« Jonathan », le Mac modulaire des années 1980

Florian Innocente |

À en croire une rumeur récente, le prochain Mac Pro trouverait sa modularité dans l'empilement de boitiers spécialisés qui augmenteraient ainsi ses capacités ou permettraient de remplacer des éléments.

On verra ce qu'il en est, mais cette idée rappelle un projet qui avait mûri chez Apple au milieu des années 1980. Il ne s'agit pas de dire que de vieux tiroirs ont peut-être été rouverts — on ne sait pas encore à quoi va ressembler ce Mac Pro — mais que l'idée d'une machine construite comme un Lego était déjà caressée à l'époque du lancement du premier Mac.

Images : « AppleDesign » de Paul Kunkel

Le projet en question avait été surnommé « Jonathan » et emmené entre 1984 et 1985 par un ingénieur de la division Apple II, Jonathan Fitch. Il souhaitait trouver un successeur à l'Apple II, une machine dotée dès l'origine de capacités d'extension, une perspective à laquelle le Macintosh se fermait dans sa première version.

En septembre 1984, Fitch imagina un système comprenant un support externe sur lequel on brancherait des modules pour accroitre les capacités de son ordinateur. Des modules qui prendraient une forme rectangulaire — leur design évoque aujourd'hui certains disques de LaCie — et se positionneraient les uns à coté des autres, comme on range des livres dans un rayonnage.

Ce socle sur lequel se connecteraient les modules contiendrait l'alimentation générale, quelques ports de connexion et un bus pour faire communiquer les modules entre eux.

Certains de ces modules contiendraient le nécessaire pour faire fonctionner Mac OS, ou le système de l'Apple II, un autre DOS ou Windows, et un autre encore l'UNIX d'AT&T. Par conséquent, l'utilisateur aurait tout loisir de travailler avec le système d'exploitation de son choix. D'autres modules encore apporteraient des disques durs, le lecteur de disquettes, un modem, la connexion Ethernet…

De gauche à droite, trois modules avec l'alimentation du système, un disque dur 160 Mo et une carte Ethernet. Image : Design Forward

Un système Jonathan de base utiliserait un ou deux modules. Un acronyme avait été trouvé pour cette solution de départ : le HIT, pour Home Information Terminal. Un ensemble suffisant pour du traitement de texte et de l'email, et assez bon marché pour entrer dans les foyers. Un poste en entreprise aurait un peu plus de modules et ainsi de suite, jusqu'à sept ou huit, au fur et à mesure des besoins de l'utilisateur.

Cette capacité d'extension externe, au lieu d'être interne et dissimulée aux regards, avait en outre une dimension psychologique. Tony Guido, l'un des designers du cabinet Frog Design, qui travaillait pour Apple, l'explique dans l'ouvrage AppleDesign de Paul Kunkel :

Un problème avec les ordinateurs conventionnels est qu'ils se ressemblent tous. Il n'y a aucun moyen d'en deviner la puissance simplement en le regardant. Toute la fierté qu'il peut y avoir à posséder quelque chose est absente.

Là, en renversant le principe d'extension et en le rendant apparent, le propriétaire du système pouvait faire étalage des performances de son ordinateur. Ajouter un module comme on range un nouveau livre dans sa bibliothèque était perçu comme plus gratifiant qu'insérer une carte à l'intérieur d'un châssis d'ordinateur que l'on referme ensuite.

Cette idée perdure aujourd'hui, il suffit de voir les PC montés par leurs utilisateurs, avec force parois vitrées et éclairages LED pour exposer les entrailles de la machine aux regards ébahis.

L'autre intérêt de Jonathan était de permettre à un client de démarrer petit et de compléter son équipement au fil de ses besoins. Car à ce moment-là, Apple cherchait le moyen de contrer la montée en puissance des PC équipés de DOS puis du premier Windows.

