Tim Cook demande au Sénat américain de réguler la collecte des données privées

Florian Innocente |

Tim Cook s'est fendu d'une tribune publiée par TIME, dans laquelle il réclame pour les États-Unis un cadre législatif, au niveau fédéral, pour contrôler la collecte des données personnelles et passer un harnais autour du cou des entreprises qui font discrètement commerce de ces informations.

« En 2019, il est temps de défendre le droit à la vie privée — la vôtre, la mienne, celle de nous tous » écrit-il en introduction, avant d'exprimer un vœu pour les 12 mois à venir : « Les consommateurs ne devraient plus avoir à tolérer une année de plus où des entreprises irresponsables amassent d'énormes volumes de profils d'utilisateurs, des piratages de bases des données qui paraissent incontrôlables et ce qui ressemble à une incapacité de notre part à pouvoir maîtriser notre propre vie numérique. »

Un constat qui fait écho à des scandales récents comme l'affaire Cambridge Analytica chez Facebook — il n'en nomme toutefois aucun, ni ne désigne d'entreprises en particulier.

Le patron d'Apple en appelle au congrès américain pour se saisir du sujet dans le but d'imposer une réglementation et des réformes à l'échelle du pays, plutôt que d'espérer que chaque État agisse dans son coin. Ce problème peut être réglé assure-t-il, suggérant qu'il nécessite surtout de la volonté et qu'il n'a rien d'insurmontable techniquement.

Cook espère des avancées décisives sur 4 points :

  • que les entreprises limitent au maximum leur capacité à associer des données personnelles à un individu en les anonymisant ou qu'elles s'abstiennent tout bonnement de les collecter le cas échéant
  • que les consommateurs puissent savoir quelles données sont récupérées et dans quel but
  • qu'il y ait un droit d'accès à ces informations pour les modifier ou les supprimer
  • que soit établi un droit à la sécurité des données, seul gage à ses yeux d'une confiance entre les consommateurs et les entreprises

Sur les deuxième et troisième points, la RGPD en Europe a donné un exemple à suivre. Apple comme d'autres s'y est conformée en mettant en ligne les outils nécessaires pour que ses clients accèdent au catalogue de leurs données stockées sur ses serveurs (lire iCloud : comment récupérer ses données personnelles chez Apple).

Le portail d'Apple pour accéder à ses données personnelles mis en place après l'instauration de la RGPD en Europe

Tim Cook remet en fait par écrit des propos qu'il avait tenu à l'automne dernier devant le Parlement européen où s'étaient réunis les régulateurs de nombreux pays (lire Tim Cook sur la confidentialité : « Nous avons heureusement l'exemple européen devant nous »).

Dans un second volet de sa tribune, le patron d'Apple s'attaque aux "data brockers" ou "courtiers en données", ce qu'il avait appelé à Bruxelles le « complexe industriel de la donnée ».

Tim Cook à Bruxelles en octobre dernier, merci S.

Il illustre son propos par le cas d'une boutique en ligne qui transfère ou revend les informations liées à votre achat à un tiers, dont l'identité est généralement inconnue du consommateur. Lequel n'a même aucune connaissance de la transaction qui s'est opérée dans son dos : « La piste disparaît avant que vous sachiez qu'elle existait ». Ces données vendues une première fois, le seront à nouveau ensuite à d'autres protagonistes, tous appartenant à un secteur dérégulé qui agit dans les coulisses.

« Que les choses soient claires » martèle Cook « Vous n'avez jamais signé pour ça. Nous pensons que chaque utilisateur devrait avoir la possibilité de dire : Attendez un peu. Ce sont mes informations que vous revendez, et je n'ai pas donné mon accord ».

Là encore Tim Cook espère du Sénat américain qu'il pose un cadre à l'échelon national. Que la Federal Trade Commission crée un annuaire de ces acteurs, les obligeant à s'enregistrer et que les consommateurs puissent voir ce qu'il est advenu de leurs informations, entre quelles mains elles sont passées. Avec l'option de pouvoir faire aisément le ménage dans ce panier de données.

La FTC avait produit en 2014 un rapport sur ce business. Chez l'un des neuf "commerçants en données" qui avaient été étudiés, une base contenait 1,4 milliard de transactions de consommateurs et 700 milliards d'éléments agrégés. Chez un autre, 3 milliards d'enregistrements de transactions de clients venaient s'ajouter chaque mois. Un autre encore, qui disposait d'infos sur 700 millions d'internautes à travers le monde, pouvait s'appuyer sur 3 000 éléments descriptifs attachés à quasiment chaque consommateur américain. Un profilage d'ordre industriel et des valeurs qui remontent à plus de 5 ans. La croissance dans cette moisson a pu être exponentielle depuis.

