Quand la concurrence se refait une image sur le dos d’Apple

Mickaël Bazoge |

C’est peut-être au printemps qu’Apple donnera quelques nouvelles de ses Mac de bureau. iMac, Mac mini, Mac Pro… Ces trois familles de produits ont un besoin urgent de renouvellement, certaines plus que d’autres.

Cela fait plus d’un an que l’iMac n’a pas été mis à jour, deux ans pour le Mac mini, et… plus de trois ans (!) pour le malheureux Mac Pro. La situation est tellement désespérée pour le Mac tubulaire qu’Apple propose à certains clients professionnels d’envisager des solutions alternatives, nous a-t-on dit.

Après le Mac mini, quel ordinateur disparaitra de la photo de famille ?

Apple présente le MacBook Pro comme une nouvelle station de travail, mais tous les besoins ne peuvent pas être couverts par un portable ; certaines tâches (calculs de rendu, serveurs…) ne nécessitent pas forcément un écran Retina et deux moniteurs 5K.

Ce qui désespère les utilisateurs professionnels, en dehors de l’apathie d’Apple, c’est surtout l’absence de feuille de route du constructeur. Qui dit qu’Apple ne va pas tout simplement réorganiser sa gamme d’ordinateurs de bureau autour de l’iMac, en abandonnant purement et simplement le Mac mini et le Mac Pro ? Ou au contraire, lancer une tour reprenant la modularité des anciens modèles G4 et G5 (avec du Thunderbolt 3) ?

Merci François.

À force de ronger son frein, on en vient à s’intéresser à ce que fait la concurrence. Et celle-ci a bien compris qu’il y avait un créneau à prendre, celui des clients professionnels qui ne trouvent plus chaussure à leur pied dans le catalogue d’Apple.

HP joue la souplesse et le choix

Chez HP, on ne fait aucun mystère de sa volonté de draguer les clients Mac. Une page du site est consacrée à ceux qui envisagent de passer avec armes et bagages vers les solutions du constructeur, Du Mac au HP Z. Et le message est clair : « Les pros passent du Mac au HP Z ». La gamme Z étant celle justement destinée aux pros.

La page déroule trois témoignages de spécialistes de la vidéo… la même clientèle visée par Apple avec son MacBook Pro. Le Mac Pro est dans la ligne de mire de HP — la machine, pas renouvelée en trois ans, est une cible idéale, n’importe quel ordinateur un peu moderne étant capable d’en faire plus et mieux. Après tout, c’est de bonne guerre et Apple donne le bâton pour se faire battre. La puissance du Mac Pro en prend pour son rhume :

On peut y lire des témoignages cruels : « Il a fallu douze heures à nos Mac pour réaliser l'une de ces simulations et dix pour de petits graphismes secondaires. Avec notre nouvelle station de travail HP Z, nous avons obtenu en deux heures le rendu de la première simulation que nous avons faite, à une résolution maximale », explique Jonathan Bird qui produit du matériel pédagogique pour mieux comprendre les océans.

HP met en avant la possibilité d’ajouter de nouveaux composants internes facilement :

Ou encore d’exploiter jusqu’à 512 Go de RAM :

On n’échappe pas non plus aux comparatifs élogieux :

HP communique aussi sur sa garantie de trois ans sur site :

De la flexibilité, des possibilités d’évolution, un large éventail de choix et de prix, du service… mais des ordinateurs qu’on laissera sous le bureau prendre la poussière et qui sont sans doute plus bruyants que le Mac Pro. On comprend malgré tout que le choix est relativement facile à faire, si ce n’était pour le système d’exploitation. Mais même pour ça, HP a un argument qui fait mouche :

Microsoft sur tous les fronts

Microsoft ne fait plus aucun mystère de sa volonté d’en découdre avec Apple. L’éditeur de Windows s’est trouvé des talents de constructeur, avec un certain succès pour ses tablettes, même si on reste encore bien loin des ventes d’iPad (lire : Les ventes de Surface sont bonnes pour Microsoft).

À l’occasion de la présentation du Surface Book l’an dernier, Microsoft n’a pas hésité à s’attaquer au MacBook Pro : l’hybride est deux fois plus puissant que le portable de 13 pouces d’Apple (de 2015). Dans les faits, la réalité est plus nuancée, mais le vieux rival d’Apple a pris date avec un produit qui tient plutôt bien la route (lire : Surface Book : prise en main du portable qu'Apple ne veut pas faire).