Une piste pouvait être de baisser les prix. Sculley, alors patron d'Apple, avait convaincu Jobs de vendre le Mac bien plus cher afin de financer la R&D. Bill Gates, de son côté, avait proposé à Sculley qu'Apple licencie le système du Mac en échange de l'abandon de Windows, et puis il y avait l'option de faire fonctionner les OS d'Apple et de Microsoft sur une même machine.

Le concept de Jonathan répondait à ces trois scénarios. Fitch proposait qu'Apple fabrique le support des modules et en publie les spécifications pour que des constructeurs asiatiques en produisent en volume et les commercialisent à prix réduit.

Hartmut Esslinger, patron de Frog Design, suggéra qu'Apple conçoive quelques-uns des modules et loue à des fabricants, à des tarifs attractifs, les machines nécessaires pour les fabriquer à leur tour.

Afin de marquer la différence avec l'existant chez Apple, Frog Design donna à ce matériel une nouvelle allure par l'emploi de la couleur noire. Les côtés des modules étaient quant à eux striés pour la ventilation et montraient des formes anguleuses. Cela donnait un aspect militaire à l'ensemble.

À gauche un module Apple II, puis d'autres modules dont deux pour autant de disques durs de capacités différentes. Image : Design Forward

L'encombrement d'un tel système fut pointé du doigt lorsque de nombreux modules étaient collés les uns contre les autres. On insista aussi auprès de ces concepteurs pour qu'ils adoptent des ports d'extension respectant les normes du moment.

Tony Guido raconte le jour, en juin 1985, où le concept Jonathan fut formellement montré à la direction d'Apple, avec un petit cérémonial pour accentuer la surprise. Le matériel avait été tenu secret, les différentes configurations étaient cachées sous des tissus qui ne furent ôtés qu'après la présentation de quelques slides d'introduction.

Quand Hartmut Esslinger révéla les prototypes, la réaction des cadres dirigeants fut un silence glacial. Ils furent vraiment choqués par la couleur noire. Un vice-président déclara que cela lui rappelait le monolithe de 2001. Ce n'est pas qu'ils n'aimaient pas l'idée. Ils en avaient peur.

D'autres critiques fusèrent. Jean-Louis Gassée fit remarquer qu'il fallait vendre deux ou trois Jonathan pour arriver aux bénéfices dégagés par la vente d'un seul Mac II, le futur Mac qui contiendrait plusieurs bus d'extension. Ce Jonathan s'annonçait également comme un concurrent possible de ce Mac II à venir.

Quant à Sculley, il donna le coup de grâce. Il craignait qu'en permettant d'avoir DOS sur cette machine davantage de clients Apple ne se tournent vers le système de Microsoft que l'inverse. « Apparemment Sculley avait moins foi dans le Mac que nous », observa Jonathan Fitch.

Macintosh II

Du Jonathan quelques choix furent conservés dans les machines qui suivirent. Fitch avait eu en tête d'utiliser le puissant processeur 68030 de Motorola. Il prit place dans les Mac IIx, IIcx et IIfx — des machines extensibles, mais à l'intérieur. Les lignes imaginées pour les modules du Jonathan furent également exploitées pour le Mac II et nombre de Mac et de périphériques Apple durant les années suivantes. Plus près de nous, en 2014, Razer avait montré son Project Christine de PC fait aussi de modules. Une réflexion qui n'est pas allée très loin. L'originalité dans ce domaine peine à se traduire en machines concrètes et commercialisées.

