Le Mac Pro désespère les pros

Mickaël Bazoge |

« [Apple] n’innove plus… Mon cul ! ». Ainsi paradait un Phil Schiller particulièrement en verve lors de la WWDC 2013. Le vice-président du marketing avait une bonne raison de se réjouir aussi bruyamment : le nouveau Mac Pro sur lequel il levait un coin du voile était effectivement impressionnant.

Non seulement ce modèle inaugurait un design jamais vu sur un bureau, mais Apple offrait aussi aux utilisateurs pro des technologies inédites pour l’époque — sur un Mac, du moins : processeurs Xeon, mémoire EEC plus rapide, des ports USB 3 et Thunderbolt 2, deux cartes graphiques FirePro… Une machine de rêve qui, cerise sur le gâteau, est totalement « Made in USA » : conçue en Californie, produite au Texas.

« Le futur de l’ordinateur de bureau professionnel », disait-il aussi en conclusion de son speech. Sauf que le futur a aujourd’hui des airs du passé. Et on se demande bien, près de mille jours plus tard, si la ligne de production à Austin est encore opérationnelle.

Depuis le lancement effectif — et dans la douleur — de la commercialisation du Mac Pro, il ne s’est plus passé grand chose sur ce front. C’est comme si Apple avait produit son effort, puis complètement abandonné le marché pro à son triste sort. Le constructeur est malheureusement coutumier du fait : les produits lancés en fanfare puis glissés discrètement sous le tapis sont malheureusement fréquents, de l’écran Thunderbolt à l’enceinte iPod Hi-Fi, en passant par le G4 Cube dont le Mac Pro est le successeur direct.

En 2013, le Mac Pro était peut-être un champion technologique, mais aujourd’hui on peut difficilement s’emballer pour des Xeon Ivy Bridge, alors qu’on en est à l’architecture Skylake sur les derniers iMac 5K. Le Mac Pro se présente également comme la machine de prédilection pour accueillir des nouveautés dont les professionnels sont les premiers utilisateurs, comme le Thunderbolt 3, voire l’USB-C, mais… rien. Apple a même donné le bâton pour se faire battre, en augmentant les prix européens du Mac Pro au printemps 2015.

La déception des pros de la vidéo

Le Mac Pro n’est tout simplement plus conseillé par Atreïd, spécialiste des solutions professionnelles pour la post-production audiovisuelle. « Je ne conseille plus [cet ordinateur] pour les pros qui ont besoin de puissance et de performance dans les hautes résolutions vidéo, 4K et plus », nous explique Jean-Philippe Mariani, fondateur et dirigeant de la société depuis 1997.

Le Mac Pro souffre d’abord de son retard technologique. L’absence de renouvellement du produit avec les dernières technologies disponibles est de plus en plus rédhibitoire, à tel point qu’Atreïd conseille à ses clients de choisir un PC : « Ça démarre dans les 3 500 € HT pour une station mono proc mais à ce niveau de prix, on possède déjà plus de performances que le Mac Pro qui est plus cher avec des composants qui datent de 3 ans », accuse-t-il sans prendre de gants.

Le Mac Pro est un produit certes joli, mais qui est mal adapté à la réalité. Les contraintes sont trop importantes et l’extension externe vantée par le constructeur ne fonctionne pas : « Jusqu'à présent Apple a bridé cette fonctionnalité dans l'OS sous prétexte que le Thunderbolt 2 ne disposait pas de bande passante suffisante… ».

L’autre problème qui se pose est encore plus embêtant, non seulement pour ce revendeur, mais aussi pour les utilisateurs : le Mac Pro n’est pas un as de la fiabilité. Début février, Apple lançait un programme de rappel des ordinateurs souffrant de cartes graphiques défectueuses, qui se limite à des modèles produits sur une courte période de temps (« une certaine série de machines fabriquées entre deux dates qui ne voulaient strictement rien dire », réplique Atreïd). Le constructeur a mis pratiquement un an pour admettre le problème et mettre sur pied un rappel, ce qui n’a pas manqué de désespérer les utilisateurs touchés.

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Mais les problèmes sont plus profonds : « On a une chance sur deux de voir revenir rapidement en SAV [un Mac Pro] », se désole Jean-Philippe Mariani qui nous a raconté une anecdote désabusée. Lorsque les premières pannes de GPU sont apparues, Apple n’a pas voulu reconnaitre le problème en Europe, en demandant aux centres de maintenance de ne pas remplacer les composants. Atreïd était de ces revendeurs agréés qui ont tiré la sonnette d’alarme auprès d’Apple, sans effet.

iTribu, qui gère la maintenance des Mac pour la société, « a pris ses responsabilités et a quand même pris le parti de remplacer les GPU défectueux » . Aujourd’hui, « on ne peut masquer la réalité de l'encombrement des centres de maintenance Apple avec les Mac Pro qui reviennent encore et toujours plus ». Malgré tout, « les clients sont tellement attachés au Mac qu'ils en achètent encore malgré les mises en garde et autres limitations qu'on peut mettre en avant ».

