Optimisation fiscale : quand Apple se fait plus vertueuse qu’elle ne l’est vraiment

Anthony Nelzin-Santos |

Apple a publié le document qui servira de base à l’audition de Tim Cook devant le comité d’enquête du Sénat américain qui aura lieu demain. En 17 pages, le CEO, le directeur financier et le directeur fiscal d’Apple détaillent par le menu la politique fiscale de la société.



AAPL

Apple, qui se présente comme « une success story américaine », tient à démontrer que sa politique fiscale est juste et honnête — bref, qu’elle ne cherche pas à « éviter » l’impôt par des pratiques d’optimisation fiscale. Elle se défend ainsi en expliquant :




  • qu’elle a participé à la création de 600 000 emplois aux États-Unis (50 000 employés Apple, 290 000 emplois dans l’« App Economy », et 260 000 emplois chez ses fournisseurs et partenaires) ;

  • qu’elle paye un « montant faramineux » d’impôts aux États-Unis (un quarantième du montant total de l’impôt américain sur les sociétés est versé par Apple) ;

  • qu’elle n’utilise pas de « montages » destinés à l’optimisation fiscale (versements à des filiales de royalties sur de la propriété industrielle ou comptes dans des banques domiciliées dans des paradis fiscaux) ;

  • qu’elle ne rapatrie pas ses fonds à l’étranger dans l’intérêt de ses actionnaires (elle préfère les réinvestir à l’étranger plutôt que les rapatrier et en perdre 35 % en impôts) ;

  • que les différents arrangements financiers avec ses filiales à l’étranger (notamment ses filiales irlandaises) respectent parfaitement la législation américaine.



Ces réponses ne résistent toutefois pas à une analyse plus poussée : le fait qu’Apple ait versé neuf milliards de dollars aux développeurs ou qu’elle paye six milliards de dollars d’impôts ne répond en rien aux préoccupations du législateur américain. Pire, la firme de Cupertino essaye de détourner l’attention sur des points beaucoup plus problématiques.



Apple ne possède a priori pas de « compte aux Îles Caïman », mais elle optimise bien sa fiscalité… sur le sol américain. En 2012, Apple a été imposée à hauteur de 25,2 %, un chiffre bien en deçà du taux de 35 % qui est la règle : elle économise plusieurs milliards de dollars d’impôts par an en reversant une partie du produit de ses ventes à une filiale domiciliée dans le Nevada, un état à la fiscalité avantageuse. Elle économise aussi en ne rapatriant pas ses bénéfices réalisés à l’international, préférant s’endetter à des taux très faibles pour financer ses opérations boursières.



Les installations irlandaises d’Apple ne sont certes pas fictives, mais elles servent aussi de base à des montages financiers, contrairement à ce qu’elle affirme. Apple Operations International et Apple Sales International servent aussi à transférer des brevets depuis la Californie : certains bénéfices d’Apple sont ainsi envoyés en Irlande où ils sont taxés à 12,5 % plutôt qu’à 35 %. Et ces filiales sont en partie contrôlées par Baldwin Holdings, une société domiciliée dans les Îles Vierges britanniques, un paradis fiscal.



Dans cette déclaration, Apple ne ment jamais, ou du moins pas autrement que par omission. Elle participe certes amplement à l'économie américaine, mais elle est bien moins vertueuse qu'elle ne le prétend : elle respecte sans doute la lettre de la loi, mais pas son esprit. À la tête d’un réseau de près de 400 sociétés imbriquées, Apple est au final imposée à moins de 5 % à l’échelle mondiale — comme tous ses concurrents, elle évite l’impôt partout où elle le peut (lire : Le secret de polichinelle de l’optimisation fiscale d’Apple).



