Témoignages : ces créatifs qui quittent le Mac

Florian Innocente |

Ils sont ce que l'on appelle communément les "créatifs", cette clientèle historique d'Apple composée de musiciens, de graphistes, de modeleurs 3D, d'architectes et d'autres professions longtemps choyées par la Pomme. Depuis un certain temps déjà, une partie d'entre eux ne sont pas contents du tout, au point de remettre en question leur attachement au Mac… lorsqu'ils n'ont pas déjà fait leurs bagages.

Leur fidélité a été mise à rude épreuve ces dernières années, au gré des transformations de quelques-unes des machines d'Apple ou, à l'inverse, au vu du manque total d'évolution sur d'autres. Prix élevés, configurations figées, composants soudés, logiciels abandonnés… les raisons de reconsidérer leurs investissements chez Apple ont été et restent multiples.

La "créature pour créateur" s'est révélée être une magistrale erreur d'appréciation chez Apple. Elle a décidé de revoir intégralement sa copie.

Notre appel à témoins sur ces créatifs qui en ont assez du Mac a généré plusieurs réponses, parfois longues, dans notre forum. Il avait été lancé bien avant la révélation par Apple cette semaine qu'elle travaillait à une refonte complète du Mac Pro, à un nouvel écran haut de gamme et à un iMac plus adapté à cette clientèle.

Cette communication surprise devrait au moins éveiller la curiosité de certains de ces lecteurs dépités et peut-être aussi temporiser quelques velléités d'aller voir ailleurs. Il y a eu d'autres signes encourageant du côté de Nvidia. Reste que l'on ne sait pas ce qu'Apple va proposer au-delà d'un « Mac Pro modulaire », ni quand tout cela va arriver (rien en 2017 ni peut-être en 2018) et encore moins dans quelle fourchette tarifaire. Au moins l'espoir renaît et de manière très officielle, ce qui n'est déjà pas si mal.

J'ai mal au portefeuille

« TROP CHER » lance SidFik, graphiste « qui ne roule pas sur l'or ». Son propos est le premier d'une série de témoignages qui place le prix des matériels d'Apple en tête des exaspérations. Notre lecteur garde un MacBook Pro pour ses présentations en déplacement mais, pour le bureau, il a mis le cap sur un hackintosh (on y revient plus loin).

Ni les écrans Retina, ni la Touch Bar, ni la finesse synonyme de légèreté n'ont trouvé grâce aux yeux de titiyoyo qui travaille dans la musique, « si c'est pour payer le double et avoir tous les composants soudés ». Il fustige une Apple qui se pare des atours des enseignes de l'univers du luxe : « Pour moi, acheter un Mac a seulement été le choix de la stabilité de l'OS et de la simplicité. C'est de moins en moins le seul apanage de macOS. Windows 10 est vraiment pas mal, même s'il reste loin derrière macOS, mais il s'est suffisamment amélioré pour que je considère une migration ».

Le tout USB-C et la cohorte d'adaptateurs et de docks indispensables ont agacé jv21, « car maintenant il faut — en plus du laptop — acheter un dock multi connexions, ce qui rajoute une couche au prix d'achat déjà trop élevé… »

Designer web dans une structure de trois personnes, Cynosarge est l'un des rares à tempérer sur cette question des prix. Il la contrebalance par l'excellence de plusieurs outils exclusifs à macOS (Sketch, Abstract, Zeplin, Framer, Craft) : « Pour nous, le coût des machines ne représente rien par rapport au gain des outils listés. Mais je ne fais que du web ».

Il faut souligner d'ailleurs que ces témoignages proviennent d'indépendants ou d'utilisateurs travaillant le plus souvent dans de petites équipes. L'importance du prix n'en est que plus vive, ils estiment ne plus en avoir pour leur argent lorsqu'ils regardent le menu que leur tend Apple.

Des config' inadaptées ou dépassées

Professionnel du son et de l'image, équipé de MacBook Pro 2009 et 2013, Oslew distribue ses mauvais points : « Pas de différenciation entre les marchés grand public et marché pro, mêmes circuits, relations, traitements, etc… » ; « Configurations natives trop grand public, pas autosuffisantes, amélioration possible uniquement à l’achat, mais à des prix complètement stratosphériques et déconnectés du marché » ; « Machine considérée comme vintage après 5 années, interventions et réparations impossibles, pièces indisponibles. »

Tout cela, et d'autres arguments encore, se traduisent chez Oslew par une « perte de confiance totale » en Apple. Les deux machines en sa possession illustrent l'évolution de la gamme des portables. On pouvait faire évoluer les composants dans les MacBook Pro 2009 mais il n'y a plus rien qui bouge dans ceux de 2013.

