Sundar Pichai s’exprime sur la rivalité avec Apple et le démantèlement de Google+

Stéphane Moussie |

Au fil des ans, Sundar Pichai a vu son pouvoir s’élargir chez Google, au point de devenir le numéro 2 de l’entreprise. Celui qui a commencé comme vice-président pour le management produit est dorénavant en charge d’Android, Chrome et des apps (Gmail, Maps...), rien que ça. Dans une longue interview accordée à Forbes, l’homme de 42 ans s’exprime sur son rôle au sein de Google, la compétition avec Apple, et les produits qu’il supervise.

Sundar Pichai au MWC 2014. Crédit Maurizio Pesce CC BY

Une étroite collaboration avec Larry Page

Son ascension fulgurante va-t-elle l’emmener jusqu’à la tête de Google ? Pas question, répond Pichai qui se montre très reconnaissant envers les cofondateurs Larry Page et Sergey Brin. « Je suis ici en partie grâce à eux. Larry et Sergey sont engagés dans l’entreprise sur le très très long terme. »

Il faut dire qu’il joue déjà un rôle clé avec Page. « Nous partageons les responsabilités sur les éléments fondamentaux et nous travaillons en étroite collaboration. » Pichai s’occupe même plus du « cœur » de Google pour permettre à Page de s’intéresser aux domaines périphériques avec son labo Google Y.

La responsabilité de Pichai est énorme. Certains services qu’il dirige sont utilisés par plus d’un milliard de personnes dans le monde entier. « C’est cela même qui nous stimule, tenter de résoudre les problèmes des gens à très grande échelle afin de changer leur vie. Une grosse partie de mon travail consiste à continuer à faire cela dans nos produits de base. » Mais il doit aussi arriver à extirper certains projets de cet encombrant parc d'utilisateurs pour les mener à bien.

Sundar Pichai à la Google I/O 2014. Crédit Maurizio Pesce CC BY

Quelles sont les trois lignes directrices suivies par Pichai dans tous ses produits ? La première, c’est « d’apporter l’information aux gens ». Une mission présente dès le début de l'entreprise qui passe notamment par Google Now aujourd’hui.

La deuxième, c’est de penser l’informatique au-delà du mobile. Pichai décrit un futur où l’informatique sera présente partout et sous diverses formes. En somme une informatique ambiante comme l’a déjà exposé Page (lire : « Apprendre, vivre et aimer » : Google veut sauver l’humanité de l’informatique).

La troisième ligne de conduite de Pichai, c’est de garantir un modèle économique viable, « parce que c’est le moteur qui nous permet de conduire toute cette innovation. »

Cette innovation tous azimuts est vue par certains, dont Steve Jobs qui disait à Page qu’il « [faisait] trop de choses », comme un éparpillement. Pichai assure que Google porte attention à la pertinence de ses nombreux projets : « Nous examinons constamment ce que nous faisons et nous nous demandons si cela fonctionne bien. »

Vers un démantèlement de Google+

Parmi ces produits dont la pertinence peut être remise en question, il y a Google+. « Pour nous, [Google+ représente] deux choses différentes, et je ne pense pas que nous l’avons toujours bien expliqué », admet-il. D’un côté, il y a le réseau social, et de l’autre, un identifiant de connexion unique pour l’ensemble des produits.

L’unification des données des utilisateurs, qui permet notamment de proposer des publicités plus pertinentes, a été un succès pour Google... qui ne s'est pas embarrassé de la législation française pour parvenir à ses fins.

Crédit TechCrunch

Sur Google+ en tant que réseau social, Pichai reconnait à demi-mot que ce n’est pas une réussite. Il concède que le réseau n’est pas autant utilisé qu’escompté et qu’il s’agit d’un fourre-tout qui peut porter préjudice à des services clés. Le gestionnaire de photos et la messagerie instantanée sont ainsi amenés à prendre leur indépendance pour gagner en accessibilité.

S’agit-il de faire de Hangouts un leader sur le marché des messageries instantanées où Google est à la traîne ? Pas forcément, explique Pichai.

