Les pays du G7 font un pas vers une imposition minimum de 15 % sur les grandes multinationales

Anthony Nelzin-Santos |

Réunis à Londres, les pays du G7 ont trouvé un accord en faveur d’une réforme de la fiscalité mondiale, à l’issue d’une réunion-fleuve qui s’est achevée samedi. Les ministres des Finances de sept des dix plus grandes puissances économiques de la planète1 s’engagent pour une remise à plat des règles fiscales concernant les multinationales, et pour l’instauration d’un taux d’imposition des entreprises « d’au moins 15 % ».

La réunion des ministres des Finances du G7 à la Lancaster House, à Londres, le 4 juin 2021. Image HM Treasury (CC BY-NC-ND 2.0).

Ce projet repose d’abord et avant tout sur une petite révolution fiscale, qui signerait la fin d’une certaine conception des paradis fiscaux, en modifiant les règles de calcul et de répartition des impôts des entreprises multinationales. Les entreprises seraient forcées de payer leurs impôts dans les pays où elles réalisent leur chiffre d’affaires, et non plus dans les pays où elles ont installé leur siège social.

Les grands argentiers des membres du G7 proposent, à la suite des propositions des États-Unis, de commencer par les cent plus grandes entreprises multinationales dégageant une marge bénéficiaire d’au moins 10 %. Une part de 20 % des bénéfices dépassant ce plancher serait « réallouée » et imposée dans les pays où ces entreprises opèrent. Cette mesure concernera les géants de la Silicon Valley, et devrait toucher une demi-douzaine de groupes français.

Après deux ans de négociations soutenues par l’OCDE, les esprits étaient préparés à l’idée d’un taux d’imposition minimum. Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain et ancienne présidente du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, avait avancé le chiffre de 21 %. Le consensus s’est finalement établi sur un taux de 15 %, « trop bas » pour l’ONG Oxfam, « un point de départ » pour Bruno Le Maire.

Alors même qu’il militait en faveur d’un taux de 12,5 %, le ministre français des Finances salue « un accord historique ». « La France peut être fière ! », assure le concepteur de la « taxe GAFA », pour tenter de faire oublier la magistrale leçon de géopolitique donnée par les États-Unis. Joe Biden veut financer son vaste programme d’infrastructures par une augmentation drastique du taux d’imposition des entreprises, qui pourrait passer de 21 à 25 %, voire 28 %.

En reprenant à son compte l’idée d’un plancher fiscal, l’administration américaine s’est arrogé le leadership moral tout en vidant le contenu de la « taxe GAFA », avec l’assurance de provoquer d’interminables palabres à Bruxelles. Les pays de l’Est veulent conserver leurs dérogations fiscales, et l’Irlande, qui abrite le siège de nombreuses multinationales américaines dont Apple, a déjà fait savoir son opposition.

Sur l’ile d’Émeraude, le taux d’imposition moyen des entreprises s’établit à 12,5 %, précisément le taux proposé par Bruno Le Maire. Le ministre des Finances assure aujourd’hui vouloir se « battre pour que ce taux d’imposition minimal soit le plus élevé possible ». Avec un taux de 15 %, la France pourrait récupérer jusqu’à 4,3 milliards d’euros supplémentaires d’impôts sur les multinationales étrangères, un chiffre qui serait quadruplé avec un taux de 21 %.

« Un taux d’imposition minimum mondial de 15 % est bien trop faible pour mettre fin à la course au moins-disant fiscal en matière d’impôt sur les sociétés et pour lutter efficacement contre les paradis fiscaux », assure Jose Antonio Ocampo, professeur à la Columbia University et président de l’ICRICT. « Il est crucial que des nations telles que les grands pays européens prennent un engagement plus ambitieux, comme le font les États-Unis, pour aller au-delà de ce minimum mondial », ajoute Joseph E. Stiglitz, lauréat du prix Nobel d’économie.