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avatar Avenger | 

Sur Mac, je rêve d'une solution d'ordinateurs avec un système de SSD amovible. On le retire et on l'insère directement dans le Mac sur lequel on désire travailler.
- Un Mac en panne, hop, on retire le SSD avec tout l'Os, ses données, ses documents, ses réglages fins et on l'installe dans un autre Mac. Aucune perte de temps, aucune perte d'info.
- On vend son Mac? Pas besoin de penser à effacer ses données. On garde son SSD, l'acheteur y installera le sien. Et le vendeur, à peine en possession de son nouveau ordi, y place son SSD et bosse directement sans avoir à passer du temps pour l'installer.
- On bosse sur des Mac différents? Pas grave, on a toujours le même et unique environnement de travail qu'on déplace d'une machine à l'autre.
Le rêve, pour moi.

avatar bugman | 

@Avenger

Tu rêves d'un matériel accessible. Tu n'as pas idée du choc que tu vas vivre en constatant (ici même) que l'ouverture (respectable) que tu demandes est à mille lieus des besoins des autres... Mais ce n'est pas le pire. Ton légitime désir sera pour certains un NON catégorique (sorte de guerre me faisant penser aux guerres religieuses) t'invitant (si ce n'est déjà fait) à t'intéresser à l'"ailleurs". Alors, avec un poil d'avance... Bienvenue.

avatar Avenger | 

@ bugman

Je me sens moins seul, c'est déjà ça :-)

avatar bugman | 

@Avenger

On ne l'est jamais quand l'envie est le partage. ?

avatar lamainfroide | 

J'en suis.
Je signe où ?

avatar bugman | 

@lamainfroide

C'est fait. ?

avatar coucou | 

Et dieu inventa linux :)

avatar switch (non vérifié) | 

C'est faisable depuis l'arrivée de Thunderbolt en 2011 et de l'USB 3.0 en 2012.
Bien sur c'est plus cher avec un boitier+disque ssd en Thunderbolt (surtout en TB3), mais si tu peux te satisfaire des 5 GB/sec d'un port USB 3.0, un simple boitier UASP + disque SSD sata III et à toi le bonheur !

avatar CorbeilleNews | 

@Avenger

Ce que je fais sous linux ... avec une clé usb ou un ssd

avatar sekaijin | 

Il faudrait très peut de choses aux machine actuelle pour mettre en oeuvre le projet Jonathan.

Un peut de conception de plastique et le tour est joué côté connexion on a déjà tout ce qu'il faut.
Si Apple proposait une définition d'un socle dans lequel enficher des modules dont la hauteur et largeur et la position de la connectique serait "standardisé", les connecteurs actuels sont largement suffisant pour que cela fonctionne.

pour que ça fonctionne il faudrait qu'Apple oublie ses vieux démons : rentre le concept tellement propriétaire et coûteux en licence que les acteurs de l'industrie finissent par l'ignorer.

A+JYT

avatar bugman | 

@sekaijin

Tout est là (dernier paragraphe). Apple le veut elle (profondément) ?
Gros doutes.
(PS : dans le film de D.Boyle, je me serais battu pour les idées de Wozniak... Pour Jobs, Lisa, Apple et nous (dans l'ordre des priorités))

avatar webHAL1 | 

Merci à MacG pour cet article très intéressant !
Je ne connaissais pas ce concept de "Jonathan". :-)

avatar Madalvée | 

Je pense quand même qu'il aurait fallu avoir Jennifer comme femme et être justicier milliardaire pour se le payer.

avatar bugman | 

@Madalvée

Jonathan hard (hohoho !), Jennifer hard (hohoho !)

avatar celebration | 

Il est bien là le problème.

La pertinence du choix (ici de passer de Intel à ARM) est dicté uniquement par la promesse d’engendrer plus de bénéfices (jusqu’à la fin du monde ou plutôt de la société industrielle). Alors que la machine née de ce changement pourrait effectivement être vendue moins chère. Elle sera certainement vendue plus chère. Le marketing et les avantages réels seront là pour ça.

La perfection/perversion de ce système est que la frustration liée à l’utilisation d’une machine conçue dans le contexte du « toujours plus de bénéfices financiers pour l’entreprise » pousse à un nouvel acte d’achat sensé combler les lacunes de la machine actuelle.

