Une vieille histoire de rongeur

Arnaud de la Grandière |
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Si Jacques Chirac n'a découvert l'existence de la souris informatique que lors de l'inauguration de la bibliothèque François Mitterand en 1996 (ce qui lui inspirera en 2008 la lumineuse idée de taxer les clics de souris, "inexplicablement" abandonnée depuis, et aux Guignols de quoi fournir quelques sketches mémorables), beaucoup d'autres datent incorrectement la création du fameux mulot.

En effet, on attribue faussement la paternité de l'interface graphique et de la souris au Macintosh ou au Lisa, mais également au Palo Alto Research Center de Xerox. Le rongeur, les menus et fenêtres, tout cela remonte en réalité à bien des années avant.

La souris fut inventée en 1963 par Douglas Engelbart, au sein du Stanford Research Institute. Il fit une démonstration publique de son invention, ainsi que de la toute première interface graphique (mais également les liens hypertextes, le copier-coller, la vidéoconférence, l'email, le traitement de texte, ou encore le traitement collaboratif en temps réel), le 9 décembre 1968, lors d'un évènement qu'on appelle depuis "la mère de toutes les démos", et dont on conserve un enregistrement sur pellicule qui est disponible en intégralité sur YouTube.



Les images, fascinantes et surréalistes, donnent l'impression de sortir tout droit d'une uchronie comme le steampunk.

Pour la petite histoire, Engelbart n'a jamais perçu de royalties sur son invention : le Stanford Research Institute en a déposé le brevet et accordé une licence à Apple pour un montant avoisinant les 40.000 $. Le design de la première souris était cependant bien loin de ce que nous connaissons aujourd'hui : une simple boîte en bois, doté d'un bouton-poussoir, et deux roues pour le déplacement des axes (ce qui ne permettait pas les déplacements en diagonale).

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En 1973, le PARC donne naissance à l'Alto, puis au Star en 1981, des ordinateurs expérimentaux qui eux aussi préfigurent de l'avenir : interface graphique, souris, mais également le réseau local Ethernet, l'impression laser en "what you see is what you get", et l'email verront le jour dans ce laboratoire. Mais Xerox, une société célèbre pour ses photocopieurs, fut incapable de voir la valeur de ce produit qui ne proposait rien de moins que la fin du papier… soit de son propre cœur de métier. Une valeur qui n'échappera pas à Steve Jobs lors de sa visite du PARC avec une équipe d'ingénieurs d'Apple : on connait la suite de l'histoire, ou plutôt pas assez.



Si l'on doit incontestablement reconnaître à Engelbart et au PARC bien des années d'avance sur leur temps, pour autant leur attribuer tous les mérites de l'interface graphique telle qu'on la connaît aujourd'hui serait malgré tout très injuste. Car s'ils ont défriché ce champ sur le plan de la recherche fondamentale, c'est bien Apple qui a industrialisé ces inventions et les a rendues utilisables par le grand public : il y a eu fort à faire pour en faire des produits finis, et inventer bien des solutions à des problèmes que ses illustres prédécesseurs ne se sont pas même posés.

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Car si ni le Mac, ni même le Lisa ne furent les premiers ordinateurs commerciaux à être dotés en standard d'une souris, le tout premier Macintosh n'en fut pas moins le premier à sortir de la confidentialité, et pour cause : d'abord sous l'égide de Jeff Raskin, puis de Steve Jobs, l'équipe du Mac a totalement revu et corrigé les travaux qui lui précédaient. En effet, Smalltalk, le système de l'Alto, n'avait aucun équivalent du Finder, ni le glisser-déposer, ni la modification directe du nom d'un fichier, d'un dossier ou d'un disque, le typage des données stockées de manière redondante dans le presse-papier (pour permettre le copier-coller d'un type de données vers l'autre), les spécifications de type/créateur pour les fichiers, les accessoires de bureau, les tableaux de bord, la possibilité de traduire proprement les logiciels, la barre de menus unique, etc.

Les fenêtres de Smalltalk étaient même incapables de déterminer d'elles-mêmes lorsqu'elles devaient rafraîchir l'affichage de leur contenu, et c'était à l'utilisateur de cliquer pour le signaler. Les fenêtres partiellement recouvertes par d'autres quant à elles étaient tout bonnement incapables de se rafraîchir (quant à Windows 1.0, il contourna l'obstacle en ne permettant tout bonnement pas de superposer les fenêtres). Les différences entre Smalltalk et le système du Mac étaient nombreuses et de taille. Dire que le Mac fut une copie pure et simple de l'Alto est donc une contre-vérité patente. Mais mieux encore, Apple a réussi le tour de force de faire mieux que l'Alto, du moins dans certains domaines, pour un coût de fabrication infiniment moins élevé : loin d'être une lubie visionnaire, le Mac était destiné à devenir un produit commercial, et si possible abordable. Si le prix de vente du premier Mac fut bien plus élevé qu'Apple l'espérait initialement, il n'en resta pas moins à portée des plus fortunés. À titre de comparaison, rien que la souris de Xerox coûtait 400 $ à fabriquer (726 euros d'aujourd'hui en indexant sur l'inflation) et tombait souvent en panne, celle d'Apple n'en coûtait que 25 et devait être à l'épreuve d'un usage quotidien.

La différence entre la souris du PARC et celle d'Apple tient à l'industrialisation et la commercialisation du procédé, et il aura fallu revoir de fond en comble le design, les systèmes électriques et mécaniques, pour la rendre plus facile et plus simple à fabriquer et à assembler. Apple y parvint de si belle façon qu'aujourd'hui encore son design est à la base de toutes les souris modernes. La bibliothèque de Stanford publie nombre de documents qui détaillent les inventions d'Apple pour faire de la souris un appareil utilisable par le commun des mortels.

Quatre mois après la sortie du premier Macintosh, Apple fournira même une souris optionnelle à l'alors incontournable Apple IIc, livrée avec MousePaint, une adaptation de MacPaint pour l'ancêtre du Mac.

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La souris de l'Alto disposait de trois boutons, et si Apple a fini par céder après bien des années au moyen d'une savante pirouette, celle du Mac est longtemps demeurée désespérément à un seul bouton. Mais cet entêtement n'a rien d'innocent, car Apple a toujours considéré le "clic droit" comme une aberration : l'interface graphique ne donne aucun indice visuel des zones qui réagiront au clic droit ni de quelle manière elles le feront, et l'utilisateur ne peut le découvrir que par l'expérience (qui se trouve d'ailleurs loin d'être toujours cohérente).
avatar marc_os | 
@ nonoche : Ce que je vois face à une pile de bouquins ? Un symbole phalique.
avatar fantomx6 | 
Bah, c'est beau la nostalgie !!! Mais demain avec Lion, la souris c'est de la pré-histoire !!! Trackpad Vaincra !!!
avatar pacou | 
@Mc Cilvain Un vrai mac user se sert de son Mac comme il a envie

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