« La technologie a le potentiel de changer le monde pour le meilleur, mais cette opportunité ne sera jamais rendue pleinement possible sans une foi et une confiance entière de la part des gens qui l'utilisent. » conclut Tim Cook, qui s'attend à un débat animé, avec des intérêts parfois divergents en la matière.

La tribune de Tim Cook survient alors que le sénateur républicain Marco Rubio a donné mission à la FTC de proposer un éventail de règles et la manière de les faire respecter au travers de sanctions.

Une communication grand format d'Apple il y a quelques jours à l'occasion du CES de Las Vegas

La vie privée, les données qui y sont associées et leur traitement sont un sillon qu'Apple laboure depuis l'époque de Steve Jobs. C'est devenu avec Tim Cook un sujet de premier plan pour la Pomme au fur et à mesure que l'iPhone et ses apps se glissaient dans de plus en plus de moments de notre quotidien. Il a tout intérêt à maintenir une pression forte sur ces questions et à faire en sorte qu'Apple soit perçue comme le bon élève de la classe, maintenant qu'il a fait de la santé — secteur où la confidentialité est cruciale — un axe de développement primordial pour son entreprise.

avatar Dimemas | 

un autre cas ghosn ? :p

avatar debione | 

Des centaines d’autres, des milliers! imagine si dans toutes les entreprises qui ont déjà été sanctionné pour plagiat, utilisation des données, abus de position dominante, entente sur les prix et j’en passe, cela aurait été les responsable des décisions qui aurait été puni... Le secteur serait infiniment plus vertueux...
Mais non, dans le pire des cas l’entreprise va virer le fautif si elle a perdu trop d’argent, mais le mécréant sera réengagé dans la semaine par un autre acteur... Et il refera les meme magouilles...

avatar Paquito06 | 

Personne ne viendra contredire Tim ici, surtout les Francais, bien plus tatillon sur la question que les Américains. Maintenant, sa position fait qu’il est plus facile de se prononcer puisque ce n’est pas le business model d’Apple mais de la concurrence.

avatar Dimemas | 

personnellement je n'ai rien à cacher puisque je sélectionne les informations que je diffuse...
Je trouve que cette tendance à la paranoïa concernant notre vie privée est une vaste connerie, un épouvantail brandi par des personnes flippées parce qu'elles font n'importe quoi sur internet.
un peu d'éducation pourrait leur faire du bien par exemple ?

avatar debione | 

@Dimemas
Un peu d’histoire aussi... Parce que l’epoque que l’on vit ici , n’est en fait qu’une parenthèse de l’histoire, qui se reproduira comme se reproduira d’autres périodes salement plus sombre... Alors si on arrive à limiter le pouvoir de nuisance possible...

avatar Paquito06 | 

@Dimemas

Il y a de cela egalement, ce probleme d’education.
Mais au bout d’un moment, faut faire confiance. Dans quelle mesure une firme est elle plus ou moins serieuse qu’une autre? Meme en etant tres mefiant, on n’est pas à l’abri d’un piratage de donnees, vol massif, bug, ou autre, et c’est l’email ou tout autre info qui se retrouve dans la nature, et c’est deja trop.

avatar sachouba | 

Tiens, Apple n'arrive plus à progresser, et cherche donc à enterrer ses concurrents ?
C'est une méthode moyennement fair-play...

Je me demande si Apple aurait le même discours aujourd'hui, si sa régie de pub ciblée avait eu du succès.

avatar Bigdidou | 

@sachouba

« C'est une méthode moyennement fair-play... »

Fair play ?
On parle de Google, Amazon et FaceBook, en face....

avatar Albatros86 | 

Hello,
Et si son discours était indirectement pour préparer le terrain face aux services sur la santé de chacun où Apple semble se diriger ?

Si moi, individu lambda, je lis dans le Times que le patron d’Apple se bas pour le respect de la vie privée (j’extrapole un peu), et que je découvre plus tard qu’il propose une plateforme sur la santé, ne serais-je pas plus enclin à faire confiance à Apple sur ce sujet qu’à d’autres compagnie ?

Je peux me tromper mais j’ai l’impression qu’il y a un lien indirect.

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