Jony Ive : le luxe du temps et de l'argent pour abandonner un projet

Mickaël Bazoge |

Jony Ive est devenu un électron libre qui a gagné un droit unique au sein de la hiérarchie d'Apple : communiquer comme il l'entend. Depuis la présentation de l'Apple Watch, la parole du designer en chef d'Apple s'est libérée et il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu'il participe à une conférence ou à un événement, dont les propos sont ensuite largement relayés sur internet (lire par exemple Jony Ive : concevoir l'Apple Watch a été plus complexe que l'iPhone ou encore La perspective de Jony Ive sur Apple et son travail de designer). Rebelote cette semaine, où Jony Ive a participé à une causerie au musée du design de Londres, devant plusieurs de ses pairs dont Marc Newson, embauché depuis peu par Apple.

Son propos général a plus porté sur différents aspects du monde du design, plutôt que sur son travail chez Apple… même s'il est finalement toujours question de la Pomme. Ainsi, Ive a expliqué qu'il rencontrait beaucoup de difficulté à recruter de jeunes designers talentueux pour une bonne raison : les écoles de design façonnent des étudiants incapables de concevoir des prototypes physiques. « Beaucoup de designers que je rencontre en entretien d'embauche ne savent rien construire, parce que les ateliers de design dans les écoles coûtent chers alors que les ordinateurs sont bon marché » : il est effectivement beaucoup plus facile de concevoir un objet sur un ordinateur que dans la vraie vie. « C'est tragique [que les étudiants] passent quatre ans de leur vie à étudier le design d'objets en 3D sans en fabriquer un seul ».

Jony Ive donne un conseil aux designers, qu'ils soient débutants ou plus chevronnés : ils doivent se tenir prêts à accepter qu'un projet ne fonctionne pas et arrêter d'y travailler, même si cela signifie tirer un trait sur des investissements parfois élevés.

Le vice-président d'Apple est aussi revenu sur ce qui faisait la force du constructeur : « Nous essayons d'être très clair, et c'est absolument sincère, notre objectif à Apple n'est pas de faire de l'argent ». Un discours assez facile à tenir quand on génère autant de dollars, mais « nous ne sommes pas naïfs. Nous croyons que si nous réussissons et que nous fabriquons de bons produits, les gens vont les apprécier. Et nous pensons que si les gens aiment nos produits, ils les achèteront. Sur le plan opérationnel, nous sommes efficaces, nous savons ce que nous faisons et nous gagnons de l'argent. C'est une conséquence ».

Le développement de produits chez Apple (« de la façon dont nous voulons les faire ») coûte cher. Mais c'est la seule manière de bien faire les choses : « Cela les rend meilleurs. Il s'agit d'intégrité ici. Nous espérons que vous faites la différence ». Cela nécessite certes de l'argent, mais aussi du temps ; certains produits ont demandé jusqu'à huit années de développement, ce qui explique aussi pourquoi Apple protège tant le design de ses produits face aux copieurs de tout poil. « Nous pouvons paraître un peu butés quand les choses sur lesquelles nous avons travaillé durant huit ans sont copiées en six mois. (…) Ce n'est pas de la copie, c'est du vol », martèle le designer, reprenant un argumentaire déjà développé il y a quelques semaines concernant le cloneur Xiaomi (lire : Jonathan Ive : « la copie n'est pas une forme d'hommage »).

Les départements marketing font souvent pression sur les designers pour qu'ils changent des choses juste pour le plaisir de changer : ça n'est pas le cas chez Apple où les produits ont une esthétique plus uniforme, explique-t-il. « Quand de grandes choses changent, les objets vont apparaitre différemment, ils vont être conçus dans d'autres matériaux. Mais je pense qu'il est mauvais de faire quelque chose de différent juste pour faire différent ».

La relation d'Ive aux ordinateurs

La relation de Jony Ive aux ordinateurs a été facilitée par la découverte du Mac. Dans les années 80, quand il fréquentait l'école d'art, et qu'il devait travailler avec des ordinateurs, « si nous rencontrions des problèmes, pour une raison ou une autre, nous assumions que le problème c'était nous. Si nous mangeons une nourriture infecte, nous disons que c'est la nourriture qui est dégoûtante… Alors, avec ces ordinateurs que je ne pouvais pas utiliser, je pensais que j'avais une sorte d'inaptitude technologique. Et puis vers la fin de mes cours j'ai découvert le Mac ». Une révélation : « J'ai réalisé plusieurs choses. D'une, techniquement parlant j'étais tout à fait compétent, et il n'y avait aucun problème [entre moi et l'informatique]. Les ordinateurs de l'école étaient absolument épouvantables ».

Le jeune Jonathan a surtout découvert devant le Mac « quelque chose de beaucoup plus important » :

J'ai ressenti très clairement les valeurs [des gens qui ont construit le Mac], leurs préoccupations, les choses auxquelles ils tenaient, les raisons pour lesquelles ils l'avaient fait (…) J'ai eu une idée vraiment claire de cette entreprise, quelque chose que je n'avais jamais ressenti auparavant.