Mais avant, il faudra déjà convaincre les autres pays de s’entendre sur le cadre global. Ce projet sera probablement au menu des discussions du prochain cadre inclusif sur « l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices » de l’OCDE, qui regroupera 139 pays le 30 juin et le 1er juillet, avant une présentation lors du G20 Finances, qui se tiendra les 9 et 10 juillet prochains à Venise.


  1. États-Unis, Allemagne, Japon, France, Royaume-Uni, Italie, Canada.  ↩︎

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avatar IceWizard | 

@

« Peut-être mais ils attirent beaucoup de sociétés qui viennent installer leur siège là-bas, avec ce que cela comporte de flux de personnes, de consommation, d'impôts locaux etc. »

C’est le cœur du système de développement économique, choisi par l’Irlande dans les années 80 : proposer une imposition très faible, voir nulle en échange d’emplois, afin de faire venir les sociétés étrangères.

Tout le « miracle irlandais «  et la folle croissance a 10% de son économie, dans les années 1990-2000, repose là-dessus. C’est moins rose maintenant, avec les crises financières.

avatar Gwynpl@ine | 

L'Irlande s'en fiche royalement d'être à 15% au lieu de 12,5%, il y a d'autres avantages.

avatar r e m y | 

Pas du tout! Cette affaire ne fait pas du tout les affaires de l'Irlande.
- D'une part parce que le taux légal de 12,5% en Irlande est régulièrement abaissé via des accords spécifiques (rappelez-vous l'accord avec Apple que la Dg Concurrence de l'UE a voulu casser en demandant à l'Irlande de refacturer 13 milliards à Apple pour revenir au 12,5%)
- d'autre part, parce que la proposition adoptée en G7 empêche de payer là oú est implanté le siège social, mais oblige à payer là où est réalisé le chiffre d'affaires. Fini pour l'Irlande les montages où Apple (par exemple) déclare en Irlande ses revenus européens, africains et indiens.

avatar totoguile | 

Bon ça concerne pas Amazon qui fait moins de 10% de bénéfices.
Ensuite, je suis sur qu’avec les mécanismes de transfert price, on doit pouvoir encore optimiser un peu …

avatar Sgt. Pepper | 

Et qui va payer cette sur-taxe?

Les consommateurs 😤🤬

Je comprends qu’il soit beaucoup plus simple de remplir les caisses d’un État grâce à la TVA et impôts société.

Ce sont ceux qui s’enrichissent des dividendes ou autres salaires mirobolant qui devraient payer 👊
Mais évidement pour eux, les politiques ne les touchent pas et ils auront toujours des moyens de s’exonérer des impôts.🤢

avatar tupui | 

@Sgt. Pepper

+1000
Facile quand on est celui qui fait les règles... Comme d’habitude avec ce genre de choses, ce n’est ni les faits ni la science ou logique qui gagnera...

avatar Seb42 | 

@Sgt. Pepper

Ôtez moi d’un doute les taxes ce sont toujours les
consommateurs qui les payent au final si vous regardez bien… et les citoyens qui en bénéficient (donc les consommateurs).
Maintenant les salaires mirobolants d’un Tim Cook et autre consort je n’apprécie pas et je trouve même indécent, un plafonnement des salaires…

avatar anonx | 

@Sgt. Pepper

Devine ce qu’il se passe quand la demande diminue… 🙂

Puis ça ira en accord avec l’écologie 🥰

avatar v1nce29 | 

> Devine ce qu’il se passe quand la demande diminue…

On augmente les prix pour continuer à toucher autant ?

avatar debione | 

@sgt.Pepper:

Ce que tu ne payes pas actuellement sur certains produits, tu le payes via de la TVA ou de l'impôt.
Donc si cela augmente le prix d'achat pour le consommateur, ben il consommera moins de ces produits. Et peut-être ne pas oublier que l'argent des taxes, il est utilisé (alors certes on peut discuter de la pertinence de cette utilisation), qui pour payer des cuistots 4* pour des réunions ministériels, qui pour acheter de nouvelles voitures présidentielles ou de fonction, qui pour repeindre des appartements de ministres... Ca à l'air d'être de l'argent foutu en l'air, mais en fait le cuistot fait vivre sa famille et consomme, le vendeurs de voiture et le constructeur aussi, et le peintre idem.
C'est pas de l'argent qui s'évapore, il est par moment mal utilisé, mais il profite à tout le monde. (et je passe volontairement sur les écoles, les trottoirs, et autres truc que l'on oublie qu'il faut payer)

avatar J'en_crois Pas_mes yeux | 

Que c'est déprimant de lire le degré zéro de la majorité des interventions =:-(
Décernons quand même un premier prix bien mérité à @Sgt. Pepper
Pour sa compréhension des taxes dans l'économie mondiale

"Et qui va payer cette sur-taxe? Les consommateurs 😤"

avatar laraigneegypsymontealagouttiere | 

De toute façon c’est juste un accord de façade auprès du G7
Encore faut il que l’UE entérine une décision à l’unanimité, ce qui est loin d’être gagné
En cas de désaccord les pays ont le choix d’appliquer une taxe de façon unilatérale sauf que dans ce cas on reviendrait à une situation où un pays taxerait a un certain taux et ses voisins feraient du dumping pour attirer les investissements

Bref c’est pas encore demain qu’il y aura une harmonisation

Les grandes multinationales ont encore largement de trouver une parade

avatar Louisgaga | 

L'évasion fiscale permise par les systèmes actuels privent les états et accessoirement le citoyen de moyens permettant de faire face aux enjeux sociaux et aux enjeux économiques.

Donc chaque idée pour corriger ça va dans la bonne direction. Certaines réactions ci dessus sont assez choquantes.

En avant le G7!

avatar J'en_crois Pas_mes yeux | 

15%... c'est léger, mais mieux que rien. Prochain "grand pas Urgent" : La taxation carbone des importations polluantes.

avatar jcp25 (non vérifié) | 

L'impôt sur les sociétés est un impôt sur les bénéfices pas sur le CA.
A partir du moment où une société (Apple US) par exemple, vend ses produits à une autre société (Apple France) par exemple à un prix de marché, il n'y a pour l'autre société aucune obligation de faire des bénéfices.
On peut très bien imaginer que l'autre société (Apple France) ne fasse aucun bénéfice en France.
Le problème existe depuis plus de 50 ans et aucune solution n'a jamais été trouvée. Dans les années 70, un grand labo suisse vendait à sa filiale française les molécules de ses produits à un prix tel que la filiale Française ne faisait aucun bénéfice. Je passe sur les détails mais à la fin, le fisc n'a pu obtenir qu'une légère baisse du prix de vente "au prix du marché". La filiale française à fait "un tout petit bénéfice" donc un tout petit impôt sur les sociétés. Tout le monde était content !
🐾🐾🐾🐈🐈🐈

avatar IceWizard | 

@jcp25

« Le problème existe depuis plus de 50 ans et aucune solution n'a jamais été trouvée. »

C’est clair. Le principe a d’ailleurs été très bien présenté dans le film « 1000 milliards de dollars « d’Henri Verneuil, sorti en 1982 !

avatar Lucas | 

FOR-MI-DABLE, enfin ! 🎉🎉🎉

Sérieusement, c’est une excellente nouvelle à célébrer, ça reste un point de départ pas optimal mais ce serait déjà 1000 fois mieux que la situation actuelle et ce sera une base commune, fair-play et juste !

Si ça se réalise vraiment, c’est merveilleux, pour tout le monde !