Une nouvelle orientation du choix ne viendra pas d’Apple. Mais d’un nouvel Apple. Apparition peu probable aujourd’hui.

avatar bugman | 

@celebration

Je partage. ?

avatar totoguile | 

@celebration

Y a pas que le cpu de base: quand on voit la vitesse qu’il faut a Intel pour ajouter de nouvelles instructions pour le h265 par exemple, je comprend qu’Apple ait envie de se passer d’Intel.
Si Apple passe au ARM, c’est surtout pour gagner en flexibilité et surtout ajouter des instructions spécifiques qui vont accélérer leur OS. Lorsque tu maitrises à la fois le HW et le SW, tu peux commencer à faire des stats sympas pour savoir quelles séries d’instructions sont exécutées et les optimiser en Hard directement.
Le risque du passage à l’arm, c’est une plus pour la partie graphique , mais bon comme Apple fournit toujours des cartes graphiques plutôt bof, ils partent pas de trop loin non plus.

avatar naas | 

Texas instrument avait fait de même de mémoire au temps de l’Apple 2e (carte chat mauve inside steuplait), de nos jours c’est les automates programmables qui sont tous comme ça

avatar melaure | 

@naas

Bien sur mes TI-99/4A (machine conçu en 79), on pouvait connecter une PeBox, un boitier modulaire où on ajoutait plein de choses, et déjà en plug and play.

Je n’avais pas les moyens, mais j’ai toujours deux TI-99/4a chez moi ;)

avatar ce78 | 

Jonathan ? Nous aussi on attend.

avatar DG33 | 

@ce78

Gilles se joint à John

avatar jibu | 

Après bien des questionnements sur la machine à acheter suite à la mort d’un imac 27 », j’ai acheté le new mini et je suis comblé. windows m’attendra encore quelques années ;-)

avatar celebration | 

@jibu

Quelle configuration ? C’est sûr que cela fait plus rêver qu’une tour PC...

avatar L.Fire | 

Ce projet est plein de bonnes idées. Avec les technologies d’aujourd’hui, je crois qu’on peut en faire un produit vendable.

J’ai vraiment hâte de voir comment Apple va définir sa nouvelle gamme Pro.

avatar jibu | 

I7/512/32 , avec ssd 2To en usbC. C’est très fiable, jamais de déconnexions, alors que j’en avais plusieurs par jour avec un boîtier USB 3 micro. Plusieurs disques 3,5 pour du gros stockage que j’allume quand nécessaire. C’est hyper silencieux, la grande classe. Et un écran 43 » en 4K, c’est parfait.

avatar naas | 

Une machine pro rêvée : des machines en réseau qui partagent en direct leur ressources de calcul disponibles, les capacité disque dur partagées en RAID, et si possible un joli design

avatar tbr | 

Croyez-moi ou non — en fait, osef —, mais pour rentrer en école de design, en 1988, j’avais présenté au concours un concept identique (mais vertical) dont il me reste un exemplaire en diapositive.
Je l’ai retrouvé par hasard il y a quelques semaines au fond d’une boîte.
Les éléments se connectaient sur le même principe que pour les contacteurs photographiques (adaptés), du moins c’est ce que je pensais faire. Il aurait fallu voir si c’est possible mais c’est resté à l’état de dessin.

Inutile de vous dire que je n’étais évidemment pas au courant de ce que faisait Apple, cela va sans dire.
Comme quoi...

avatar TheUMan | 

Ayant vu le film Steve Jobs hier sur Netflix, cela fait doucement rigoler lorsqu'on voit se que pensait Jobs des slots d'extensions de l'Apple II... ;-)

avatar sensass | 

Certaines photos me font penser à des disques durs Lacie. Etrange.

avatar 6nemax | 

je croyais avoir fait le tour de toutes les machines produites par Apple mais je dois avouer n'avoir a jamais entendu parler de ce projet jonathan, merci pour ce papier MacGe !

avatar DG33 | 

@6nemax

Idem. Et pourtant je suis tombé dans la Macmite en 1986.

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