Lire : Avez-vous dû faire changer les cartes vidéo d'un Mac Pro 2013 ?

Les architectes fans d’Apple, mais pas du Mac Pro

Le site Architosh, spécialisé comme son nom l’indique dans l’actualité du Mac pour les architectes, dresse également un tableau très sombre de l’avenir du Mac Pro. Le constat est simple : si le Mac Pro a « échoué » auprès de cette clientèle, c’est à cause de l’absence de soutien d’Apple. L’ordinateur est délaissé par les architectes qui lui préfèrent l’iMac pour une raison simple : le Core i7 se révèle plus performant que le Xeon pour la plupart de leurs travaux.

Les architectes restent une clientèle visée par Apple, comme on peut le voir dans cette capture du keynote de la WWDC. Mais on n’y voit pas un câble de Mac Pro — Cliquer pour agrandir

Le site s’appuie sur les confidences d’un petit oiseau sur les chiffres de vente du Mac Pro. L’ordinateur cylindrique représente aujourd’hui moins d’1% de tous les Mac vendus. C’était du moins le cas lors du dernier trimestre 2015, pendant lequel Apple a écoulé 5,7 millions de Mac… soit 57 000 Mac Pro si l’on prend 1% tout rond.

Le quatrième trimestre étant habituellement le meilleur du constructeur, Architosh estime qu’Apple vend moins de 150 000 Mac Pro l’année. Rapporté au prix du produit, cela représente tout de même une petite somme (450 millions de dollars si l’on prend uniquement l’entrée de gamme)… Mais évidemment c’est une demi-goutte d’eau dans l’océan du chiffre d’affaires généré par l’iPhone.

Pour donner un ordre d’idée, en 2002 Apple avait vendu 766 000 Power Mac G4, l’ancêtre du Mac Pro de 2013, sur un total de 3,1 millions de Mac. À l’époque, la gamme de Mac professionnels représentait un peu moins de 25% des ventes d’ordinateurs chez Apple. En 2015, le pourcentage pour le Mac Pro passe à… 2,6%.

Et il est probable que ce pourcentage soit encore plus bas. En 2002, le ratio entre les ventes d’ordinateurs portables et les ordinateurs de bureau était de 32% pour les premiers et 68% pour les seconds. Aujourd’hui, c’est l’inverse : les portables ont pris le pouvoir, et de loin. Une de nos sources évoquait un ratio de plus de 90% en faveur des différents types de MacBook, ne laissant plus que miettes aux ordinateurs de bureau, et encore moins pour les Mac Pro.

À cet égard, les 150 000 Mac Pro évoqués par Architosh paraissent donc très optimistes…

Faut-il pour autant désespérer ?

Même si Apple donne l’impression de l’abandonner, le marché des professionnels à la recherche d’un Mac modulaire et puissant existe toujours. Les architectes représentent un secteur qui a longtemps été rallié à la cause d’Apple ; il pourrait revenir dans le sillon du constructeur, si ce dernier voulait bien faire les ajustements indispensables pour se mettre au niveau. Et il en va de même pour les spécialistes de la vidéo.

Sur le seul marché de l’architecture, la part de marché potentielle d’Apple se situe entre 20 et 30% (contre 10% globalement). Le secteur représente entre 3,6 et 5,2 millions de personnes dans le monde, qui remplacent leur matériel informatique toutes les 3,1 années.

Si l’on prend la fourchette basse, c’est-à-dire 20% de 3,6 millions de ces professionnels ayant besoin de renouveler leur équipement tous les trois ans (soit un tiers de 720 000 architectes), Apple pourrait écouler annuellement 240 000 ordinateurs auprès de cette population. Il s’agirait de portables surtout, mais aussi de stations de travail.


Et c’est sans compter les autres cibles intéressées par le Mac Pro, à savoir les spécialistes de la vidéo et les graphistes 3D.

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Le pragmatisme qui semble souffler du côté de Cupertino pourrait-il faire des miracles (lire : WWDC 2016 : Apple trace sa route sans brouiller l'écoute) ? Aussi bien chez Architosh que chez Atreïd, on milite pour un changement en profondeur : il est « indispensable de revoir [le Mac Pro] de fond en comble », explique Jean-Philippe Mariani.

Il faut plus penser à une machine adaptée aux pros qu'un outil de design qui est joli posé sur le bureau. Il faut revenir à l'essentiel et proposer une machine "classique", avec bien sûr l'intégration des composants processeurs/mémoire/GPU actuels, et surtout revenir chez Nvidia et arrêter ce partenariat avec AMD qui nous fait reculer d'année en année.

Si Apple ne permet toujours pas de changer facilement des composants internes (voire l'interdit tout simplement), la solution pourrait passer par le support des eGPU, ces boîtiers externes intégrant des cartes graphiques puissantes (lire : Des cartes graphiques externes pour Mac ? Interview de Dave Pirinelli, co-développeur d'eGPU). Le Thunderbolt 3 pourrait permettre d’améliorer sensiblement les choses, et il reste à voir si macOS Sierra permettra de libérer la puissance nécessaire aux travaux des pros.

