Quand Gil Amelio comparait Mac OS à un Cessna au bord du crash

Jean-Baptiste Leheup |

Alors que les keynotes s’enchainent et se ressemblent depuis quelques années, avec leurs mises à jour d’iPhone, d’iMac et de systèmes d’exploitation, on peine à imaginer aujourd’hui à quel point certaines de ces conférences ont été décisives dans le passé.

Ainsi, en janvier 1997, Apple vient de racheter NeXT, l’entreprise fondée par Steve Jobs après son départ d’Apple. Lors du keynote inaugural de la MacWorld Expo de San Francisco, au moment d’inviter Steve Jobs sur scène, le CEO de l’époque Gil Amelio prend quelques minutes pour expliquer pourquoi Apple a acheté NeXT, et pourquoi elle renonce ainsi à développer son propre système d’exploitation au profit d’OpenStep.

Gil Amelio. Capture de la vidéo du keynote.

Pour bien se faire comprendre du public, Amelio prend un exemple tout simple : imaginons un instant que Mac OS ait été un avion. Disons par exemple, un beau petit Cessna tout simple et très efficace à l’origine. C’est le Macintosh original, en 1984.

Le petit avion de Gil Amelio.

Oui, mais voilà : le temps passe, et il devient nécessaire d’intégrer de nouvelles fonctions au système. Il faut ajouter des passagers à l’avion, et de la place pour les bagages. Amelio ne le dit pas, mais il parle là du Système 6 de 1988, avec son système multitâche intégré, nommé MultiFinder.

avatar Vanton | 

@Marco787

Je sais. Mon second message laissait simplement entendre que si 15 ans suffisaient à planter un système innovent, les 20 ans de macOS avaient aussi permis quelques errances. Les dernières versions n’ont pas connu que des éloges

avatar Marco787 | 

@ Vanton

"15 ans suffisaient à planter un système innovent"

La dernière version de Mac OS Classic (9.2) était plutôt satisfaisante. Elle n'était certainement pas pire que le premier Mac OS (System 1)...

"les 20 ans de macOS avaient aussi permis quelques errances"

Pourriez-vous préciser à quoi au juste vous faites référence.

La première version publique de Mac OS X (10.0) était emplie de bugs et très lente. Les dernières versions (High Sierra et après) sont infiniment plus stables, rapides et capables.

avatar iPop | 

@Vanton

Mac OS plus et Mac OS X plus de 20 ans car il fallait un argument de vente pour passer l’an 2000.

avatar BeePotato | 

@ Vanton : « C’est quand même dingue qu’entre le Macintosh de 84 et le retour de Jobs en 97, soit moins de 15 ans, le système d’Apple ait pu aussi vite aussi mal tourner. »

Le truc, c’est qu’au début des années 80, Andy Hertzfeld, Bill Atkinson et tous les autres étaient occupés à développer un OS pour une machine bien précise — le Macintosh. Machine qui allait peut-être connaître quelques mise-à-jour pour faire évoluer un peu son matériel, comme ça avait été le cas pour l’Apple II, mais sans plus.
Ils n’étaient pas du tout dans l’esprit de développer un OS évolutif, pouvant suivre des évolutions matérielles majeures et servir de fondation pour toute une famille d’ordinateurs durant plus de dix ans. Il faut bien dire que ce n’était pas évident d’imaginer cela alors qu’il bossaient pour une boîte qui soufflait à peine ses cinq bougies — le tout dans une industrie pas vraiment plus vieille.
D’autre part, il leur aurait de toute façon été difficile de poser des fondations plus solides pour l’avenir tout en se pliant aux sévères contraintes matérielles du premier Mac.

En fait, il est admirable qu’avec une telle base, cet OS ait pu évoluer autant et survivre aussi longtemps.
Mais on est régulièrement surpris par ce qui peut être accompli dans ce domaine : en parallèle, le camp du PC s’ingéniait à nous montrer, avec MS-DOS, qu’on pouvait partir d’une base bien plus minable et la faire durer tout autant. :-)

Bref, vu du début des années 80, 15 ans c’était une éternité.
Au moment de la présentation de Mac OS X en 2000, on avait bien plus de recul sur l’évolution de la micro-informatique et Steve Jobs indiquait que cet OS servirait de fondation aux dix prochaines années d’Apple (et finalement, on en est déjà quasiment au double).

avatar Vanton | 

@BeePotato

Intéressant !

avatar BeePotato | 

@ Vanton : « Et accessoirement, qu’est ce que ce mec était bon sur scène... »

En effet. Dans cette vidéo en particulier, le contraste avec les autres intervenants est saisissant.
On a d’ailleurs l’impression, durant la catastrophique présentation du TAM par le VP marketing, que Jobs avait envie de s’enfuir pour ne pas être associé à ça. :-)

avatar Un Type Vrai | 

En fait, Gil Amelio prend un excellent exemple.
Mac OS (enfin System 5/6/7) a été pensé en mono-application - mono-utilisateur, pour faire tourner une interface graphique sur un Mac 128k.
Mac OS X (NeXT) est plutôt une plateforme qui pose d'abord les contraintes de multi application / multi utilisateur (et multi plateforme, même si ça n'a jamais vraiment été utilisé).

