Foxconn, le Fort Knox d'Apple

Arnaud de la Grandière |
De temps à autre, on découvre certaines méthodes qu'emploie Apple pour protéger ses secrets, qui montrent jusqu'où la société est capable d'aller pour garder jalousement jusqu'aux plus infimes détails (voir par exemple Apple et le culte du secret).

Apple s'est-elle jurée de ne plus jamais se faire avoir après la trahison originelle de Microsoft, qu'elle avait invitée à décortiquer les prototypes du Macintosh bien avant sa sortie pour lui fournir des logiciels, et qui a fini par en sortir son propre clone ? Ou a-t-elle depuis été victime d'espionnage industriel, se faisant couper l'herbe sous le pied par un concurrent ? Il est également possible qu'Apple ne veuille tout simplement pas faciliter la tâche aux fabricants des innombrables copies de ses appareils, un sport très couru en Asie notamment. Toujours est-il qu'Apple maintient tous ses projets sous une chape de plomb, et Reuters en fait la démonstration une fois de plus, dans une enquête menée auprès des fournisseurs d'Apple.

Une paranoïa contagieuse

C'est un métier bien exigeant que celui de fabricant de composants, qui tient parfois du sacerdoce. L'obsession d'Apple pour les fuites, qui peut parfois passer pour de la paranoïa à un stade avancé, ne fait rien pour leur simplifier la tâche. Ainsi, Apple reproduit à l'extérieur de ses murs ce qu'elle pratique déjà en interne : à l'image des ingénieurs d'Apple qui ne travaillent sur les projets que de façon parcellaire afin d'éviter qu'ils ne sachent en quoi le Grand Tout consiste, les ouvriers chinois de Foxconn n'ont aucune idée de ce à quoi ressemble le produit fini qu'ils contribuent à fabriquer. Les chaînes de productions sont isolées les unes des autres et seules les toutes dernières étapes de fabrication révèlent le mystère.

Apple brouille également les pistes auprès de ses fournisseurs, leur soumettant des projets qui permettront de remonter à la source facilement en cas de fuite. Auquel cas elle se montre naturellement impitoyable. Elle exige également des composants faits sur mesure, au grand dam des fabricants qui ne peuvent ainsi ni les proposer à d'autres clients, ni même écouler les fins de stock. Elle demande également diverses propositions de composants, et finit par se décider parfois quelques semaines à peine avant la présentation du nouveau produit.

Naturellement, dans les usines tout est protégé par clé magnétique, surveillé par des gardiens, et enclavé dans une enceinte impénétrable. On dissuade les ouvriers d'avoir toute velléité de sortir de la ville-usine, en fournissant tout le confort nécessaire à une vie autarcique : dortoirs, cantines, mais aussi divers moyens de divertissement, même des banques, des bureaux de poste, et des boulangeries sont mis à disposition des ouvriers. Cependant, rien qui ne soit là spécifique à Apple, ni résultant d'une exigence particulière de la firme de Cupertino : la pratique est courante dans les grands centres de production chinois.

La voie publique sous NDA

S'il prenait aux ouvriers la lubie d'aller en goguette, visiter l'exotique extérieur, les portails sont équipés de détecteurs de métaux pour s'assurer qu'ils n'auraient pas distraitement empoché quelque composant secret. « Si vous avez un quelconque objet métallique sur vous quand vous sortez, ils appellent la police », a déclaré un ouvrier à la sortie d'une usine Foxconn de Longhua. Mais l'extérieur lui-même est soumis à la vigilance des cerbères de l'usine, comme un journaliste de Reuters en a fait l'amère expérience : pour avoir pris, ô crime abject s'il en est, de perfides photos de l'extérieur de l'enceinte de l'usine, avant de chercher à s'échapper dans le taxi qui l'avait mené là, l'intrépide reporter en a été pour ses frais.

Les vigiles ont bloqué le véhicule en menaçant le conducteur de lui enlever sa licence, puis empoigné le journaliste qui était sorti de la voiture, avant d'essayer d'entraîner l'infortuné dans l'usine, à son corps défendant, sous le regard médusé des ouvriers. Les suppliques du journaliste n'étant suivies d'aucun effet, il se soustrait à leur compagnie d'un geste vif, avant de s'éloigner, mais il est vite immobilisé par un coup de pied à la jambe, tandis qu'un autre garde menace de le frapper encore s'il bouge ne serait-ce qu'un orteil. Un véhicule de la sécurité arrive sur les lieux, on intime l'ordre à l'envoyé spécial d'y monter, ce qu'il refuse, et celui-ci appelle alors la police, qui viendra tirer l'affaire au clair. Après médiation, les gardes présentent leurs excuses et l'on se remet de l'incident. Le journaliste, magnanime, ne déposera pas plainte, bien que la maréchaussée lui en ait offert l'opportunité : «Vous êtes libre de le faire, mais il s'agit de Foxconn, et ils ont un statut spécial ici. Veuillez le comprendre. » lui précise-t-on. L'épisode démontre toutefois qu'on ne plaisante pas avec les secrets de Foxconn. Mais à la décharge des zélées sentinelles, triste tropisme, dans l'Empire du Milieu on n'a pas pour habitude d'accorder à la presse les mêmes latitudes qu'en terre démocratique.



