Stress, pression, délation : le portrait sinistre d'Amazon

Mickaël Bazoge |

La situation des employés des entrepôts d’Amazon, les « petites mains » qui mettent les produits commandés dans les cartons, a souvent été documentée, et ce qui ressort habituellement des enquêtes de la presse n’a rien de glorieux pour les méthodes managériales du premier distributeur au monde. Le New York Times, dans un article au long cours, s’intéresse de son côté aux cadres d’Amazon, ceux qui travaillent dans les bureaux de l’entreprise à Seattle. Et le portrait n’est pas particulièrement amène non plus.

Chez Amazon, les courriels envoyés après minuit sont censés recevoir des réponses immédiates — et si ça n’est pas le cas, un SMS arrive quelques minutes plus tard demandant pourquoi on ne répond pas à l’e-mail. Les directeurs peuvent se plaindre de la qualité de la connexion internet des membres de leurs équipes en vacances. Un outil de délation, Anytime Feedback Tool, permet de dauber en toute liberté sur les collègues, le logiciel intégrant même des phrases toutes faites comme « Je m’inquiète de son manque de flexibilité et de ses plaintes concernant des tâches mineures ». Les propres cadres d’Amazon décrivent les standards de l’entreprise comme « déraisonnablement élevés ».

L’enquête a mené les journalistes du NYT à interroger une centaine d’« Amazonians », ces employés qui doivent se dédier corps et âme à l’entreprise, quitte à y laisser la santé ou s’éloigner de leurs proches. L’article contient ainsi quelques exemples effrayants de la pression que fait subir le groupe à ses cadres ; on a ainsi exigé d’une maman victime d’une fausse couche de partir en voyage d’affaires le lendemain de la naissance de ses jumeaux morts-nés. Une femme qui venait tout juste de guérir d’un cancer du sein a été mal notée à son retour et on l’a menacé d’un licenciement. Il faut dire que les employés qui sont tout en bas de l’échelle de notation sont virés.

Moins grave mais plus courant, chez Amazon il faut abandonner tout espoir de passer un week-end en famille loin du boulot, et accepter de travailler à la maison le soir. Ces employés disent que Jeff Bezos, le créateur et PDG du groupe, a créé là une méritocratie dans laquelle les gens et les idées sont en concurrence, et… que le meilleur gagne. Ce qui signifie que les salariés sont amenés à marcher sur la tête des collègues, « même si c’est inconfortable ou épuisant ». Pleurs, stress, ulcères, pression de la direction, crises de nerfs, burn-out… Travailler pour Amazon, c’est comme pointer au huitième cercle de l’Enfer, semble dire le quotidien.

Ce portrait à charge — mais pas sans fondement à la lecture de l’enquête— d’Amazon a appelé une réponse de l’entreprise, d’abord sous la forme d’un long billet d’un employé du groupe, Nick Ciubotariu, sur LinkedIn. Il y assure tout d’abord que « personne » ne l’a poussé à écrire cet article. Il revient ensuite sur les principaux point du papier du NYT pour mieux le démonter, avec une telle insistance que cela en devient presque suspect. Nul doute toutefois qu’il y a des employés heureux chez Amazon.

Jeff Bezos a également réagi par un mémo envoyé à ses troupes. L’article « ne décrit pas » l’entreprise qu’il connait. Dans cette note, le CEO recommande aux employés victimes de ces pressions de s’adresser à la DRH, ou tout simplement directement à lui. « Même si c’est rare ou isolé, notre tolérance pour un tel manque d’empathie est de zéro », écrit-il.

« [L’article] écrit que notre approche intentionnelle est de créer un lieu de travail sans âme, dystopique, où on ne prendrait aucun plaisir et où personne ne rirait », se plaint-il avant d’expliquer qu’aucune entreprise ayant cette approche ne pourrait survivre ni prospérer alors que le marché de l’emploi est si tendu dans le secteur des technos. « Je pense vraiment que quiconque travaille dans l’entreprise décrite par le NYT serait fou d’y rester. Je sais que je quitterais cette société ».

image de une Steve Jurvetson CC BY

avatar Highmac | 

Quelqu'un a de la monnaie sur 10 000 € ?
C'est pour me payer un café au distributeur... bande de petites gens !
Pfiou !!!