Si on prend un peu de recul, on gère des langues, différentes, des saisies claviers de monde exotiques etc. Et ça n’écoule pas tout.
Oui, mac OS X n'est pas un monoplan biplace. C'est d'abord une carlingue que l'on peut adapter.

Et ce n'est pas nouveau, c'est le but de Multics et Unix, c'est repris dans Linux entre temps...
Et BeOS etc aussi.
Bref, un OS pour les macs (et mince, y'a la couleur, mince y'a des famille, mince on branche des imprimantes, mince y'a un réseau local ... ) vs un OS pour n'importe quelle machine/environnement.

avatar byte_order | 

@Vanton

MacOS classic a été conçu pour le Macintosh. Hors, au départ, celui-ci ne dispose pas d'une fonction essentielle aux OS modernes, une unité de gestion de mémoire (MMU).
Du coup, tout l'OS est conçu autour de cette absence, et au lieu de l'émuler un minimum par logiciel afin de préparer l'avenir et avoir une architecture un minimum future-proof, l'OS a fait l'impasse dessus, la priorité étant de bosser sur l'aspect le plus visuel et donc vendeur du MacOS, l'interface graphique.

Aucun effort n'a également été pris au départ pour faciliter le portage sur une autre plateforme.
Ni sur la modularité de parties de l'OS.

Cette dette technique initiale, elle a commencé à coûter chère 10 ans après la sortie du premier mac.

Force est de constater que c'est Unix qui a les fondations les plus solides : c'est la famille d'OS toujours utilisée la plus ancienne. Parce que des concepts très génériques ont été posés dès sa création, y'a 50 ans de cela (multi-process, mémoire protégée, abstraction de périphériques, flexibilité du système). Mais il n'a pas été conçu avec la contrainte de devoir permettre de vendre des produits, c'est une nuance importante.

avatar BeePotato | 

@ byte_order : « Du coup, tout l'OS est conçu autour de cette absence, et au lieu de l'émuler un minimum par logiciel afin de préparer l'avenir et avoir une architecture un minimum future-proof, l'OS a fait l'impasse dessus »

Il faut bien dire aussi que l’émuler aurait été catastrophique pour les performances.

« la priorité étant de bosser sur l'aspect le plus visuel et donc vendeur du MacOS, l'interface graphique. »

Plutôt que « l’aspect le plus visuel », j’aurais écrit « l’ergonomie ». Mais évidemment, ça fait moins trollesque, du coup c’est sûrement moins tentant comme formulation. ;-)

« Aucun effort n'a également été pris au départ pour faciliter le portage sur une autre plateforme. Ni sur la modularité de parties de l’OS. Cette dette technique initiale, elle a commencé à coûter chère 10 ans après la sortie du premier mac. »

Oui, c’était vraiment un développement sur mesure pour une machine bien précise et son architecture (limitée). C’est finalement assez admirable qu’un machin comme ça ait pu évoluer autant et aussi longtemps.

« Mais il n'a pas été conçu avec la contrainte de devoir permettre de vendre des produits, c'est une nuance importante. »

Oui, c’est une nuance très importante. Quand un OS a le loisir d’évoluer en profondeur pendant des années et des années avant de commencer à être utilisé sérieusement dans des produits vendus, ça libère de pas mal de contraintes.
C’est évidemment une bonne chose qu’il y ait eu ces deux approches très différentes de conception d’OS, puisque ça a permis d’en arriver à en combiner les produits pour obtenir un superbe système. :-)

avatar pocketalex | 

@Vanton

"C’est quand même dingue qu’entre le Macintosh de 84 et le retour de Jobs en 97, soit moins de 15 ans, le système d’Apple ait pu aussi vite aussi mal tourner."