« Si Apple abandonne le Mac Pro, alors oui, ce sera la solution, le Thunderbolt 3 offre la bande passante nécessaire (enfin jusqu'à un certain point) », explique-t-on chez Atreïd. Mais le futur MacBook Pro équipé TB3 qui devrait être présenté avant la fin de l’année resterait malgré tout limité à un Core i7.

Difficile en effet d’imaginer un monstre de type Xeon dans une machine qui s’annonce encore plus fine que les portables pro actuels. « Le eGPU avec les logiciels optimisés pourrait faire le boulot dans certains cas de figure, mais pas tous... Le haut de gamme, la vidéo pro sera obligée de se tourner vers les gros PC (pour ceux qui ne l'ont pas encore déjà fait...) ».

L’avenir du Mac Pro tel qu’on le connait aujourd’hui semble donc bien sombre. « Si rien ne se passe d'ici la fin de l'année (au moins une annonce), je pense que c'est fini avec le Mac Pro… », se désole Jean-Philippe Mariani. Un nouveau modèle de Mac Pro a fait son apparition dans le code d’OS X El Capitan en novembre dernier, et Intel continue de décliner de nouveaux Xeon (lire : Intel lance les Xeon E5 v4, potentiels futurs processeurs du Mac Pro).

Reste à savoir si Apple ne veut tout simplement pas fermer le rideau sur cette gamme pour se concentrer sur des produits grand public qui rapportent beaucoup plus.

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avatar elamapi | 

l'autonomie sur un macpro ? j'ai loupé un truc ?

avatar pifpaf | 

@ mike mac : Merci je vais l'essayer .

Sinon j'oubliais un autre avantage de MacOS et pas des moindres, la logique implacablement ergonomique de cette barre des menus en haut de l'écran.

avatar Yuku | 

@pifpaf :
Bof, c'était pertinent en mono-écran avec de faibles résolutions d'écran, mais de nos jours...

avatar kinon | 

Toujours la même rengaine. je comprends les utilisateurs ultra pro (vidéo 4K et autres) mais Apple est une société commerciale donc pragmatique, combien d'ordinateurs hautes performances sont vendus dans le monde, combien d'ordinateurs de bureau, combien de portables et combien de smartphones?
Et quelle sont les évolutions de vente sur 4 ans de ces produits?
Quel est le cout de développement vs quantités vendues de ces produits (aujourd'hui et dans l'avenir prévisible)?
C'est tout, et c'est tout vu.
PS. Après rien n'est figé dans le marbre, un choix marketing imprévisible (peu probable) ou une possibilité technologique nouvelle (toujours possible) peut permettre de voir apparaitre un nouveau Mac pro...

avatar Yuku | 

Quel gâchis quand même... Apple avait une machine sublime de conception avec le MacPro (près 2013 donc), qu'il aurait été facile et économique en r&d de mettre a jour au fil des ans. Au lieu de ça, ils nous ont sorti un bidule complètement inutilisable pour les pros qui font autre chose que de la photo/vidéo/3D (et encore)... Je parle pour moi en post prod son (cinéma et TV).
Pfff...
Mais bon, comme os x semble aussi filer à mauvais coton, ce sera peut être moins douloureux de passer sous Windows :-(
C'est vraiment triste tout ça.

avatar pifpaf | 

Faut se faire à l'idée d'avoir plusieurs machines sous différents OS, d'autant plus qu'Apple est passé à Intel, des trucs comme Paragon facilitent vraiment le boulot en revanche je ne suis pas trop virtualisation BootCamp etc ....

avatar Lightman | 

Ça me rappelle vachement l'histoire des Xserve !

avatar oomu | 

Finalement,

tous ces commentaires me font chaud au coeur.

Le Mac (même pro) a encore de l'importance pour vous.

Cela me console de tous ces commentaires passionnés pour le moindre smiley qui change sur ios.

avatar Alméti | 

Je rejoins le constat de cet article. Pire, mon Mac a quelque chose comme 7 ans et avoue ses limites en montage vidéo (je perds pas mal de temps)... Mais je ne trouve plus de machine adaptée chez Apple!

Les iMac sont bien mais c'est compliqué de changer le disque dur et je compte le garder plus longtemps que la durée de vie de son système de stockage. Quant aux Mac Pro, vous avez tout dit. Les MBP sont biens mais je veux une bête de puissance pour la 3D.

Au final, j'hésite à prendre une tour sur mesure et un Mac (Mini? MBP?) en complément pour garder un Mac pour tout ce qui ne demande pas de perfs. Ça reviendra bien moins cher pour quelque chose de bien mieux.

avatar Ghaleon111 | 

On aime osx mais faut avouer que niveau hardware, un dell 7910 ou HP Z840 est bien supérieur et évolutif y compris niveau service
Apple n'a rien compris

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