Des polémiques à répétition

On n'imagine pas qu'Apple ait été jusqu'à donner pareilles instructions au personnel de sécurité, dans le code de conduite auquel elle soumet ses fournisseurs, et qu'elle a d'ailleurs rendu public. Elle se défend de vouloir imposer des conditions de travail inhumaines : 60 heures de travail maximum par semaine sauf situation exceptionnelle, 1 jour minimum de congé, et un environnement de travail libre de tout harcèlement font partie de ses exigences. Il faut dire que les conditions de travail ont défrayé la chronique à plus d'une reprise : dès 2006, on s'émouvait du sort des employés chinois (voir À propos de l'iPod), et il aura fallu que le gouvernement lui-même exige que Foxconn laisse ses employés adhérer à un syndicat (voir Foxconn, encore). Apple a été pointée du doigt pour son manque de transparence (voir Les Mac de la honte et Steve Jobs ferait bien d'aller en Chine), et un autre fournisseur, Wintek, a été traversé de grèves à répétition, en mai 2009, (voir Apple ciblée par les ex-salariés d'un fournisseur Taïwanais) et en janvier 2010 (voir Une grève dure dans l'usine qui fabrique l'écran de l'iPhone). Non sans oublier le suicide d'un employé suite à la perte d'un prototype (voir Foxconn : un iPhone disparu et un suicide). Bien des polémiques qui ont poussé Apple à diligenter des enquêtes auprès de ses fournisseurs, et de faire preuve d'un peu plus de transparence. Apple a depuis mis en ligne quelques explications sur son éthique.