Et Microsoft a relancé la machine en lançant tout récemment un Surface Book i7 (Skylake), équipé de 256 à 512 Go de stockage et d’une GeForce 965M. Toujours pas d’USB-C, mais un port Mini DisplayPort et un slot pour cartes SD. Ce modèle est vendu à partir de 2 319 € (256 Go, 8 Go de RAM) ; l’équivalent en 13 pouces et Core i7 chez Apple est vendu 2 059 € (à partir de 2 359 € avec la Touch Bar), mais il faudra faire une croix sur la carte graphique dédiée.

Il est cependant bien malaisé de comparer la Surface Book avec un MacBook Pro, la philosophie étant bien différente avec cet écran qui se détache pour se transformer en tablette. Toutefois, cela n’empêche pas Microsoft de jouer crânement la carte du comparatif comme on peut le voir sur le site américain du constructeur.

Et Microsoft sait parfaitement mettre en avant l’originalité de ses produits dans des publicités qui, il faut bien le dire, font souvent mouche, qu’il s’agisse d’attaquer le Mac ou l’iPad Pro.

Après s’être attaqué aux MacBook et aux iPad, Microsoft aimerait maintenant donner le coup de pied de l’âne aux Mac de bureau. Avec un produit que l’on dirait tout droit sorti des labos de Cupertino, le Surface Studio !

Ce tout-en-un équipé d’un écran tactile de 28 pouces n’est pas parfait (lire : Surface Studio : des atouts et des défauts face à l’iMac), mais il fait souffler un vent frais dans un secteur où Apple n’a rien proposé de réellement nouveau depuis 2004 et le premier iMac “écran”.

Les efforts de Microsoft en tant que constructeur de PC sont louables, car après tout la concurrence a du bon. Il ne faut toutefois pas oublier que cette activité ne pèse pas lourd dans les comptes de l’éditeur, et que le volume des ventes reste assez anecdotique face aux poids lourds du secteur — y compris Apple.

Lenovo et Dell : des partitions un ton en dessous

Avec HP, Dell et Lenovo sont dans le top 3 des plus importants constructeurs de PC. Chez ces deux fabricants, les références à Apple sont moins présentes que chez HP (ou Microsoft). On recense néanmoins quelques piques régulières à l’encontre du constructeur des Mac ; en 2008, deux semaines après la fameuse présentation par Steve Jobs du MacBook Air dans son enveloppe kraft, Lenovo mettait en ligne une parodie bien sentie.

Le nombre limité de ports sur le MacBook Air (un USB 2.0, un micro DVI et un port jack, à l’époque) faisait la joie des ricaneurs… un peu comme le MacBook 12’’ Retina qui possède encore moins de ports que son lointain prédécesseur. On notera que malgré les moqueries de l’époque, le format “ultra-portable” du MacBook Air s’est imposé depuis dans toute l’industrie.

Plus près de nous, on trouve tout de même un communiqué de Lenovo comparant la gamme Yoga aux MacBook ; il n’y a pas de date mais il y est fait mention d’OS X El Capitan. On peut donc estimer que ce comparatif, qui n’en est pas vraiment un, date de 2015 au plus tôt.

On y apprend que « en vérité, Apple et Lenovo cherchent à atteindre le même objectif avec des philosophies différentes ». Les utilisateurs ont ainsi « un choix réduit » d’ordinateurs portables Apple. « Dans certains cas, il peut n’y avoir que cinq ou six ordinateurs portables quand on considère les options offertes par Apple ». Évidemment, chez Lenovo c’est pléthore entre les gammes ThinkPad, IdeaPad, Yoga, les Chromebook…

Le Yoga est effectivement plus flexible qu’un MacBook.

« Quand on a besoin d’options, de flexibilité et de budget, Lenovo est un choix supérieur à Apple », fanfaronne le constructeur, qui met en avant les entrées et sorties de son Yoga 3. « Les MacBook d’Apple utilisent des ports propriétaires (comme le Thunderbolt) au lieu de ports universels, ce qui limite leur efficacité ».

macOS en prend aussi pour son grade, puisque « Windows 10 se compare directement à OS X El Capitan, et il est même meilleur. Pour le multitâche, l’interface, l’assistance personnelle et les fonctions spéciales (sic), Windows 10 est perçu par beaucoup comme un meilleur choix que le système d’exploitation d’Apple », assure sans sourciller le constructeur.

Du côté de Dell, on n’a pas vraiment trouvé de comparatif explicite avec des Mac. À croire que l’assembleur texan ne veut pas se comparer aux produits d’Apple… Même si le constructeur chasse volontiers sur les mêmes terres. La gamme XPS 13 et 15 pouces ultrafine se positionne par exemple entre le MacBook Air et le MacBook 12’’ Retina.

