Interview : les défis du développement sur Mac

Florian Innocente |
Les opérations pour acheter des lots de shareware Mac à bas coûts se multiplient. Emmenés par les Français d'Aquafadas, plusieurs éditeurs européens ont monté fin 2007 l'opération Give Good Food to Your Mac. Claudia Zimmer, cofondatrice d'Aquafadas, en dresse le bilan. Elle parle aussi des challenges qui se posent aux petits éditeurs Mac face à l'offre d'Apple, à l'arrivée des switcheurs et à l'attrait du marché Windows. Loin d'être un hobby, le développement de logiciels sur Mac est une véritable aventure.

ggf2ym


Que ce soit en matière de chiffres de ventes et d'analyse de l'opération, quel est le bilan pour cette première édition de l'opération ?

Claudia Zimmer : La version courte de la réponse c'est que ce chiffre est en dessous de nos attentes et qu'il nous a déçus. Voilà, c'est dit ! La version longue est plus nuancée et riche d'enseignements. D'abord, le public est de plus en plus difficile à toucher. L'offre de logiciels sur Mac est tellement énorme qu'on a finalement du mal à s'y retrouver. Avec Give Good Food to your Mac l'enjeu était double : expérimenter de nouvelles formes de distribution et faire entendre notre voix outre-Atlantique. Nous avons donc voulu créer une sorte de Best of des logiciels européens.

Les marchés extérieurs sont devenus indispensables pour les développeurs européens ?

CZ : Oui, expérimenter de nouvelles formes de distribution à l'échelle mondiale est vital pour un éditeur de logiciels à l'heure où, dans les Apple Store, les espaces pour logiciels diminuent de plus en plus au profit des nouveaux produits pour les microcosmes iPod et iPhone. Même si en France des magasins comme la FNAC dédient encore des espaces " Logiciels Mac " dans ses nombreux magasins, l'enjeu pour l'export (approximativement 85% du chiffre pour Aquafadas...) est important. La réponse que nous avons imaginée s'appuyait sur une action communautaire. Chaque développeur recommandait les autres à ses clients existants. Une opération où les développeurs partagent et mettent en action leurs expériences complémentaires.

En quoi Give Good Food se distinguait des autres opérations assez similaires par le type de développeurs qu'elles impliquent ?

CZ : L'un des points clés était de rémunérer les éditeurs à un niveau convenable, tout en permettant aux acheteurs de faire des économies substantielles sur des logiciels qui ne seront jamais dans des bundles classiques du type MacHeist ou MacUpdate Promo (MUPromo). Ça impliquait forcément un panier moyen à plus de 50$. Et 50 $ ça semble être la nouvelle barrière psychologique pour les bundles. En dessous, c'est intéressant, au-dessus c'est cher. La question de comment toucher les utilisateurs Mac sans déposséder les développeurs reste donc ouverte.

Nous pensions vendre surtout des lots de 3 ou 5 logiciels. En fait, nous avons vendu moins de bundles, mais de gros bundles : certains clients ont acheté jusqu'à 24 logiciels sur la trentaine qui était en vente ! Les utilisateurs se sont vraiment régalés à essayer et choisir de nouveaux logiciels et ils n'ont pas hésité à prendre des applications plutôt chères qu'ils n'auraient certainement pas achetées sans les 70% de réduction. Des logiciels comme Cheetah3D ou Unity ont clairement tirés leur épingle du jeu.


Quelle est la part de Français dans les acheteurs, sachant qu'elle a été relayée sur les principaux sites hexagonaux, mais qu'elle avait aussi une visée internationale ?

CZ : Pour les ventes, la part de la France a représenté 19% (4 points de plus que la normale), c'est probablement dû à l'incroyable soutien que nous avons eu de la part de la presse française. L'opération a été aussi très bien relayée en Europe. Nous avons eu des visiteurs de 126 pays en tout avec bien sûr entête les États-Unis puis la France et l'Allemagne (nous avions un grand nombre de développeurs allemands dans Give Good Food). L'Italie a également été présente plus que d'ordinaire grâce au travail d'Alberto Ricci, le patron d'Ovolab. Ce trafic reflète le fait que nous avons tous communiqué avec nos clients existants.
MapOverlay-GoogleAnalytics-2



Quel est le gain de ce genre d'opération pour un éditeur ?

CZ : On s'est d'abord rendu compte qu'une telle promotion ne dégrade pas les ventes directes. Mis à part un éditeur, tous les autres partenaires nous ont dit que leur niveau de ventes directes, sans passer par l'offre de réduction, a augmenté durant et immédiatement après l'opération. La clé est dans la renommée et la recommandation. L'enjeu principal pour la plupart des éditeurs est de rencontrer son public. Une opération comme celle-là a donc plusieurs vertus : elle donne de la visibilité à l'éditeur et à ses produits, et elle crée du trafic sur son site avec un surcroit de ventes à la clef.