Comme Google ou Microsoft, la firme de Cupertino appelle à une remise à plat de l’impôt américain sur les sociétés. Comme un aveu de ses travers, elle demande la baisse du taux d’imposition sur les bénéfices pour ne pas encourager l’optimisation fiscale et une baisse drastique du taux d’imposition sur les bénéfices réalisés à l’étranger pour favoriser le rapatriement des fonds. Mais elle préconise aussi la suppression de toutes les niches fiscales afin que le montant total perçu par le fisc américain reste stable.

avatar blaste | 
@MachX
avatar blaste | 
@MachX L'esprit de la loi, c'est une notion simple et fondamentale en droit : il y a le texte de loi pur et dur, et son interprétation qui se fait selon l'esprit fondateur de cette loi. C'est souvent sur cette notion que se font les jurisprudences, par exemple.
avatar rikki finefleur | 
Un bon article du monde Ou l'on apprend qu'apple a transféré tout ces brevets de RD en irlande, alors qu'il n'y a aucune RD la bas. Dans le but de facturer a ses filiales en europe par exemple des frais de brevets. Et ainsi les rendre déficitaires, puis remonter l'argent via des paradis fiscaux. Et ainsi ne pauer son du aux contribuables francais et US. Quelle classe ! http://bit.ly/14tr4Jw
avatar mOSXquito | 
Un live stream de l'audition d'Apple (T. Cook & co) est visible sur Foxnews.com ;-) Ici : http://live.foxnews.com/#/1155606982001 J'ai suivi depuis le début, on verra qui d'autre a suivi (ou pas) dans les commentaires... :-)
avatar Eurylaime | 
@FollowThisCar : Apple a toujours été cynique, il n'a pas fallu attendre le départ de Jobs pour cela. Les pratiques limites d'Apple (comme celles de ses concurrents) ne datent pas d'hier.
avatar saji_sama | 
@mOSXquito Merci, Cook parle de "single digit tax rate" pour que les multinationales rapatrient leurs cash, on est loin des 35% ;)
avatar FollowThisCar | 
@ Eurylaime "Apple a toujours été cynique, il n'a pas fallu attendre le départ de Jobs pour cela. Les pratiques limites d'Apple (comme celles de ses concurrents) ne datent pas d'hier." Il y a malgré tout des degrés dans le cynisme. La sincérité de Steve n'est pas à mettre en doute : il se foutait royalement d'accumuler du fric pour le fric. De même, il y a une différence entre : 1) optimisation de la fiscalité d'une entreprise en utilisant les lois en vigueur, et 2) évasion massive de fonds vers des sociétés quasi-fictives. Dans le premier cas, c'est un cynisme disons "normal", légal, courant, accepté. Dans le second, on est en présence de détournement de fonds à grande échelle (ici, plus de 30 milliards de dollars, au minimum). C'est grave. Et ce qui chagrine peut-être le plus dans l'histoire, c'est que ces détournements gigantesques auraient perduré depuis au moins 5 ans, donc AUSSI sous la houlette de Steve (et forcément d'Oppenheimer également). Steve était-il donc au courant ou pas ? L'avenir le dira.
avatar saji_sama | 
Mr Levin " we love iPhone and iPad, i have one in my pocket" ahahah ;)
avatar FollowThisCar | 
@ mOSXquito "Un live stream de l'audition d'Apple " Je l'ai pris en cours de route. Je n'ai absolument pas été convaincu par les 3 dirigeants d'Apple, et partage l'indignation du sénateur Levin face aux méthodes quasi-mafieuses qui ont été mises en oeuvre pour berner le fisc. Tellement grossièrement d'ailleurs, que les autorités US vont forcément réagir, car ces gens-là - ô surprise - n'aiment pas qu'on les prenne pour des cons.
avatar Stardustxxx | 
Comment Apple peut demander un taux d'imposition a un chiffre. Vu les milliards qu'ils engrangent, ils ont de la marge pour supporter des taux d'imposition plus important. Ce n'est visiblement pas les impots qui les limites.
avatar cedalone | 