À 21 ans, Jony Ive s'est rendu en Californie (« je n'avais jamais pris l'avion auparavant »), où il a commencé à travailler avec Apple en tant que consultant avant de passer au statut d'employé à plein temps en 1992. Si les premières années ont été difficiles, Steve Jobs, en revenant aux manettes de l'entreprise alors très mal en point, a vu le potentiel du designer. On connait la suite de l'histoire…

Jony Ive à l'heure de l'Apple Watch

Ce n'est pas la première fois que Jony Ive explique comment Apple a essayé de saisir l'essence du marché de la montre pour concevoir son propre produit.

Le poignet est un endroit formidable pour placer de la technologie. Vous ne pouvez l'utiliser que d'une certaine manière — vous n'allez évidemment pas commencer à écrire une dissertation ! Mais c'est très bien pour savoir qui vient de vous envoyer un message, ou pour savoir où se diriger.
Sarah Andelman (cofondatrice de la boutique Colette), Largerfeld, Anna Wintour (Papesse de la mode, Vogue), Ive et Newson chez Colette, pour la présentation de l'Apple Watch.

Ive explique également qu'avec l'Apple Watch, le constructeur n'a pas voulu ne proposer qu'un seul produit unique : « Je ne pense pas que nous voulons porter la même chose ». C'est pourquoi Apple a mis au point ce système de bracelets interchangeables, un « système flexible » pour une « idée singulière ». « Nous ne jetons pas tout un tas d'idées contre le mur pour voir lesquelles restent collées… comme chez d'autres ». Suivez mon regard vers Samsung.

Pour ce type de produits utilisés si fréquemment et qui sont une interface « incroyablement intime entre nous et les personnes à qui l'on tient le plus », Ive estime qu'Apple se doit de soigner le développement, que ce soit dans le matériel ou dans le logiciel. « Mon interprétation n'est pas que nous devons nous enfuir et cacher nos têtes dans le sable, mais nous reconnaissons que notre responsabilité en tant que designers est importante ».

L'iPhone, ce qu'il fait à l'intérieur se voit à l'extérieur

Jony Ive a déjà eu l'occasion de dire que le développement de l'Apple Watch avait été plus difficile que celui de l'iPhone. Il n'empêche : la conception du smartphone a été tout de même ardue. Et même après le lancement du premier modèle, tout n'était pas complètement fini : « Si vous regardez le premier iPhone sorti, il est assez surprenant. Il y avait beaucoup de choses qui n'étaient pas terminées, en ce qui concerne les choses qu'il pouvait faire. Mais les grandes idées structurantes étaient là ».

Soigner le design d'un produit, et singulièrement d'un téléphone, c'est également s'occuper de son agencement interne : « Nous y avons passé beaucoup de temps, et 99% des utilisateurs ne le verront pas ». Mais alors, pourquoi ? « Ce n'était pas pour nous, ce n'était pas pour exorciser nos démons, c'était parce que nous pensions que c'était la bonne chose à faire. C'était une motivation importante pour nous ».

L'équipe de designers de Jony Ive au complet après le Special Event de l'Apple Watch.

Dans le même ordre d'idée, l'iPhone a été conçu dans de « l'aluminium massif », ce qui était « conceptuellement ridicule. C'est quelque chose de très compliqué à réaliser. Nous avons passé de nombreuses heures de notre temps à travailler sur des machines outils. Je suis chanceux de travailler avec une phénoménale équipe de production ». Son équipe de designers n'est pas mal non plus, même si elle est très réduite : 17 ou 18 personnes en tout, et « j'aimerais qu'elle ne soit pas plus importante ». Mais comme personne ne démissionne, c'est « un problème quand vous voulez embaucher de nouvelles personnes ».

Jony Ive se dit très chanceux de travailler chez Apple avec sa petite équipe. Ils sont suffisamment souples avec l'attitude "OK, ce n'est pas assez bon, nous devrions arrêter le développement de ce produit et ne pas parler de tout cet argent que nous avons déjà dépensé" évoqué en début de cet article. « Enfin, peut-être qu'ils en parlent derrière mon dos », s'amuse-t-il.

Source
avatar Zoupinou | 

@IGerard

"le génie de Jobs fut sans doute d'être capable de dire merde au consensus tout en étant capable de mener son entreprise à la réussite"
Bravo, superbe résumé de la stratégie de Jobs ! C'est exactement ça.

avatar NAVY7GAS | 

Ouai certains parlent bcp trop pour au final ne rien dire qui soit dans le sujet, McG devrait clôturer les commentaires comme le font d'autres sites d'actu, ou alors qu'on puisse mettre des notes - pouce levé pouce baissé / combien trouve le comm. utile? - qui ferait qu'un commentaire inutile se masquerait automatiquement mais où l'on pourrait quand même l'ouvrir si l'on souhaite. Et puis pQ pas des sortes de drapeaux couleurs comme sur Mac, qu'on s'y retrouve ! Savoir qui est d'accord ou pas d'accord avec qui ; qui commente avec pertinence (avec une étoile VIP) ; et enfin qui plombe l'ambiance (drapeau noir).
Accepter des admins bénévoles chez les lecteurs serait bien aussi.. Ben ça existe déjà "signaler".