Apple a beau dire, et jouer les ingénues, on ne peut que s'interroger devant les responsabilités contradictoires qu'elle impute à ses fournisseurs, qui d'un côté se voient menacés des pires conséquences si leurs employés s'avèrent trop bavards, et de l'autre doivent s'assurer qu'ils disposent d'un minimum de sérénité dans leur travail. Résolument, ça n'est pas un métier de tout repos.
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avatar arsinoe | 
@Shenmue La trahison de Microsoft a bien eu lieu. Mais c'était en 1991 et contre IBM quand Microsoft abandonna le projet OS/2 et fit bande à part en développant Windows. http://fr.wikipedia.org/wiki/OS/2 Accuser Microsoft d'avoir copié MacOS pendant le le developpement du Mac vers les années 1982-83, c'est totalement anachronique. Le premier Windows viable a vu le jour au début des années 90 et jusqu'en 1995 L'OS le plus vendu de Microsoft était le DOS en mode texte.
avatar noAr | 
@ Debione "Non, le "si" est très bien placé, il délimite la différence entre faire une invention (le concepteur) et réussir à la produire pour la mettre au profit des gens (le producteur)..." Ce que je voulais te dire par là c'est que ce critère est une morale qui t'appartient. Ce "si" est mignon, on devine que tu a un grand cœur humaniste etc. mais bon voilà. La production en série à destination du progrès de l'humanité ca n'est pas le même métier, n'est pas toujours nourri des même réflexions etc. En gros ca n'a rien à voir avec "inventer". Donc ce "si" fait logiquement des pas de sept lieux. "En mettant "parce que", comme tu le suggères, cela dénaturerait le sens même de ma phrase..." Le "parce que" ne dénaturait pas ta phrase, il montrait justement une sorte de cas objectif pour lequel elle était juste. Pour autant ce n'était qu'une simple évidence. Bon après j'arrête, j'espère juste que c'est plus clair. PS : Je suis actuellement en train de mettre en rapport différentes personnes pour produire en série des applications assez innovantes dans un domaine touchant à l'économie de certaines ressources naturelles. Et je peux te dire que dans "inventeur" s'il y a déjà juste quelqu'un à même de bien protéger ses idées contre le vol c'est pas mal. De là à lui dire que son invention vaut rien tant qu'il n'aura pas su se démerder pour que la masse en profite… Surtout si tu voyais le truc, mais tu t'en doutes je peux rien dire.
avatar Cekter | 
La politique du secret d'Apple n'a à mon avis pas grand chose à voir avec les déconvenues du passé. Il s'agit surtout d'exploiter à mort la technique du buzz, et pour ça il faut entretenir le plus grand secret, sur les produit créés mais aussi sur les dates de sorties, les mises à jours, les fonctionnalités etc... Apple s'est rendu compte que le buzz crée de la demande et génère de la vente, et ce depuis l'iPod (en gros). Une sortie comme celle de l'iPad n'a fait les gros titres des plus grands journaux que parce qu'elle a été savamment distillée et relayée d'un par par Apple et d'autre part par les macusers du monde entier. La technique est simpliste, lisez ou relisez Bernays, on entrecroise plusieurs informations : Apple s'apprête à révolutionner l'informatique + Apple va sortir une tablette + Regardez comme Apple a tout déchiré avec l'iPod (et l'iPhone). Laissez mijoter, dirigez quelques macfans (voir payez les) pour qu'ils relayent l'information un peu partout. Donnez régulièrement du grain à moudre (quelques photos floues par ici, quelques lignes de code par là) en laissant les gentils moutons délirer sur tout ça du fond de leur vie plate et au moment de la sortie de l'engin PAF ! un bon gros buzz des familles. Mais pour ça il faut évidement que le secret en amont soit le plus total et que le contrôle de l'information soit complet. D'où la paranoïa d'Apple. Rien à voir avec "on m'a piqué 3 idées il y a 30 ans alala je suis traumatisé". Total hors sujet : Personne de l'équipe de MacG ne veut virer Shenmue ? Non sérieux c'est pénible à lire et ça donne même plus envie de venir... Regardez Lionel chez MacBid, il a eu le courage de le jeter... Pitié pour nous, raz le bol de lire "vous êtes des trolls / windows zealot / mac hater" dès qu'on est pas de son avis. Ce garçon a un gros problème ça on est tous d'accord. Mais est ce qu'un site d'information sur Apple doit absolument faire dans le social ? Fin du hors sujet.
avatar Macmmouth | 
@Cekter J'adore ton style. Très agréable à lire.
avatar noAr | 
@Cekter : A propos du hors-sujet : On pourrait aussi massacrer une minorité du moment que ca fait plaisir à une majorité — le bonheur serait majoritairement augmenté. Tu veux virer les intégristes de tout poil avec ce genre de point de vue ?
avatar Cekter | 
@noAr : pour le massacre on va éviter quand même. Pour virer les intégristes de tout poil, oui je suis plutôt pour. Ou alors sévèrement limiter leur rayon d'action. Un avis divergeant c'est très bien, ça entretient la réflexion (par exemple Oomu ou Dr_fatalis etc... je suis pas d'accord avec eux sur le fond mais ils ne sont pas désagréables à lire et sont souvent pertinents). Par contre la sempiternelle même réponse en boucle de quelqu'un de visiblement dérangé, oui c'est lourd. @ Macmmouth : merci :)
avatar debione | 