Et puis l’ombre d’Apple est toujours présente quand Dell présente de nouvelles machines grand public, comme lors de la présentation des nouveaux XPS (lire : Dell démonte le MacBook Air « furtif » avant même sa présentation). Par ailleurs, lors de l’acquisition d’EMC cette année, les dirigeants de Dell ont bien fait comprendre qu’il valait mieux que ce soit des ordinateurs Dell qui soient présents durant les réunions avec les clients, plutôt que des MacBook !

Dell entend aussi profiter de la vague enthousiaste autour du Surface Studio : le constructeur a en effet remis sur les rails son projet de Smart Desk annoncé il y a deux ans sans que rien n’en sorte, du moins jusqu’à présent. Cette nouvelle version, dont seul un coin du voile a été levé, est une très grande tablette tactile sous Windows 10 sur laquelle on peut faire fonctionner une molette semblable au Surface Dial (lire : Dell a aussi développé un Surface Studio).

La volonté farouche de ne pas lancer de Mac à écran tactile ouvre un boulevard aux constructeurs concurrents pour expérimenter des designs innovants (lire : Pour Phil Schiller, le Mac est une « expérience tactile à temps partiel »). Mais pour qu’une expérience tactile « de bureau » soit optimale, il importe que le système d’exploitation soit pensé pour être utilisé à la fois avec une souris et avec les doigts. Windows 10 n’en est pas encore tout à fait là.

Apple : le confort de la routine

Finalement, que reste-t-il aux Mac, face aux propositions toujours plus alléchantes de flexibilité, de puissance, et de souplesse tarifaire de la concurrence ? macOS, tout d’abord, et tout l’écosystème logiciel, qui restent au centre d’une expérience que Windows 10 n’est toujours pas capable d’offrir — même s’il faut reconnaitre que Microsoft progresse aussi sur ce point.

La force de la routine est également une puissante incitation au statu-quo. On n’a pas forcément envie de changer ses petites habitudes quand on possède un Mac qui fonctionne bien. La fiabilité des machines Apple est parfois prise en défaut (sur le MacBook Pro 15’’, sur le Mac Pro) mais globalement, les ordinateurs du constructeur fonctionnent bien et pendant plusieurs années.

Quoi qu’on puisse en penser, en termes d’innovation Apple ne s’endort pas sur ses lauriers : les SSD des MacBook Pro sont parmi les plus rapides du marché, les écrans P3 sont calibrés pour les travaux photo et vidéo, et la Touch Bar est un petit tour de force même s’il faudra voir à l’usage s’il s’agit plus que d’un gadget. Il n’empêche : le rythme de l’innovation a tout de même marqué le pas, sur Mac du moins.

Il n’y a qu’à voir l’emballement autour de la Surface Studio — y compris dans la communauté Mac — pour mesurer l’attente, voire l’empressement de beaucoup d’utilisateurs de machines Apple pour voir le constructeur se lancer dans une nouvelle voie. Gare toutefois aux déconvenues : quand Apple va un peu trop loin, comme sur les nouveaux MacBook Pro, les critiques ont plu comme à Gravelotte… Le curseur est souvent difficile à placer.

Quant au renouvellement régulier des machines, soumis il est vrai à l’inertie d’Intel, il est tombé aux oubliettes. À l’époque des PowerPC qui n’arrivaient pas à progresser, Apple proposait des speed bump à un rythme assez soutenu, souvent accompagnés par des changements cosmétiques. De quoi relancer l’intérêt à chaque fois, même si les utilisateurs n’étaient pas dupes !

L’activité Mac est évidemment importante pour l’histoire d’Apple, et elle l’est toujours dans les comptes du constructeur, mais de moins en moins. Au troisième trimestre, Apple a vendu 4,9 millions d’ordinateurs pour un chiffre d’affaires de 5,73 milliards de dollars. Des chiffres en baisse de 14,4% et 16,6% par rapport au même trimestre de l’an dernier.

Ces résultats sont le reflet d’une réalité : Apple reste un « petit » constructeur PC (si on accepte que l’iPad ne soit pas un ordinateur). Lenovo, HP et Dell vendent de deux à trois fois plus d’ordinateurs que la Pomme, avec des progressions bien meilleures (lire : Mauvaise performance pour les Mac au troisième trimestre).

Malgré les parts de marché, la place d’Apple était enviable : le constructeur était la mouche du coche, le mètre étalon sur lequel tout le monde accordait ses violons. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Illustration bandeau : Alexander Lyubavin, CC BY

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