Fin novembre, HP s'est joué de l'état comateux du Mac Pro en lui opposant frontalement ses stations de travail plus flexibles (lire : Quand la concurrence se refait une image sur le dos d’Apple)

Le long témoignage au vitriol de debione, spécialisé dans la musique et très attaché à Logic, cible plusieurs lacunes de l'offre, dont la connectique réduite à l'USB-C : « Je sais pas si Apple a déjà discuté avec des créatifs musicaux, mais un truc dont on a besoin, c'est de ports, et pour les adaptateurs, juste le minimum (oui, parce qu'on joue à l'extérieur et qu'on transporte notre matériel) ». Une dépendance aux hub qui est synonyme « de bugs avec les hybrides de chez Arturia ou NI », déplore-t-il.

Il cite aussi l'abandon d'Aperture, les plantages dans Logic et la disparition de la prise aimantée MagSafe « indispensable quand tu trimballes ton ordi de scène en scène et qu'il y a des fous furieux qui sautent à côté de toi ». La coupe n'est pas pleine, il y a encore l'autonomie en berne des portables actuels lors des tâches audio lourdes et l'architecture fermée d'une machine comme l'iMac alors que « tout devient de plus en plus lourd, la 4K se généralise, la 8K pointe le bout de son nez. Les besoins en stockage explosent, ceux en RAM aussi…».

Dans son mea-culpa sur le Mac Pro, Apple a reconnu que son design oblitérait ses capacités d'évolution. Cette nécessité est au cahier des charges de son successeur.

Depuis l'automne, Apple a retiré le Mac mini de la photo de famille sur sa page Mac. Quelques mois auparavant c'est le Mac Pro qui avait été gommé.

Le hackintosh comme roue de secours

Les réponses à ce dépit ont pris plusieurs formes. Il y a ceux qui ont opté pour garder macOS mais se séparer du Mac. Leur solution : le hackintosh. Photographe et auteur de BD, Xololth1 écrit en « avoir marre d'être pris pour un pigeon ». Il s'est fait aider par un ami pour assembler une machine qui n'a pas d'équivalent avec l'offre Mac d'aujourd'hui : « j'ai choisi de payer pour une configuration musclée à un prix raisonnable. Avec un "rack de 6 disques durs pour mes sauvegardes" à l'intérieur de la machine et non pas étalés sur mon bureau. » Une référence au Mac Pro 2013 qui a pris le parti de déporter tous les périphériques de stockage vers l'extérieur avec le soutien de plusieurs prises Thunderbolt.

Il ajoute : « j'ai un Eizo Color Edge 27" qui coûte le prix de ma nouvelle machine et qui ne brille que par la qualité de son affichage mat et non Retina. Il est, lui, garanti 5 ans en standard ». Est-ce que ce futur écran d'Apple pour les pros aura une dalle mate lui aussi ? La Pomme n'a rien dit de plus à son sujet.

Le "hackintosh Pro" réalisé par Dan Counsel, cofondateur de l'éditeur Realmac.

Arrivé sur Mac il y a 10 ans, lechat666 jongle entre After Effects, Premiere, Photoshop, Illustrator, Cinema 4D et Lightroom. Il regrette d'avoir perdu en mobilité car son MacBook Pro de 2012 est insuffisant aujourd'hui. Cependant la gamme actuelle ne lui convient pas avec le tout soudé sur la carte-mère et les écrans brillants : « c'est juste pas possible du tout, surtout lorsque je travaille sur des images sombres ». Pour sa station de travail, les lacunes du Mac Pro l'ont conduit à se faire un hackintosh :

RAM extensible. 32 Go de RAM aujourd'hui, bientôt 64 Go alors que les MacBook Pro sont limités à 16 Go… Carte graphique puissante car je fais dorénavant du rendu 3D CUDA et il n'y a plus de NVIDIA chez Apple. Pouvoir jongler avec mes SSD, gérer mes stockages. Le SSD soudé ou format propriétaire est un gros frein. Le prix tout doux (1 500 €) est un bonus.

Sa prochaine étape est un switch à 100 % vers le PC pour augmenter encore ses capacités d'évolution matérielle, même s'il aimerait « vraiment » rester sur macOS.

Inspiré par notre feuilleton sur le hackintosh, iNeo a monté le sien pour moins de 2 000 € (il le détaille dans le forum) : « je suis Mac user depuis près de 25 ans — créatif dans la pub — et pour la première fois j'ai dérapé… o_O. La politique d'Apple envers les pro est de plus en plus incompréhensible ! »

A switché !

Des lecteurs comme Hellix06, [MGZ] Shralldam, Diego1968, patrick mantout, ont préféré l'option Windows. Ils ne se sont pas offert un magnifique Surface Studio (qui est encore moins évolutif qu'un iMac), mais des PC montés sur mesure. Un choix préféré à celui du hackintosh où le choix des composants oblige à davantage de prudence pour éviter les incompatibilités avec macOS.

La situation s'est renversée, c'est Microsoft aujourd'hui qui essaie de se comparer favorablement à Apple.

Selon son domaine d'activité, l'opération est facilitée par la nature multiplateforme de pas mal d'applications de création. Logic Pro, édité par Apple, est l'une des quelques exceptions qui mettent des bâtons dans les roues des candidats au switch. Mais que ce soit pour des titres de 3D, de traitements photo ou toute la collection Adobe, on retrouve immédiatement ses outils.