Bien sûr, la messagerie est un domaine vraiment très important. Est-ce que c'est un marché porteur ? Oui. Est-ce que Google a besoin d’être présent sur tous les marchés à grande échelle pour réussir ? La réponse est moins claire. Parfois, les solutions viennent aussi des autres. Je pense que c’est important d’avoir cet équilibre. Je ne définis pas le succès par le fait d’être présent dans tous les domaines importants.

La publicité dans Google Play, « une étape importante »

Comme Apple, Google a en effet une double casquette. Il fournit des services, mais accueille aussi ceux des autres sur sa plateforme, Android. La vitalité des éditeurs sur sa plateforme, qui dépend en partie de l’existence d’un marché concurrentiel où Google n’écrase pas tout avec son poids, lui profite aussi.

« Au cours des 12 derniers mois, nous avons reversé plus de 7 milliards de dollars aux développeurs », s’enthousiasme le dirigeant — Apple en a reversé 10. Mais il ne perd jamais de vue la monétisation d’Android. Dernière trouvaille en date, faire payer les développeurs pour mettre en avant leurs apps dans les résultats de recherche sur Google Play.

Les utilisateurs essayent de découvrir des apps et nous essayons d’améliorer le processus de découverte. De plus, les développeurs tentent d’être visibles aux yeux des utilisateurs. Si vous prenez du recul, c’est un problème que nous avons résolu dans la recherche universelle avec la publicité. Nous leur fournissons des résultats naturels, mais nous permettons également aux entreprises d’exploiter la publicité pour atteindre les utilisateurs. [...] En tant qu’utilisateur, l’information commerciale est aussi exceptionnellement utile.

Cet enthousiasme doit toutefois être nuancé par un possible effet néfaste de la pub. Les développeurs indépendants auront-ils les moyens de faire sponsoriser leurs apps ? Ne va-t-on pas assister à une course publicitaire où seuls les plus riches auront de la visibilité ? (lire : Google Play bientôt infecté par la pub).

La publicité dans Google Play est « une étape importante compte tenu de l’ampleur de la boutique », renchérit Pichai. « C’est une opportunité excitante, mais ce n’est pas la seule [...] c’est toute une série de petites choses qui font une grosse différence. »

Une relation compliquée avec Apple

Ce qui revient régulièrement dans les paroles de Pichai, c’est l’échelle à laquelle il travaille. Lors de la Google I/O 2014, il annonçait qu’Android comptait un milliard d'utilisateurs actifs par mois. Il s’est également écoulé un milliard d’appareils Android l’année dernière. D’après IDC, sur l’ensemble de l’année 2014, Android représente 81,5% du marché (+ 2,8 points par rapport à 2013). Mais grâce aux iPhone 6, iOS a grignoté des parts de marché à Android au quatrième trimestre (+ 2,2 points à 19,7 % contre - 1,2 point à 76,6 %). Pas de quoi faire peur au responsable du robot vert cependant :

Apple a indubitablement réussi son coup avec l’iPhone 6 et l’iPhone 6 Plus, mais nous nous attendions à cela. Nous savions que ce serait un renouvellement important pour eux. Quand j’observe que nous avons écoulé un milliard de terminaux [en 2014], et que même sur le haut de gamme les gens restent fidèles à Android, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.

Et d’insister sur le fait qu’Android recouvre une gamme extrêmement large d’appareils, allant du low-cost au très haut de gamme. Il raconte qu’il a acheté des tablettes vendues 59 $ et qu’il a pu constater qu’elles « fonctionnaient bien ».

Crédit Ancella Simoes CC BY

Interrogé sur la possibilité de ne plus figurer comme moteur de recherche par défaut d’iOS — Apple se sépare au fur et à mesure des services de Google et Yahoo aimerait bien prendre la place —, Pichai indique juste que les deux parties sont liées par un « partenariat sur le long terme ».