avatar Tnt1701 | 

Et après on plaint les pauvres employés de l'apple store qui font une ou deux heures supplémentaires de temps en temps....

avatar BLM | 

«le CEO recommande aux employés victimes de ces pressions de s’adresser à la DRH, ou tout simplement directement à lui»
Donc: «si vous avez des raisons de vous plaindre [de l'ambiance chez] d'Amazon, venez m'en parler»
Autrement dit: «si vous percevez Amazon (peu ou prou) comme elle est décrite ds ce papier, faites le moi savoir»
mais alors la suite pourrait être interprétée sans mauvais esprit comme une menace voilée…
«Je pense vraiment que quiconque travaille dans l’entreprise décrite par le NYT serait fou d’y rester. Je sais que je quitterais cette société» sonne comme : «Si vous percevez Amazon comme ça, vous seriez fou d'y rester. Donc: cassez vous !»
Le discours rassurant pour faire sortir les naïfs du bois et les tirer comme des lapins ?

avatar iDanny | 

"L’article « ne décrit pas » l’entreprise que [Jeff Bezos] connait."

Ça c'est typique du boss qui n'a aucune idée de la réalité des conditions de travail des p'tits gars en-dessous de lui :)

avatar Mathias10 | 

On est dans la même configuration que nombre de SSII (ESN maintenant) , avec une marge faible et en période de consolidation la pression est intense au quotidien. Ceux qui sont "fragilisés" ou du moins passagèrement fragilisés le vivent mal et c'est normal, la pression au travail est bien vécue que si le reste de notre vie (la vie privée résiduelle) est stable.

Pour ma part, je suis souvent under-pressure et je n'ai pas le moindre problème avec ça

avatar C2SC3S | 

Le "secret" de l'équilibre : le trépied Santé/Famille/Travail .
À chacun de définir son ordre préférentiel .
De rien .

avatar françois bayrou | 

Le plus choquant chez Amazon c'est surtout leur politique d'expansion.
Eliminer la concurrence en vendant à perte, et en sanctionnant leurs auteurs ( fausse ruptures de stock, manipulation des prix, … )

Voir le combat de Douglas Preston là dessus :
http://www.liberation.fr/livres/2014/09/15/douglas-preston-remonte-sur-amazon_1101017

avatar ILaw (non vérifié) | 

Il n'y a pas que pour les emplois subalternes et dans la grande distribution que l'on voit ce genre de comportements... Un indice pour savoir si le boulot (au sens global soit ambiance avantages salaires etc) est intéresant: le % de turn over. S'il est démentiel, n'allez meme pas postuler l'enfer vous attend et de toute maniere vous devrez claquer la porte.

avatar prommix | 

Ça fait des années que j'ai boycotté Amazon, Zalando, Ryanair, H&M, MacDo, etc. Maintenant Apple dans presque sa quasi totalité.
Je pense que si tout le monde pensait moins à son petit gadget et plus à l'humanité, à l'humain, on n'en serait pas là. Acheter d'accord mais pas aux depends des personnes.

avatar Ulysse191 | 

Oui, l'Humain passe avant (quoique, parfois, l'égoïsme a du bon : trop bon, trop con...) mais paradoxalement, les grosses entreprises françaises ne sont jamais inquiétées. Qui ira enquêter chez Maisons Pierre, Maximo ou Mediapost, où les conditions sont autant - sinon pires - catastrophiques que dans les boîtes que vous citez. Personne car il ne faut pas faire de vagues mais par contre, c'est permis avec les grosses boîtes US toutes vilaines pas belles.

Harcèlement, conditions de travail déplorables, racket, mal-être des salariés, salaires de misère, fermeture de plateaux suite à une grève...tout ça, j'ai connu dans ces boîtes-là et je ne suis pas le seul. Pas le seul non plus à l'avoir dénoncé. En vain.

Quant à Amazon, j'y connais des gens heureux.

Une chose est certaine, vu leur gamme de produits, leur rapidité et leur compétence, je leur reste fidèle. Idem Apple.

avatar DarkChocolâte | 

Ouai bon, quand on achète une paire de Converse on se demande pas trop les conditions de travail...

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