Patrick, qui liste les composants de son PC fait maison, écrit :

Ce qui m'a fait agir ainsi n'est pas une question financière, je ne suis pas intéressé par un hackintosh, je ne veux pas faire des économies, je veux "juste" un ordinateur puissant avec lequel je puisse utiliser Photoshop, Maya, Blender, Unity 3D… et faire de la programmation. Ce qui est dramatique avec les dernières machines de bureau d'Apple, c'est leur carte graphique. Vu le prix proposé, c'est particulièrement scandaleux de se retrouver avec une petite carte graphique toute "pourrie" d'un portable.

Lorsque j’utilise des logiciels comme Unity 3D, Maya 3D, Blender 3D, j’ai l’impression d’avoir une station de travail entre les mains. Les performances des logiciels 3D sont fabuleuses et le fait de pouvoir travailler sur un 32 pouces 4K sans aucun ralentissement est particulièrement génial. Il n’y a aucune différence d'interface dans ces logiciels entre mon ancien iMac et cette machine.

Au diable le Mac, une loupe grossissante par-dessus un écran iPhone et ça suffit pour bosser. Crédit : Boris Cargo. Cliquer pour agrandir

Il est intéressant de relever ce point où la dépense nécessaire à un bon équipement n'est pas forcément un frein chez des utilisateurs pointus. Ils sont prêts à investir une bonne somme, sauf qu'ils estiment ne plus en avoir pour leur argent chez Apple.

Ainsi, Diego1968, illustrateur, animateur 3D, Motion designer et directeur artistique, depuis 20 ans sur Mac, juge qu'Apple n'offre « plus de solution viable et pérenne ». Il a ajouté cette année un PC à ses trois Mac Pro pré-2013 :

Pour moi le prix n'est pas un critère majeur, je suis professionnel et ce faisant je suis en mesure d'amortir mon investissement grâce à mon travail et mon statut. La puissance par contre est primordiale ! Je n'utilise aucun logiciel Apple. Adobe et Maxon sont mes principaux éditeurs de logiciels. Je continue sur mes Mac jusqu'à leur mort… après je ferais définitivement le saut PC pour mes nouvelles machines.

« Dois-je vraiment me tourner vers un Mac pour exécuter des travaux de création ? » demande [MGZ] Shralldam, graphiste et enseignant en création numérique. Il a monté sa tour PC pour utiliser à fond After Effects et Cinema 4D notamment. Poser la question, c'est y répondre : « Autrefois on ne se la posait même pas… Désormais, je pense qu'Apple donne plus l'image d'un confort d'utilisation global, plutôt qu'une longueur d'avance dans certains domaines ».

On a vu d'ailleurs au lancement du curieux Surface Studio que Microsoft draguait sans ambiguïtés la clientèle des graphistes et créatifs au sens large. Son ordinateur est aussi fermé qu'un iMac, il ne conviendra aucunement à ceux qui veulent une tour remplie de logements d'extension, mais il offre une autre approche du monobloc.

Le passage à Windows ne se fait pas toujours sans mal. Quelques lecteurs soulignent cet aspect, jusqu'à refuser de tenter l'expérience et préférer prolonger leur séjour sur Mac. Mais pour d'autres, une fois que l'on est dans ses applications, la différence entre les plateformes s'estompe, surtout lorsque le moteur sous le capot pousse bien plus fort que sur le Mac.

Évolutivité du Mac Pro, révision de l'iMac pour des usages professionnels, boitier externe avec une carte graphique… les doléances de Hasgarn sont très proches de ce qu'Apple a promis ou brièvement évoqué cette semaine. Seulement, il va falloir ronger son frein avant que tout cela ne prenne forme.

Phil4170 est de ceux qui se désolent de la situation actuelle mais n'envisagent ni le hackintosh ni Windows. Un peu comme Sœur Anne, il surveille l'horizon, probablement comme beaucoup d'autres utilisateurs qui gardent leur attachement au Mac tout en voyant leur patience s'éroder.

En tant qu'architecte, je suis bien entendu sensible à la beauté des choses, et avoir un bel ordinateur est agréable. Même s'il faut pour cela payer un peu plus cher (mais de manière raisonnable). Mon impression aujourd'hui est qu'Apple oublie qu'elle est un fabricant informatique et que ses produits sont des outils. Qu'il y ait une recherche du meilleur design, c'est normal, c'est même sa marque de fabrique, mais là je trouve que des choix technologiques sont sacrifiés sur l'autel du design, et ça ce n'est pas tenable.

Le prochain Mac Pro devra répondre à ce challenge : marier le beau avec le fonctionnel. Rien d'impossible, Apple sait aussi le faire, des photos dans des livres d'histoire le prouvent.

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  • Les réponses complètes à cet appel à témoins et d'autres qui n'ont pu figurer dans cette synthèse sont à retrouver dans ce fil de discussion.
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