android depuis le début (tablettes incluses en plus). Et ma remarque n'est pas hors sujet, elle a trait a l'un des éléments d'information que tu as mis dans ton article, il est donc normal de pouvoir la discuter.
avatar shenmue | 
Bon sinon, et pour ne pas être seulement désagréable ;), l'article est très très bien foutu et informatif. Cela fait quelques mois que les articles en édito de Macgé sont fouillés et recentrent bien sur une vision historique des technologies, permettant de retracer dans le temps les évolutions des OS, des matériels, et de se rendre compte qui a influençé qui, qui a loupé les marchés en devenir, etc... D'ailleurs, on se rend bien compte, merci de l'avoir ici rappelé, que la version moderne d'Android est en fait sous influence TOTALE de l'iPhone OS (à l'époque ce n'était pas encore iOS). C'est clairement Apple ici qui a donné le "la", ce que pas mal aujourd'hui de zélateurs du système de google renient farouchement, en réécrivant tout un pan de l'histoire des technologies. Ici, on peut reprocher à Apple de ne pas être assez ouvert, etc, mais PAS de n'avoir pas été, réellement, celui par qui l'innovation principale dans le monde mobile est arrivée. Sur ce plan, le séisme a été de la même importance qu'avec l'arrivée du premier Mac, même si, et heureusement pour Apple, sa puissance et son éco-système actuel les préservent de la même fin de l'histoire.
avatar shenmue | 
@Joker:"Et bientôt on va nous dire qu'il faut compter aussi tout les Mac dans les chiffres, parce que Mac OS X n'est pas si loin d'iOS et que du coup, ça ne serait pas de jeu de ne pas additionner l'ensemble des Mac vendu depuis 2001, parce que quand même, ça ne se fait pas." iOS c'est l'iPod touch + l'iPhone + l'iPad, point barre. Si on parle d'OS, rien ne justifie vraiment qu'on ne garde dans la comptabilité qu'un certain type de matériel. Les iPod touch se sont vendus à plus de 60 millions, c'est aussi une base installée d'importance qui fait aussi parti de l'éco-système d'Apple. Google compte déjà ces chiffres de tablettes du reste. Ton ironie est donc totalement déplacée ici.
avatar Anthony Nelzin-Santos | 
@shenmue : c'est aussi le cas en Europe, avec six bons mois de décalage (j'attends les données consolidées). En Asie c'est plus compliqué : les Chinois, effet pervers d'Android, ont créé leurs propres versions qui ne répondent pas au cahier des charges de l'OHA et n'est pas compté dans les stats officielles, mais qui commence à représenter un sacré paquet de téléphones. Sinon merci.
avatar JoKer | 
Et les pc "Hackintosh" on les compte dans les parts de Mac OS X ? Et d'ailleurs, on pourrait aussi rajouter toutes les stations NeXT et compatible ! Whoaa ! Apple domine tout les marchés de l'électronique ! Ah et au faite... Qu'es-ce que ça peut faire ?

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