avatar Orus | 

Donc faire comme sur tous les autres sites, en donnant la possibilité d'être contre ou pour, sans avoir à argumenter son vote. Super, les trolls vont apprécier.
Tu es en contradiction avec Jobs :
"le génie de Jobs fut sans doute d'être capable de dire merde au consensus tout en étant capable de mener son entreprise à la réussite"
:)

avatar DarkSide | 

@madaniso :
Fanboy ? Non, je ne crois pas.
Le fanboy défendrait Apple et uniquement Apple dans tout les cas. Alors que comme je le dis plus haut, je défend la perfection, que ce soit Apple, Xiaomi ou autre (n'empêche qu'à part ces deux là...). L'antennagate a été un véritable problème et c'est la raison pour laquelle je n'avais pas changé mon 3GS.

avatar Orus | 

Blablabla...
"notre objectif à Apple n'est pas de faire de l'argent"
J'aurai tout lu venant de sa part. Si ce n'est pas leur but, alors pourquoi vendre si cher et se faire des marges dignes du prêt à porter ?
Raconter une belle histoire, et derrière faire tout le contraire, les politiciens apprécieront.

avatar Wise | 

Perfection ? L'homme n'y a jamais et n'y aura jamais accès, il peut par contre accéder à l'excellence qui bien sur demande des efforts considérables.

Apple a les moyens humains et matériels lui permettant justement de sortir d'excellents produits mais qui reste loin de la perfection.

Lorsque l'on sait que la nature elle-même commet des erreurs (humains ou animaux naissant avec des handicaps), seul le mot "imperfection" devrait être prononcé...

avatar FreeDa | 

"notre objectif à Apple n'est pas de faire de l'argent", j'hésite entre la rigolade ou la consternation...

Si leur objectif n'est pas de faire de l'argent, qu'ils réduisent leurs marges...

Il a un sacré toupet...

avatar aldomoco | 

"doublon"

avatar aldomoco | 

@FreeDa :

"notre objectif à Apple n'est pas de faire de l'argent"

Ne trouves tu pas là une similitude de raisonnement avec nos "très chers politiciens" !

avatar conster | 

Il a un sacré toupet...

bah, pour côtoyer quelques artistes, parce que c'est avant tout un artiste, les questions d'argent sont pour eux plutôt une tache de fond. Ils ont avant tout une âme évangélisatrice, qui est leur fonction premiere. Une fois que tu as intégré ca, le discours tenu devient cohérent bien que paradoxale.

avatar NAVY7GAS | 

Et je serai le dernier contributeur de cet article en fermant la marche par une idée qui surement passera inaperçu mais qu'importe :

Il faudrait des lecteurs assidus McG/McDo qui accepteraient de se faire passer comme interprète-synthétiseur-intermédiaire bienveillant! Et qui en reprenant les commentaires, synthétiseraient ce qui est dit d'un autre en qlqes lignes ou qu'en relisant un commentaire agressif, moqueur ou condescendant par exemple, le réinterprèteraient avec douceur et bienveillance (en ouvrant ses chakras..! _-_)

En mentionnant le lecteur indexé il commencerait tout simplement sa phrase par :
"Ce que J.. voulait dire.."

;] à bon entendeur,

avatar Ultranova | 

Moi, il y a un truc qui me chagrine.

Apple nous présente sa montre connectée avec un chapitre sur la santé via les capteurs intégrés.

J'ai pas vu Tim Cook se pavaner dans les réunions de spécialistes de la santé. C'est certainement moins sexy que la boutique truc muche (j'ai oublié le nom désolé)

J'en parlais avec mon médecin généraliste, et je lui ai montré SANTE sur l'iphone. Il a été séduit en tant que généraliste (effet mode surement).

Mais je l'ai choqué quand je lui ai dit que cette application c'était de l'esbroufe. Il m'a demandé pourquoi je disait cela.

J'ai cliqué sur l'affichage du nombre de pas et j'ai commencé à secouer mon iphone ce qui a eu pour effet d'augmenter le nombre de pas alors je ne bougeai pas.

Jolie l'iWatch : il en faut pour tous les goûts.

Utile l'iWatch : ca dépend pour qui et pour quoi.

avatar Yohmi | 

Bon, je l'ai signalé à la rédaction mais puisqu'aucune correction ne survient, j'en fais part à tout le monde pour éviter que le doute ne s'installe : le verbe « to assume » ne veut absolument pas dire « assumer » en français, mais bel et bien « supposer ».
Donc, dans la phrase « si nous rencontrions des problèmes, pour une raison ou une autre, nous assumions que le problème c'était nous. » qui ne veut rien dire en français (on assume pas « que », ça n'a aucun sens), il fallait lire « nous supposions que le problème c'était nous ».

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