Pour Aquafadas par exemple, ce genre d'opération ne s'arrête pas à la vente elle-même : ce qui est réalisé avec PulpMotion ou BannerZest est en général montré, partagé... Les clients contents qui recommandent nos produits à leurs copains sont une des sources principales de ventes.  Maintenant toutes les opérations ne sont pas égales et avant de participer à l'opération de MacUpdate cette année avec des conditions que nous avons pu imposer (PulpMotion était le logiciel "phare" : le dernier de la liste à être débloqué), nous avions refusé de nombreuses propositions qui, clairement, n'auraient pas pu assurer des revenus suffisants pour maintenir un support le qualité et d'investir dans la recherche et le développement de nouveaux produits.


On voit d'autres opérations de ce genre fleurir sur Internet, mais en offrant des logiciels à des prix vraiment cassés. Est-ce que ça ne risque pas de dissuader les utilisateurs à payer le "vrai prix" pour un logiciel ?

CZ : Lorsque vous avez besoin d'un logiciel pour préparer un mariage, pour annoncer une naissance ou pour finir un site web pour un client, vous n'attendez pas la prochaine promo. Ensuite il faut relativiser :  la part des clients qui attendent la promo pour acheter un titre est microscopique par rapport au public potentiel de nos logiciels. Il est donc bien plus important de trouver des moyens de toucher ce public qui ignore qui nous sommes et ce que nous faisons.

Les ventes faites pendant ces opérations représentent peu par rapport aux ventes normales et encore bien moins par rapport aux quelque 20 millions de Mac dans la nature. L'essentiel du débat c'est qu'au moment où vous avez un besoin, vous sachiez quel logiciel pourra vous rendre service. Et c'est bien là un des bénéfices de ces promos médiatisées.

Ensuite, on remarque chez les utilisateurs de Mac une véritable volonté de soutenir les efforts de développement des éditeurs indépendants. C'est aussi ça la particularité du monde Mac. Enfin, le profil des acheteurs est très différent pour ces opérations. Sur Give Good Food le taux d'activation des logiciels acheté est bien plus important que sur MUPromo. Les clients ont vraiment choisi ce qu'ils ont acheté.



Depuis des mois, on parle de l'arrivée massive de switcheurs. Avez-vous ressenti cela à votre niveau ?

CZ : Non, pas vraiment.C'est en général quelqu'un de bien occupé pendant les premiers mois qu'il passe à découvrir toute la panoplie des logiciels


Est-il difficile de s'adresser à ce nouveau public ?

CZ : Oui, nous avons une culture Mac et un jargon bien particulier. Heureusement, il y a chez Aquafadas des profils très différents. Des Mac users qui sont tombés dedans quand ils étaient petits, des switchers, mais aussi Nicolas, qui résiste encore… On a donc des coachs internes, mais nous avons certainement des progrès à faire. L'iPhone va certainement aussi être un bon véhicule de communication avec les switcheurs (ou futurs switcheurs).


Est-ce que les nouveaux venus sur Mac deviennent forcément de nouveaux clients pour les éditeurs comme vous ?

CZ : On pourrait naïvement penser que l'envolée des ventes de Mac se traduit par des augmentations de ventes chez les éditeurs. C'est beaucoup plus nuancé et bien sûr difficile à analyser. Mais je pense que le caractère très soigné de l'offre iLife + Mac OS fait que le Mac, une fois déballé, apparait déjà comme relativement complet.  Il faut bien quelques mois d'exploration à un switcheur pour venir à bout des logiciels Apple présents sur sa machine. Et puis on ajoute iWork et on a une machine signée Apple avec des logiciels signés Apple qui assurent beaucoup des tâches quotidiennes. C'est un vrai défi pour les développeurs…


Dans un récent article, on parlait des efforts d'Apple pour adapter son système aux utilisateurs PC, qu'en est-il pour vous ?

CZ : On a sur ce sujet une approche différente, car nous avons peu de retour de la part de switcheurs sur l'ergonomie de nos logiciels. Par contre, nous avons une forte demande d'utilisateurs de PC qui aimeraient faire sur Windows ce que nos logiciels font sur Mac. Il y a 3 ans, nous (Matthieu surtout) pouvions être qualifiés d'Ayatollahs du Mac. Mais peu à peu le débat Mac/PC est devenu l'objet d'une réflexion stratégique pour le développement de notre entreprise. Ce n'est pas tant le marché des utilisateurs Windows qui nous intéresse.

Car chacun s'accorde à dire que l'on ne multiplie pas son chiffre par 20 quand on amène une offre Windows, mais plutôt par 2 ou 3 au maximum (mais attention, 2 ou 3 ce n'est déjà pas si mal, et ça fait forcément réfléchir !). Mais l'attrait essentiel du multiplateforme c'est que le logiciel devient tout à coup beaucoup plus attractif dans une logique de distribution ou de déploiement à plus grande échelle, par exemple sous forme d'OEM (logiciel livré avec un appareil numérique, caméra ou caméscope).

