iWork : quand l'iPad a pris le pouvoir

Nicolas Furno |

iWork, la suite bureautique d’Apple qui regroupe l’outil dédié aux présentations Keynote, le traitement de texte Pages et le tableur Numbers, a toujours balancé entre enchantement et déception. D’un côté, Apple a su renouveler le genre et proposer des idées nouvelles sur ce secteur longtemps dominé par la suite Office de Microsoft. Alors que la suite libre OpenOffice.org se contentait de reproduire l’interface et les fonctions de son concurrent, Cupertino essayait des choses nouvelles* et avec d’excellents résultats.

On se souvient de Keynote, qui permettait de faire des présentations cinématographiques, bien plus vivantes qu’avec PowerPoint. On se souvient de Pages, qui mêlait traitement de texte traditionnel et mise en page façon PAO… ou encore Numbers, qui s’ouvrait non pas sur un tableau infini, mais sur une page blanche où l’on disposait tableaux et graphiques. D’un autre côté, ces idées souvent excellentes ont été gâchées par un développement chaotique, voire anarchique.

Entre des années sans nouvelles, et des mises à jour majeures qui retiraient certaines fonctions pourtant utiles, Apple n’a pas contribué à faire de sa suite bureautique un compétiteur digne de ce nom, face à celle de Microsoft. Et c’est sans compter sur les multiples bugs, liés notamment aux changements de formats : depuis la dernière grosse mise à jour, on ne peut plus ouvrir les fichiers vraiment anciens (ceux créés avant iWork 09) avec les logiciels ! La suite iWork a toujours laissé le sentiment amer qu’elle n’était pas une priorité chez Apple…

Essayez d’ouvrir un vieux document iWork avec les dernières versions de la suite bureautique et vous aurez ce genre de message. Dans ce cas-là, votre seul espoir est d’avoir conservé une copie d’iWork 09…

On a peut-être une explication aujourd'hui : si iWork a eu autant de mal à évoluer au fil des années, voire qu'il a régressé, c’est en partie à cause de l’iPad. Quand la tablette sort en 2010, la suite bureautique est immédiatement disponible pour elle. Et ce n’était pas seulement une liseuse, mais bien une suite bureautique complète, une version quasiment aussi complète que les logiciels OS X.

Une belle surprise, surtout quand on sait à quel point le premier iPad était limité en matière de performances. Mais pour y parvenir, les ingénieurs d’Apple n’ont pas suivi la route la plus évidente : d’après un ingénieur qui a travaillé chez Apple, iWork pour iPad a été créée de zéro, et non pas à partir des versions OS X. C’est un tout nouveau logiciel que le constructeur a mis au point pour conserver de bonnes performances et c’est aussi probablement ce qui explique les incompatibilités entre iOS et OS X (lire : Test iWork pour iPad)

L’information doit être prise avec des pincettes puisque sa source reste anonyme, mais elle paraît crédible. Elle provient d’un témoignage reçu par Accidental Tech Podcast (ATP), un podcast né accidentellement — comme son nom l’indique — de la réunion hebdomadaire de John Siracusa, Marco Arment et Casey Liss. Depuis quelques semaines, ils se plaignaient des mises à jour incohérentes d’iWork et du retrait de certaines fonctions importantes à ces occasions. Dans leur dernier épisode, ils indiquent avoir reçu une explication directement de l’intérieur.

On pouvait utiliser un iPad (en bas à droite) pour effectuer une présentation sur une télévision (en haut à gauche), après avoir utilisé l’iPad pour créer la présentation : à l’époque, c’était une révolution !

Selon leur source, Apple aurait d’abord créé iWork pour iPad de zéro. Puis, plutôt que de continuer à faire évoluer les deux versions en parallèle, le constructeur aurait choisi de fusionner les deux projets en se basant sur l’iPad. C’est ce qui explique la simplification remarquée lors de la mise à jour majeure sortie en 2013. Il n’avait échappé à personne que cette version était extrêmement simplifiée par rapport à la précédente (lire : Test de Pages 5, Keynote 6 et Numbers 3).