Je ne serais pas aussi vindicatif

Déja, Steeve Jobs a été mis à la porte en 1985, or les grandes évolutions de "Classic Mac OS" sont apparues dans la décennie suivante (support de la couleur, multifinder, réseau, scsi, drivers laser, etc, etc) et MacOS, avec ses lacunes, restait éminemment supérieur en confort, en ergonomie, en simplicité et en stabilité par rapport à Windows

Les grosses lacunes de Classic MacOS sont apparues surtout vers la fin des années 90 où il commençait à s'alourdir, à devenir instable et à décrocher face à Unix et Windows, tout en continuant de représenter une alternative intéressante (n'oubliez pas que Unix/Linux n'était pas à la portée de tout le monde, et Windows ... ça a commencé à devenir à peu près stable, agréable et "simple" à partir de XP, soit début 2000). C'est à ce moment là qu'il y avait urgence à revoir les fondations

Donc non, MacOS Classique n'a pas "mal tourné" en 15 ans, il a plutot représenté l'OS idéal au regard de ce qu'on avait en face, et c'est vraiment à la toute fin, fin de la décennie 90 / début 2000, qu'il nécessitait une base plus solide

avatar pacou | 

Ce qui est surprenant, aussi, c’est qu’en 15 ans Steve Jobs ai contribué à la création de Next et de Pixar, qui était aussi une espèce d’exemple de l’utilisation possible des technologies de Next, alors que certainement qu’ils avaient déjà ces bonnes idées avant de se faire débarquer.
Apple a donc certainement perdu beaucoup de temps.

avatar byte_order | 

@pacou
> Ce qui est surprenant, aussi, c’est qu’en 15 ans Steve Jobs ai contribué à la création de
> Next et de Pixar, qui était aussi une espèce d’exemple de l’utilisation possible
> des technologies de Next,

Euh, non, l'histoire de Pixar remonte à 1975.

Et le Pixar Image Computer semble avoir plus inspiré le look du NeXT que l'inverse, compte tenu de l'antériorité du premier sur le second, commercialisé début 1986, là où le premier NeXT "cube" est sorti, lui, fin 1988.

https://en.wikipedia.org/wiki/Pixar_Image_Computer

Bon, ce "cube" de calcul d'images par ordinateur avait besoin d'une station de travail à côté, souvent sous Unix. J'imagine que cela a créer quelques occasions de découvrir ce qu'apportait Unix comme plateforme...

Pixar à nourri NeXT, mais à ma connaissance aucune technologie de NeXT n'a été au coeur de l'activité de Pixar.

La plus grosse contribution apportée à Pixar fut très probablement financière et non technologique : la commande de Disney pour produire 3 films d'animation par ordinateur, alors que Pixar était au plus mal (au point où Jobs envisageait de la revendre... avant de se raviser avec les critiques positives des avant-projections de Toy Story).

avatar Albator1138 | 

20 décembre 1996, le jour où NeXT racheta Apple.

Ok, --> [] :-D

avatar occam | 

@Albator1138

Remarque fort pertinente.
Un ancien de Dr. Dobb’s me disait à l’époque (enfin, quand il réussit à s’arrêter de ricaner un moment) :
« Most cunning leveraged buyout ever. Apple will be digested by what they swallowed. »

avatar macfredx | 

"On pense alors au Système 7 de 1991, qui est encore à la manœuvre quand Amelio prononce son discours, après d’innombrables mises à jour l’ayant mené à la version 7.5.5"

Ah, 7.5.5, que de bons souvenirs...
Non, je déconne ! 😁

avatar JLG47_old | 

Il faut avoir vécu cette époque pour l’apprécier sans la déformer.
Combien ici ont utilisés vraiment un Mac 128 ou un SE30 ?
Et de mesurer le chemin réellement parcouru.

avatar Vanton | 

@JLG01

Combien ici sont nés avec l’iPod ? 😉

avatar umrk | 

Yes, sir.

avatar Un Type Vrai | 

J'ai connu le mac Plus, le LC, LC3, ...
Mais j'ai quitté le mac vers 7.5.x avec les plantages tous les 4 matins, la barre bizarre de raccourci qui faisait à peu près tout ce qu'on voulait pas et qui lançait moins d'applications que d'erreur système.
Je suis parti sous Linux.
Et je suis revenu sous Mac OS X.2 avec grand bonheur.

Et puis je viens de repartir sur Linux (mais à cause du matériel cette fois-ci).

avatar RickoReloaded | 

Il faudrait, pour être complet sur cette période, évoquer Copland le système qui devait permettre un nouvel envol à Mac OS avec tout le confort moderne. Copland proposait une architecture totalement différente en faisant exploser la notion d'application au profit de composant : OpenDoc.
L'idée était de partir d'une feuille blanche et d'ajouter des composants. Tous les éditeurs se sont lancés dans ce nouveau mode électoral qui imposait de casser chaque logiciel en dizaine de briques toutes compatibles.
2 petites anecdotes, j'étais chez Apple France à cette époque, on parlait de la mafia italienne qui avait pris le contrôle d'Apple, mafia d'anciens de chez Texas Instruments.
Nous en europe, nous avions hérité de Marco Landi.
A son arrivée, il avait fait une intervention dans tous les pays :
Fond de slide avec des restes montrant que tout ça venait de chez Texas Instrument et crime de lèse majesté ultime : Macintosh, it's a toy for rich children, it's have to be a PC (rajouter l'accent italien…) et il en fallait pas plus pour que toute l'equipe d'Apple France soit au bord de la révolution !