Quant aux attaques de Tim Cook sur la monétisation des données des utilisateurs, Pichai ne se démonte pas :

Les gens utilisent nos services par choix. Nos services sont très appréciés. Nous avons vraiment beaucoup de produits qui ont plus d’un milliard d’utilisateurs. Ils ont beaucoup de valeur. Et nous fournissons la plupart de ces services gratuitement. C’est un peu irresponsable de dire que tout devrait coûter plusieurs centaines de dollars [comme les produits Apple]. Nous avons trouvé un moyen de fournir des services importants de manière responsable. Je pense que ça compte. Si vous questionnez la plupart des utilisateurs, ils sont à l’aise avec la façon dont cela fonctionne.

avatar demop | 

Et optimiste en plus !

avatar Shralldam | 

J'adore comment il ne répond pas à la question de la monétisation des données utilisateurs :-)

avatar Vanton | 

Si vous questionnez la plupart des utilisateurs, ils ne connaissent pas la façon dont cela fonctionne...

avatar RyDroid | 

Pas plus que pour les utilisateurs d'Apple, hormis les beaux discours...

avatar DaYani | 

S'il faut payer le prix pour éviter que l'on vende mes donnée privée, je payerais !!!

avatar lmouillart | 

Même 50-100$/an pour chaque service de chaque plateforme que vous utilisez et pour chaque membre de votre famille ?

Personnellement, je choisi d'exploiter les ressources à ma disposition afin de maximiser mon pouvoir d'achat.

avatar nono68200 | 

Moi oui. Mon choix a d'ailleurs été fait dans ce sens. Je viens de Google, et je n'y remettrais plus les pieds de si tôt. Je préfère payer deux fois le prix, mais ne pas avoir des publicités de partout, et que je ne sois pas le produit. Pour ce qui est de la famille, chaque membre paye sa part chez moi... Mon père paye son appareil, ses services, moi les miens, ma maman les siens, etc.

avatar RyDroid | 

Une solution peut aussi être d'utiliser moins de services.
"Il y a beaucoup de projets qui visent l'inclusion numérique pour promouvoir la participation de tout le monde dans la société numérique. Mais est-ce que ce but est bon ou mauvais ? Ça dépend si la société numérique est juste ou injuste. Si la société numérique est injuste, il faut lutter pour notre extraction numérique et pas pour l'inclusion numérique, pas pour l'inclusion dans l'injustice" http://www.april.org/enregistrements-audio-et-video-de-la-conference-de-richard-stallman-lors-des-30-ans-du-projet-gnu

Pour ce qui est de maximiser le pouvoir d'achat, je ne comprends pas le but. À ma connaissance, on est pas plus heureux parce qu'on est riche. Je n'achète pas de licences de logiciel, et pourtant j'en utilise plein sans pub et sans spyware. Plutôt que d'acheter rien que pour moi, je préfère donner pour tout le monde, tout en conservant ma liberté (pour ceux ne l'ayant pas compris je parle de logiciels libres).

avatar Biking Dutch Man | 

@DaYani :
Le problème c'est lorsque tu payes d'abord et ensuite que la boîte qui a collecté tes données se vend et tes données avec. Le cas de Move vendu à Facebook. Ton choix restant est perdre l'application pour ne pas entrer dans le jeu ou y entrer de force

avatar Trillot Bernard | 

Bien vu!
Il est évident que si les publicités envoyées par Google sont vendues à des entreprises c'est qu'elles rapportent à ceux qui les financent et ceux qui les financent se rattrapent forcément sur l'utilisateur... qui de toute façon devra payer.
CQFD

avatar alan1bangkok | 

perso à part l'obligation Google+( une plaie) les autres services me conviennent

avatar en ballade | 

@DaYani

Qu as tu a cacher?

avatar J'en_crois Pas_mes yeux | 

@en ballade
"Qu as tu a cacher?"
Moi, beaucoup... et toi rien à cacher ?
Les imbéciles n'ont rien à cacher...
Ils donneraient leur numéro de carte banquaires à tous va
Ils publieraient leur adresses e mail et leur numéro de téléphone
pour permettre au gentils démarcheurs de les joindre à tous moments.