Ce n’est pas que l’interface : des fonctions entières avaient disparu entre les deux versions. Comme le font remarquer les trois d’ATP, en général Microsoft ne se permet pas de retirer une fonction entre deux mises à jour d’Office, fut-elle mineure. Même s’il y a eu des exceptions, notamment sur Mac : Visual Basic a été retiré à une époque d’Office, avant de faire son retour quelques versions plus tard. Apple a supprimé des pans entiers de ses logiciels : quelqu’un se souvient du mode Structure de Pages ?

Et l’entreprise n’a même pas pris la peine de s’assurer que ses utilisateurs pouvaient ouvrir les fichiers créés avec les versions précédentes de ses logiciels. Certes, les mises à jour suivantes ont, en partie au moins, restauré les fonctions qui manquaient. On peut également espérer que les anciens fichiers impossibles à ouvrir avec les dernières versions d’iWork seront un mauvais souvenir après quelques mises à jour. Mais il ne reste pas moins que ces problèmes, parfois permanents, parfois passagers, n’inspirent pas confiance.

La dernière version de Pages

Apple a fait le choix de proposer une suite bureautique cohérente du Mac aux iPhone et iPad, en passant par le web. Un choix logique, mais qui a conduit à un nivellement par le bas si l’on en croit ce témoignage. On sait que l’entreprise de Cupertino manque de moyens humains et que cela a souvent des conséquences néfastes sur le développement des produits. iWork n’est pas le seul touché d’ailleurs : la suite iLife a subi les mêmes conséquences, il suffit de se souvenir des évolutions pour le moins chaotiques d’iMovie, pour ne citer qu’un seul exemple.

En 2010, Apple veut sortir une tablette et le constructeur veut fournir des applications pour qu’elle soit utile dès le premier jour. L’équipe qui se chargeait jusque-là d’iWork sur Mac est mise à contribution, elle a peut-être arrêté le développement de nouvelles versions des trois logiciels pour se consacrer entièrement à la tablette. Celle-ci sortie, l’ancien employé d’Apple explique encore que les développements imposés par la direction n’ont pas toujours été ceux que l’équipe souhaitait.

iWork a toujours été considéré par Apple comme une vitrine pour ses propres technologies. Quand OS X ou iOS avaient de nouvelles fonctionnalités, que ce soit Spotlight dans Tiger, la sauvegarde automatique ou le mode plein écran de Lion, ou les fonctions de Continuité de Yosemite et iOS 8, la suite bureautique devait les avoir immédiatement. Les trois logiciels devaient absolument bénéficier de ces nouveautés pour qu’Apple puisse faire des présentations lors des keynote… et parfois ces développements ont été faits au détriment d’autres fonctions qui auraient pu être plus utiles dans des logiciels de bureautique.

En juin 2011, Apple lance iCloud qui permet de synchroniser des documents. Quand il faut présenter cette fonction, devinez quel logiciel sert de cobaye ? La démo avec iWork est disponible à cette adresse.

La position d’Apple est parfaitement compréhensible : comment mettre en avant de nouvelles fonctions, si ses propres applications ne les prenaient pas en charge ? Sans compter que la majorité d’entre elles — de la sauvegarde automatique à iCloud, en passant par Handoff — ont tout à fait leur sens pour une suite bureautique utilisée sur plusieurs appareils.

Au fond, le problème principal du constructeur reste toujours le même : Apple est aujourd'hui beaucoup trop petite pour gérer tous les projets qu’elle maintient. Si le constructeur voulait que sa suite bureautique soit aussi complète et aussi bien considérée que celle de Microsoft, il faudrait lui allouer autant de moyens que celle de Microsoft, ce qui est loin d’être le cas. Ajoutons à cela un manque de cohérence sur la stratégie à long terme, et on comprend les difficultés de ces trois logiciels pourtant si prometteurs quand ils sont apparus, il y a bientôt 10 ans.