avatar StephanMart | 

@RickoReloaded

Copland n’a pas survécu à MacOS X, je me souviens l’avoir testé sur des versions bêta de macOS.

avatar BeePotato | 

@ RickoReloaded : « Copland proposait une architecture totalement différente en faisant exploser la notion d'application au profit de composant : OpenDoc. »

Copland et OpenDoc étaient deux projets distincts, portant sur des aspects différents de l’OS.
Et on a d’ailleurs eu droit à une sortie d’OpenDoc pour Système 7, alors qu’on n’a jamais pu profiter de Copland (hormis quelques morceaux distribués dans Mac OS 8 et suivants).

avatar Grift | 

Le design de l’avion qui « a qui on rajoute des sieges » fait vraiment penser au design utilisé pour Cars quelques années plus tard.

avatar marc_os | 

@Grift

C’est quoi Cars ?

avatar Vanton | 

@marc_os

Le Pixar

avatar byte_order | 

@Grift

Voir, mieux, "Planes", le spin-off "avion" de Cars.

avatar pat3 | 

D’abord nommé comme simple conseiller, Steve Jobs obtiendra la tête de Gil Amelio, et celle de l’entreprise, après quelques mois.
Joli, très jolie zeugme…

avatar umrk | 

Introduire sur le marché un nouvel OS est extraordinairement difficile : cela coûte très cher, pour un résultat très aléatoire (IBM en sait quelque chose , avec OS/2). Les acteurs concernés savent en outre que le succès dépend moins des qualités intrinsèques du produit, que de la réponse du marché/des développeurs, très imprévisible. Le marché est tel que pas plus de deux OS "dominants" ne peuvent subsister (au-delà, les développeurs ne suivent plus, car ils ne s'y retrouvent pas , financièrement parlant). De manière très ponctuelle, il peut exister, pour une période TRES, TRES limitée dans le temps , une fenêtre de tir... C'est ce qu'a exploité Steve : il était là, au bon moment, et avait toutes les cartes en main pour exploiter la situation. Ceux qui le dénigrent feraient bien de se souvenir qu'il avait TOUT investi de sa fortune personnelle (de l'époque) dans Next & Pixar, et qu'il a été à un cheveu de TOUT perdre .... C'est cela, le miracle Steve Jobs .....

avatar robertodino | 

Cool ^^

avatar byte_order | 

Assez ironiquement, la démo de NextStep démarre par une démonstration de sa capacité à lire plusieurs vidéos en parallèle.
Le type même de démo que Be Inc. faisait depuis quelques années (ils y ajoutaient de multiple théières 3D histoire de...).

Comme quoi, le multitâche c'est vendeur.
Etrangement, pour l'iPhone, Apple est retombée dans le piège "on sait qu'une seule application à la fois c'est ce qu'il vous faut (et surtout ce qu'il nous faut *nous* pour vendre notre produit le plus tôt possible)".

avatar BeePotato | 

@ byte_order : « Assez ironiquement, la démo de NextStep démarre par une démonstration de sa capacité à lire plusieurs vidéos en parallèle.
[…]
Comme quoi, le multitâche c'est vendeur.
Etrangement, pour l'iPhone, Apple est retombée dans le piège "on sait qu'une seule application à la fois c'est ce qu'il vous faut (et surtout ce qu'il nous faut *nous* pour vendre notre produit le plus tôt possible)". »

Ça n’a rien d’un piège. Et surtout, ça n’a rien à voir avec la capacité technique de l’OS à faire tourner plusieurs tâches en même temps, qui est ce que cette démo de NextStep (comme les démos de BeOS) montrait. On ne fait plus depuis longtemps de démo de cette fonctionnalité, vu qu’elle est présente partout et à la portée de tout OS et de tout matériel (même une montre) depuis un bon moment. Donc en fait, non, ce n’est plus vendeur du tout, depuis que c’est devenu banal.

Le travail sur l’interface utilisateur pour la gestion humaine du multitâche, en revanche, c’est toujours d’actualité.

avatar IPICH | 

Jamais vraiment compris pourquoi on reprochait tant de chose à MacOS. Ça fonctionne parfaitement chez moi et beaucoup mieux à mon sens que Windows.

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