Tu es vraiment sur que tu n'as rien à cacher en ballade et que tu es aussi idiot que la personne que je viens de décrire. Je ne t'insulte pas en ballade, car je sais bien que tu as toi aussi des stratégies pour compartimenter les infos qui te concernent car tu sais que ceux qui les collectent ne te veulent aucun bien

avatar aldomoco | 

@en ballade (suite à la réaction de J'en_crois Pas_...)

... oui et après il ne faudra pas dire "Gmail occulte" :-(

avatar oomu | 

lui je ne sais pas

mais moi beaucoup de choses:

- mes opinions syndicales

- mes propriétés privés (je n'ai pas envie que mon capital soit mis en public, visible par _VOUS_, suite à un clic malencontreux ou parce qu'une entreprise trouve le moyen d'obtenir ces infos et de les monétariser au premier escroc qui s'y intéresse)

- mon identité réel (je conserve un certain contrôle pour qu'elle ne soit ni un secret d'Etat ni une évidence)

- ma religion (hors de question de précisément discuter de cela avec le monde ou qu'un jour on fasse sur moi un fichier statistique et que cela serve de base de travail à une entreprise)

- ma santé

- AUTRE

- mon cul (je ferme les volets du coup et ma salle de bain a une porte, pas vous ?)

etc.

Je cache aussi ce que je possède exactement, je ne mets pas en ligne de photos de chez moi, je n'indique pas via twitter ou autre outil géolocalisé où je passe mes vacances et combien de temps ma maison est sans occupant,

etc etc etc etc ETC.

Je suis responsable de moi même et de ma famille, je maîtrise (autant qu'on m'en donne le droit manifestement) ce qui est intime, privé et public de ma personne.

Okay ? okay.

avatar Domsware | 

@en ballade :
Et toi, qu'as-tu à cacher derrière ton pseudo ?

avatar RyDroid | 

Plein de choses... http://jenairienacacher.fr/

avatar Jamseth | 

@Vanton
Oui et puis on mélange trop souvent les services qui n'utilisent pas les données utilisateurs à des fins publicitaires et ceux qui le font. Les mauvaises langues diront qu'il y a bien iad, mais les dev sont libres ou pas de le mettre en place (et ça permet souvent de rentabiliser des apps avec du contenu rédactionnel ou sur le segment du freemium). Avec Goog, il n'y a pas de frontières, tous leurs services et softwares sont conçus de manière à ce que toutes les données soient recoupées et utilisées le plus "pertinemment possible".
Et j'ajouterai qu'Android ce n'est pas Replicant.

avatar 8enoit | 

Gmail, très bien.
Maps aussi.
Drive & docs également.
Le reste, Android, hangouts, g+, etc , je n'utilise pas et ne compte pas le faire. Picasa je vais peut-être m'y mettre.

Qu'ils m'envoient des pubs ciblées ne m'a pas dérangé jusqu'à présent.

avatar oomu | 

je n'ai jamais de problème particuliers avec les services google. Maps, Youtube, Search sont très efficaces et leur monétarisation n'est pas trop problématique si on est attentif.

Par contre, y a un TRUC qui me fit enrager, hurler, à en envahir la Pologne en écoutant du Wagner: l'obligation de se farcir un id Google + et l'impact que cela eu sur Youtube...

RAAAArghlgl.. *pilule*

avatar oomu | 

Toute personne qui s'est faite "doxer" par des trolleurs et harceleurs sait l'importance de la vie privée et de maitriser ce qu'autrui sait de soi.

avatar Shralldam | 

@oomu :
+1000 puissance 10

avatar LudwigVonMises | 

Il est dommage que Google ait un userland aussi désastreux. L'ouverture de google conjugué à un userland aussi confortable que celui d'Apple serait parfait.
Concernant la pub personnalisée j'y trouverai plutôt un avantage (tant que cela reste implanté de manière discrète et pas avec de gros popups tout grades) . Je préfère militer pour la fin de l'état civil qui pour le coup est une véritable atteinte à le vie privée.

avatar marc_os | 

« Dernière trouvaille en date, faire payer les développeurs »

Génial.:/
Prime donc aux grands éditeurs friqués, et les petits se retrouveront au fin fond des résultats de recherche... Merci pour eux !

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