Vous imaginez, 20 milliards, c’est un quart du budget des hôpitaux français ! Ça veut dire 25% d’infirmières et de médecins en plus et/ou de meilleurs salaires et horaires, une réouverture des urgences et maternités fermées à tour de bras et des dizaines de milliers de lits supprimés depuis 30 ans qui ont mené à la catastrophe meurtrière de 2020 : 100 000 morts.

Ça changerait la donne pour beaucoup !

avatar pagaupa | 

Qu’ils ne se plaignent pas, ils échappent à la taxe tobin! 😂

avatar Steve Molle | 

Biden voulait 21%.

Le Macronistan a milité pour moins quitte à bloquer le processus…

Et Le Maire le LR-traite ose dire que la France peut être fière.

avatar Mike Mac | 

5000 ponts en France mériteraient consolidation ou restauration . Ceux là même qu'empruntent quotidiennement voitures et camions au service des GAFAM et autres multinationales. Comment financer cela sans taxes ? Et il parait que la situation des ouvrages publics est encore plus terrifiant aux USA d'Amérique !

Mme Audrey Pulvar, responsable des forêts dans Paris intra-muros, veut offrir la gratuité des transports en commun en Ile de France. Transport que des millions d'employés des multinationales empruntent tous les jours. Comment financer tout cela sans taxes ?

La même dame socialiste aux célèbres lunettes en écailles de tortues à 15 000 € souhaite faire financer par la région des locaux de détente pour que les néo- esclaves d'Uber Eats et Deliveroo cessent de trainer en meutes sous les fenêtres des bobos clients agaçés par ces nouvelles nuisances qu'ils ont contribuées à faire naitre. Comment financer ces havres de paix sans le pognon des taxes ?

Etc... Etc...

avatar v1nce29 | 

Plus qu'à convaincre l'OMC qu'il est légitime d'imposer des bannières douanières à ceux qui jouent avec des règles différentes.

avatar anonx | 

Du coup j’espère que ça nous permettra de construire plein de ronds-points, j’adore les ronds-points 🤤

avatar Hideyasu | 

Je suis curieux de savoir comment sera gérée les crédits d’impôts et autre.
15% avant toutes déductions ?? Parce que des reduction d’IS il y en a un paquet

Puis c’est bien un accord de l’OCDE, mais les vrais paradis fiscaux n’y sont pas forcément
Ça règlera que la moitié du soucis

avatar r e m y | 

Le point important de cet accord c'est que les impôts doivent être payés dans chaque pays où est réalisé le chiffre d'affaires. Du coup, plus de possibilité de rapatrier les bénéfices dans les paradis fiscaux pour payer moins d'impôts (même si ces pays maintiennent un taux inférieur aux 15% validés par le G7)

avatar Hideyasu | 

Puis faudra aussi qu’ils s’accordent sur une méthode de calcul en plus du taux.
Parce que aujourd’hui sur une société « classique » il y a une différence entre un résultat comptable et fiscal, avec une chié d’élément à réintégrer ou déduire …
Pour moi c’est illusoire en tout cas

avatar debione | 

Enfin, payer l'impôt la ou c'est consommé... C'est LE truc qui arrive enfin.

avatar gequil | 

Bof. Si cette taxation est efficace (on parle de 400 millions pour la France) soit les GAFA ferons mois de bénéfices (ce qui m’étonnerait) ou ça reviendrait à créer une taxe de 400 millions sur les français.

avatar clarksebat | 

La solution simple et efficace n'est pas celle-ci. Elle est par ailleurs connue depuis plusieurs dizaines d'années. C'est la taxation sur tous les échanges financiers : de la baguette de pain à la cession de parts sociales. Tout échange de valeur est taxé d'un % (qui n'a pas besoin d'être important) acquitté par l'une, l'autre ou les deux parties. Ça couvre toutes les autres taxes et impositions sans problème. Et c'est nécessairement prélevé là où est réalisée la transaction, directement au niveau bancaire qui est nettement plus simple pour les États à contrôler que les comptes de millions d'entreprises ou particuliers.

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