@saji_sama "Le système "véreux" ne sera pas pour autant changé, c'est naïf de croire cela, tout se qu'il va se passer au mieux c'est une refonte des taxes US qui favoriseront fiscalement les entreprises à rapatrier leur cash, Apple va négocier un deal fiscal pour rapatrier le cash des paradis fiscaux vers les US, tellement l'administration américaine ruinée, le fiscal cliff leur pends a nouveau au nez, je le répète, la seule manière de supprimer les paradis fiscaux c'est l'harmonisation au niveau mondial de la fiscalité, c'est a dire aussi supprimer les enfers fiscaux." Vous avez certainement raison, mais pour que les choses changent et que l'harmonisation fiscale mondiale finisse par voir le jour (je suis naîf, je sais,mais j'y crois...) il faut bien commencer par s'indigner sur ces pratiques, et aux USA jusqu'à présent, c'était pas le cas. Les américains ont mis ce système de défiscalisation au point, et tant que cela ne les gênait pas (tout comme nous, croissance oblige), ils ont fait semblant d'ignorer le problème que cela pouvait engendrer sur leurs recettes fiscales. Là, il semble qu'ils commencent à prendre conscience qu'ils ne pourront pas tenir éternellement en s'endettant (auprès des chinois qui fabriquent macs et iBidules) pour combler leur déficit public, et que leurs supposés "gros contribuables" ne payent pas de taxes, ou presque. C'est quand même un bon début, non?
avatar Whitelse | 
Pour ceux et celles qui n'ont pas eu la chance de suivre l'audition en direct, voici un lien qui vous permet de revoir l'intégralité de celle-ci (5h41min tout de même... la vidéo commence à 17:43) : http://www.hsgac.senate.gov/subcommittees/investigations/hearings/offshore-profit-shifting-and-the-us-tax-code_-part-2 Je n'ai pas trouvé de lien traduisant l'audition. Le vocabulaire est parfois très technique, ce qui vient perturber la compréhension globale du débat. N'hésitez pas à référencer vos commentaires avec cette vidéo. Un très bon cas d'étude pour tout étudiant en école supérieure de commerce.
avatar fondoeil | 
C'est amusant : on critique Apple pour sa gestion et des politiciens la clouent au pilori parce qu'elle fait des milliards de bénéfices, et pendant ce temps là personne ne reproche leur gestion à ces mêmes politiciens et ne parle des déficits abyssaux des États dont ils ont la charge en raison de leur démagogie et de leurs petites magouilles pour se partager le pouvoir... On méprise ceux qui travaillent vraiment, qui réussissent et qui donnent du travail aux autres pour encenser ceux qui entretiennent le chômage, la bureaucratie et tirent tout le monde vers la médiocrité... Très amusant aussi de voir les suicides en Chine reprochés à Apple en pure hypocrisie et en oubliant complètement l'histoire politique locale et ses décennies de "communisme" qui sont à l'origine de la situation ouvrière actuelle dans ce pays.
avatar JustTheWay | 
fondoeil : Wahou, donc les suicides c'est la faute du communisme ? Tu dois pas connaitre grand chose de la Chine, et encore moins du communisme, enfin tu vas aussi dire que les manifestations en Chine c'est aussi à cause du communisme ? Non parce qu'il me semble que c'est plutôt le contraire, cette jeune génération chinoise se soulèvent Contre le communisme, et Conte les boites qui les exploites, ce que faisait pas ou peu les ouvriers chinois avant. Et je t'informe aussi que le communisme place l'ouvrier au même niveau qu'un tradeur, est ce la cas ? Non. Alors quand on y connait rien on dit rien, où on va se renseigner avant de sortir n'importe quoi.
avatar cedalone | 
le monde se divise en deux catégories: ceux qui sont contents de payer leurs impôts, dont je fais partie, et les autres. Ce procès ne fait que révéler cet éternel clivage. On ne réconciliera jamais deux visions si différente de la société, du monde, bref de l'humanité: solidarité VS individualisme. L'optimisation fiscale est légale, et alors? Tout est dit? Circulez il n'y a rien à voir? Ben non! Il y a un problème de système (voyez, je suis même d'accord avec le "sympathique" Rand Paul, enfin sur l'analyse, pas sur les solutions qu'il propose, on s'en serait douté) et il est temps de commencer à s'en préoccuper. Alors oui ce devrait être le procès du système fiscal américain (et mondial) et pas celui d'Apple qui respecte vertueusement la loi, c'est exactement ce que cette affaire va démontrer. Du coup, il n'est pas impensable que leurs lois fiscales finissent par être modifiées et qu'ils mettent la pression aux autres pays un peu partout à travers le monde pour en finir avec ce système....faut pas croire qu'ils en soient incapables, c'est mal connaitre les US et leur histoire en matière de fiscalité. @mOSXquito: C'est pas parce qu'on a pas les mêmes opinions politiques que vous qu'on ne doit pas regarder ces vidéos. Une opinion se construit en ayant des éléments d'information...c'est le minimum.

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