@noAr Justement, (à propos de si ou parce que) je mets régulièrement dans mes phrases des "à mon avis", ou des "je pense que"... Bon peut-être que je n'en ai pas mis assez ou qu'ils n'apparaissent pas dans toutes mes assertions... Concernant ton PS: je considère (mais peut-être suis-je un utopiste, ou mignon comme tu le dis ;))l'invention ou les inventeurs au même titre que les "artistes" (mot que je hais)ou l'art... Je pratique divers sortes d'arts, mais force est de constater que à certain moment je pratique mon art pour moi-même... Et quelque fois mon art profite aux autres... Mais je considère que mon art est inutile lorsqu'il n'implique que moi-même, j'entends par la qu'il est inutile à l'autre... Il me fait un bien fou, mais n'apporte strictement rien du tout à la masse... C'est plus du domaine de la psychologie appliqué à soi-même... Maintenant, je considère aussi comme je l'ai dit qu'il faut 100 mauvaises idées pour en sortir une bonne, le cheminement de la bonne idée ne pourrait se faire sans les 100 mauvaise, cela fait un tout... Ce qui n'empêche pas si l'on considère ses idées en tant qu'objet unique, que les 100 mauvaise idée ne valent rien (en elles-mêmes)... Et comme je l'ai dit, la problématique ici ne repose pas sur les mauvaises idées/inventions, mais sur les bonnes qui ne peuvent être exploitées, et une bonne invention non-exploitée finit dans le même tas que les mauvaises... elle devient inutile... Maintenant il ne faut pas non-plus prendre le mot inutile dans un sens péjoratif (chose difficile à faire admettre en notre temps du "tout doit rapporter"), pour moi l'inutile est neutre, ni bon, ni mauvais... Pour reprendre le cas de ce que tu essaies de mettre en oeuvre, son invention deviendra inutile (ce qui ne veut pas dire qu'elle ne vaut rien) si vous n'arrivez pas à la mettre à profit d'un grand nombre, et bien pire si par exemple cela capote par le fait de grand groupe exploitant des ressources naturelles qui verrait cela d'un mauvais oeil...
avatar noAr | 
@ Debione Hé hé, la fin de ton laius est on ne peut plus dans le mille. En l'occurrence, concernant un dispositif type regroupant divers matériaux dont certains très high-tech, certaines sociétés peuvent te refuser la vente par exemple. Si tu dois passer par un grand groupe international pour obtenir les materiaux nécessaires au déploiement d'un système qui peut rendre caduque une bonne part de son activité, tu te rends compte que l'idée en soi, même si elle est susceptible d'amener un progrès majeur, n'est pas "responsable" en elle-même de son "utilité". Elle est là, disponible. Ensuite, une civilisation, une idéologie peuvent suffire à maintenir un status quo. D'ou mon pinaillage sur le "si" et le "parce que". C'est bien "parce qu"elle n'est pas utile à la masse, qu'elle ne sert à rien. C'est une lapalissade. A l'endroit ou le "si" intervient, le "possible" il faut des énergies et certaines volontés que l'invention elle-même, l'idée, le concept ou autre ne contiennent pas en soi. Ceci dit, restons optimistes, les idées se propagent facilement et l'espèce a un intérêt objectif ne serait-ce qu'en termes évolutionnistes à sélectionner les bonnes idées, les bonnes manières d'appréhender les choses. Et il faut être optimiste. Sinon on ne fait jamais rien que se lamenter confortablement (je ne parle pas de toi ni de quiconque s'étant exprimé ici — c'est très général comme remarque).
avatar noAr | 
@ Cekter : "pour le massacre on va éviter quand même. Pour virer les intégristes de tout poil, oui je suis plutôt pour." Ce que j'essayais de te dire c'est que ce point de vue était justement un point de vue integriste.
avatar Mr Dillon | 
@Cekter: "Un avis divergeant c'est très bien, ça entretient la réflexion (par exemple Oomu ou Dr_fatalis etc... je suis pas d'accord avec eux sur le fond mais ils ne sont pas désagréables à lire et sont souvent pertinents). Par contre la sempiternelle même réponse en boucle de quelqu'un de visiblement dérangé, oui c'est lourd." Je suis entièrement d'accord, c'est un parfait résumé. Merci beaucoup.
avatar noAr | 
@ Cekter : Et comme tu peux le voir Cekter les citoyens modeles sont légion. Les intégristes savent en profiter. Tu n'es pas plus à même que moi ou quiconque de définir qui est dérangé ou pas. Fais comme moi, zappe (on les connait les Spleen et consort, on peut pas virer tout le monde — et ce n'est pas grave, quelque fois c'est même assez drôle).
avatar polaroid62 | 
Il n'y a pas que dans "les pirates de la silicone Valley" que l'on raconte cette histoire, les cinglés de l'informatique doit en parler aussi ,et Gary Kildale vous vous souvenez? il doit ausi beaucoup à IBM et Microsoft... Maintenant Apple s'est servi chez Xerox(Jobs ne s'en a jamais caché) et comme il a dit "les grands artistes copient , les genies s'approprient"
avatar Anonyme (non vérifié) | 
Bonjour, Sincèrement, c'est si important que ça de savoir qui a inventé quoi ? L'invention de la souris, l'interface graphique, l'hypertexte et le online system sont l'oeuvre d'un homme (et de son équipe) : Douglas Engelbart. Copier/coller dans google pour vous en convaincre. Steve Jobs a acheté le brevet de la souris pour 40000$ au MIT qui détenait les droits de Engelbart. (Source wiki) Et alors ??? Bah oui, on s'en fiche un peu. Ce qui compte réellement c'est que Apple est un vendeur de produits esthétiquement travaillés et présentés comme très fonctionnels dans un monde où l'informatique était des grosses boites grises et au fonctionnement hasardeux. Depuis, les PC deviennent jolis et Windows plus stable. Autant je comprenais la différence de prix autant maintenant c'est moins clair. Et pour en revenir au sujet initial : Ca manque pas mal d'objectivité.
avatar Oliange | 
@Hindifarai : y a beaucoup de sujets où Shenmue parle mais ne connait pas grand chose comme le soft.. De même des que quelqu'un écrit un post il l'analyse non pas dans le sens technique mais plutôt pour savoir si c'est contre ou pour Apple. Et puis il a découvert un nouveau mot, zealot, il le sort tout le temps maintenant. Comme ça il change entre troll, hater et... zealot. Je comprends bien pourquoi spleen est modéré vu sa vulgarité à certains moments mais je ne comprends toujours pas pourquoi shenmue n'est pas modéré vu son attitude conflictuelle..

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