Ce marché de l'OEM nous est fermé tant que l'on a pas une offre Mac et PC. Et ça, c'est un vrai problème. Nous explorons en ce moment les pistes offertes par Adobe avec sa nouvelle plateforme AIR (précédente dépêche). Elle parait élégante et prometteuse…


Vous feriez donc des applications PC mais sans pour autant vous plonger à 100% dans la programmation pour Windows ?

CZ : Exactement.


Quelle va être l'incidence du succès commercial de Leopard sur l'évolution de vos logiciels ?

CZ : Le taux d'adoption de Leopard étant très encourageant, la tentation de faire du "Leopard-only" est très forte, et on peut voir des développeurs faire ce choix autour de nous. Nous aussi, nous voulons utiliser au maximum les nouvelles technos d'Apple met à notre disposition. Nous avons par exemple préparé de nouveaux thèmes pour PulpMotion qui ne fonctionneront qu'avec le 10.5. Mais d'un autre côté, on tient compte de nos clients et nous avons parmi eux un fort taux de professionnels de l'image et de la vidéo. Cette catégorie d'utilisateurs est souvent réticente à perturber un écosystème qui marche. Donc oui, nous allons rajouter de nouvelles choses qui tirent parti de Leopard mais non à une version "Leopard-only" de nos logiciels existants. 

 
C'est encore l'heure des bilans, 2007 pour Aquafadas, un bon cru ?

CZ : Certainement. Ça a été l'année '"PulpMotion" avec un niveau de ventes qui nous a permis de faire croitre l'équipe.  Nous sommes maintenant 10 personnes, plus deux stagiaires, avec de nombreux nouveaux projets. Nous avons notamment démarré en aout, avec le soutien du CNC,et du Ministère de la Recherche, un projet dans le domaine de la Bande Dessinée Numérique (à voir au Festival d'Angoulême fin janvier).

Une nouvelle équipe a été créée au sein d'Aquafadas pour le porter, elle devrait grossir sensiblement en 2008. 2007 nous a aussi ouvert les portes du monde de l'éducation : de nombreuses écoles et universités (souvent les labos de langues) sont maintenant équipées de PulpMotion en Australie, UK et USA. Le canton de Genève a aussi décidé fin 2007 d'équiper tous ces Macs de Pulp, de la primaire au lycée.


Plasq, le créateur de Comic Life justifiait leur nouvelle version Windows de ce logiciel, justement pour répondre à une demande du marché de l'éducation

CZ : C'est exactement ça, tout l'effort de communication que l'on fait par exemple dans le monde éducatif en France serait complètement vain si l'on n’a pas une offre Windows. C'est moins vrai pour la Grande-Bretagne ou les États-Unis, on y voit des districts entiers équipés en Mac et où Apple fait un réel travail pour promouvoir leurs solutions (et les nôtres).


Enfin, quels sont les plans pour 2008 ?

CZ : 2008 verra la sortie de BannerZest et de VideoPier qui seront finalisés très prochainement. Nous travaillons aussi sur une version Pro (très ambitieuse) de PulpMotion ainsi que sur d'autres "petites" choses dont nous ne pouvons pas encore parler. Enfin, je pense que nous allons récidiver en créant de nouvelles opérations pour mettre en valeur des logiciels que nous aimons. Donc pas forcément les logiciels d'Aquafadas mais des séries de logiciels autour de thématiques . À suivre..., ça se passera à nouveau sur le site de Spicy Distribution.

avatar grenoble | 
Très très bonne analyse. Ca fait vraiment très plaisir de lire de telles interviews. Merci encore.
avatar ambrine | 
Je plussois +2
avatar Pascal-007 | 
Excellente entrevue tant pour les questions de Florian que les réponses franches et claires de Claudia Zimmer qui permettent de mieux comprendre le marché du logiciel Mac. Manifestement, au bout du compte, le marché du Mac n'est pas si petit que certains voudraient le laisser croire, et il me permet de comprendre comment il se fait qu'il y ait autant d'éditeurs de partagiciels sur Mac.
avatar jodido | 
"Avec Give Good Food to your Mac l'enjeu était double : expérimenter de nouvelles formes de distribution et faire entendre notre voix outre-Atlantique." Ce qui aurait été bien c'est aussi que l'on comprenne cette voix, un petit: "Nourrissez votre Mac" aurait été plus apprécié :P Bonne entrevue en tout cas ;)
avatar DrFatalis | 
On comprend aussi comment certains (Plask) qui juraient "jamais sur windows" y viennent après avoir pris les utilisateurs Mac pour des pigeons.... L'alibi "education" est une peau de chagrin, et il est symptomatique de voir que, le petit doigt sur la couture, les développeurs se mettent au garde à vous pour que leurs productions entrent dans les PC windows de l'EN alors que l'EN dénigre systématiquement tout ce qui vient du Mac.... Alors Mr les developpeurs, évitez de dire que vous êtes des " chevaliers du Mac" et ayez la décence de reconnaître que vous êtes développeurs tout court, à la recherche de toutes les opportunités. Personne ne vous en voudra, et votre message sera bien plus clair que le marketing mensonger made in Apple...

CONNEXION UTILISATEUR