En attendant, si vous cherchez une suite bureautique et que vous avez besoin d’un outil sérieux sur plusieurs années, mieux vaut chercher ailleurs qu’iWork. Côté mobile, cela tombe bien, Microsoft vient d’offrir sa suite bureautique sur iOS : pour un usage personnel, et à condition de ne pas avoir besoin des quelques fonctions en moins, vous pouvez utiliser gratuitement Office sur votre iPhone ou iPad (lire : Microsoft Office arrive sur iPhone et Android et devient gratuit). Côté Mac, le monde du libre propose une suite bureautique tout aussi efficace que celle de Microsoft depuis bon nombre d'années. Et si vous avez encore des documents AppleWorks sous la main, sachez que LibreOffice ouvre la plupart…

* Les plus anciens protesteront à raison : Apple a en fait recyclé beaucoup d’idées déjà expérimentées à l’époque d’AppleWorks.

Source
ATP
avatar BeePotato | 

@ Tournicoti : « mais en environnement pro ou semi-pro, iWork ne tient même pas la route face à LibreOffice. »

Merci d’éviter d’affirmer gratuitement des choses au sujet des habitudes et besoins professionnels des uns et des autres. Ça prend facilement un côté un peu insultant, sur le mode « si vous arrivez à vous contenter d’iWork c’est que vous n’êtes pas vraiment un pro (ni même un semi-pro) ». ;-)

Pour certains besoin professionnels, iWork, même en version sabotée, enfonce littéralement LibreOffice et laisse même MS Office derrière. Encore une fois, tout dépend de ce qu’on fait des logiciels.
Non, MS Office ne fait pas tout bien et mieux que tout le monde.
Pareil pour LibreOffice.

L’exemple le plus frappant est bien sûr du côté des présentations : essayer de faire une présentation sérieuse avec LibreOffice, c’est juste risible. Quant à PowerPoint, bien qu’il ait énormément progressé suite à la sortie de Keynote, on ne peut pas dire pour autant qu’il donne envie de lâcher ce dernier.

Comme quoi…

avatar Seb du 95 | 

@BeePotato
"Pour certains besoin professionnels, iWork, même en version sabotée, enfonce littéralement LibreOffice et laisse même MS Office derrière."

Je vous rejoint sur le sujet, iWork dans son ensemble offre des possibilités de mise en page et d'assemblage de documents que Office et consort ne peuvent gérer (PDF, images grande taille, le tout sur des centaines de pages)... tout en conservant les fichiers originaux dans le package créé (suivant les réglages) et cela est extrêmement précieux pour de multiples usages professionnels et limite les recherches dans des documents archivés.

Il est vrai aussi que l'écriture de longs mémoires se prête plus à Office... mais n'oublions pas que TEX est bien plus adapté pour tout ce qui relève du pavé (scientifique ou littéraire).

J'ai pu travailler aussi avec LibreOffice (traitement de texte et tableur), toutefois j'ai regretté les bizarreries de conversion des documents texte et la lenteur de traitement du tableur (c'est vrai que j'utilise des matrices de plusieurs dizaines de milliers de données), au point de forcer l'arrêt quasi systématiquement du logiciel.

Chacun de ces logiciels a ses atouts qui sont là pour répondre à des besoins bien différents, même s'ils oeuvrent dans des domaines de même catégorie.
Pages aurait besoin de plus de fonctionnalités et d'automatismes (bien que l'ergonomie soit bluffante dans certains cas), LibreOffice, bien qu'étant un très bon logiciel, aurait besoin d'une bonne optimisation et Office..... ben il aurait besoin de sérieuses études d'ergonomie par des professionnels (je sais, je sais, les super utilisateurs savent tout faire à toute vitesse, mais ce n'est pas parce que des personnes se sont contorsionné l'esprit pendant 20 ans pour utiliser des fonctions que ces fonctions sont bien pensées).

Pour vous faire une idée de la richesse de Keynote, dans une réunion, regardez les diapos et en 10 secondes vous saurez si elles ont été montées sur Powerpoint ou sur Keynote, la différence visuelle est tellement flagrante que personne ne passe à côté.
Ensuite, demandez combien de temps a été nécessaire aux utilisateurs de Keynote pour réaliser leurs projets et comparez par rapport à ceux sous Powerpoint... il n'y aura pas beaucoup de différence.

avatar BeePotato | 

@ Seb du 95 : « Pour vous faire une idée de la richesse de Keynote, dans une réunion, regardez les diapos et en 10 secondes vous saurez si elles ont été montées sur Powerpoint ou sur Keynote, la différence visuelle est tellement flagrante que personne ne passe à côté. »

Étant utilisateur de Keynote depuis sa version 1 en 2003, je ne puis qu’être pleinement d’accord avec ce passage.
Même si, comme je l’ai déjà signalé, Microsoft a fait depuis de gros effort pour améliorer Powerpoint et la qualité de ce qu’il peut produire.

« Ensuite, demandez combien de temps a été nécessaire aux utilisateurs de Keynote pour réaliser leurs projets et comparez par rapport à ceux sous Powerpoint... il n'y aura pas beaucoup de différence. »

Là, en revanche, je ne suis pas forcément d’accord : même en prenant le temps de faire les choses proprement, je trouve qu’on va bien plus vite avec Keynote qu’avec Powerpoint.
Enfin, c’était vrai jusqu’à la version 09…

avatar Tournicoti | 

@BeePotato 11:19. Tu as raison, je me suis un peu laissé emporter, c'est pas très pro de ma part ;-).

avatar bazino | 

J'ai trouvé cet article passionnant, merci Macg !

avatar ptram | 

La raison d'être d'iWork est sa simplicité et son elegance. Travailler avec Pages, Numbers et Keynote est beaucoup plus plaisant qu'avec MsOffice ou LibreOffice.
Pourtant, j'utilise une solution mixet: Nisus Writer Pro pour l'écriture (elegant, plaisant, pouissant), Keynote pour mes presentations, LibreOffice Calc pour les calculation que je ne peut pas importer en Numbers, Numbers pour tous les nouveaux calculations et une paginations beaucoup plus jolie.

avatar Dr Fatalis | 

C'est toujours réjouissant de liens ceux qui affirment qu'on ne peut rien faire de sérieux avec iwork. Je l'ignorais, j'ai fait 3 manuels scolaires et deux universitaires avec.
Moi, c'est word qui me donne la colique, un soft paumé dès que l'on veut y intégrer une photo ou un schéma (enfin, le dernier que j'ai utilisé, ça remonte à loin)..
Quand à pauvre point, de temps à autre je vais voir s'il a rattrapé keynote... ben non. Même avec se limitations, je torche en 20 min sur mon ipad (oui) une présentation avec textes, photos et extraits videos qui me prendrait des heures sur PCwinwin avec au final un rendu plus moche.

Le problème n'est pas la qualité des soft Apple, mais leur évolution erratique (un coup on a des images dans les tableaux, un coup on les vire) et surtout le labilité de leur format de fichier irrécupérables apr ailleurs.

En ce moment, je suis "contraint & forcé" d'utiliser ibookauthors pour un immense manuel universitaire gratuit: je tremble de voir le soft abandonné avant que je n'ai fini (cela me prendra 2 ans encore...).

avatar macdr | 

En ce qui me concerne et comme beaucoup ici apparemment, je ne cherche pas " un outil sérieux sur plusieurs années".
Je l'ai déjà, c'est iWork 09. Il était excellent à sa sortie, il l'est toujours maintenant.
(A part Numbers que je garde pour les trucs hypra simples)
Pour Keynote et Pages, quand on a ce genre d'outil sous la main, la limite c'est nous.
Rien ne m'oblige à passer au suivant.

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